Passons l’argumentaire de presse qui annonce un peu ridiculement « les 100 plus grands dessinateurs du monde ». Passons le défaut évident de cet ouvrage : une sélection d’images commentées, certes arbitraire (comment pourrait-il en être autrement ?) mais dont le choix précisément n’est pas justifié. Or, cela intéresse toujours de savoir quelles sont les raisons intrinsèques du choix d’un dessin et/ou d’un auteur. La promesse d’un vrai discours sur le dessin est rarement au rendez-vous. On a trop souvent affaire à des notices, plus ou moins bien écrites, plus ou moins instructives que, pour certaines, le Larousse de Gaumer aurait pu apporter aussi bien.
Passons aussi la polémique jamais éteinte de cette volonté d’extraire une case (heureusement mise en face de la page complète mais souvent reproduite trop petite pour être lisible) d’une œuvre dont l’objet essentiel est la narration. Les deux co-directeurs de l’ouvrage en font état dans la préface et font allusion à la controverse qui opposa naguère Pierre Sterckx, auteur d’une rubrique dans Les Cahiers de la bande dessinée intitulée « Cases mémorables », démarche comparable au présent ouvrage, à Benoît Peeters, scénariste bien connu et hergéologue patenté, qui avait critiqué cette approche. En représailles, le critique d’art de la bande dessinée co-commissaire de l’exposition de bande dessinée et d’art contemporain de la Maison Rouge en 2009, avait claqué la porte.
Mais on peut admettre sans problème que cette case extraite est souvent l’occasion d’une nouvelle (re-) découverte de certains auteurs dont le travail graphique est effectivement merveilleux et souvent méconnu (Wilhelm Busch, Chester Gould, Alberto Breccia, Daniel Goossens, Ben Katchor…)
Coffee Table Book
Reste l’objet, et le choix.
L’objet en impose. Sur cent « belles pages » (pages de droite) des dessins agrandis, tantôt en couleurs, tantôt en noir et blanc. L’agrandissement part le plus souvent de l’imprimé. Un choix raisonnable car certains originaux auraient été introuvables. L’ouvrage est édité par un éditeur d’art, les éditions de la Martinière, ce qui apporte sans conteste au prestige de ce que cet art qui se compte désormais comme le neuvième dans le rang protocolaire des Beaux-arts.
Ce florilège ose l’éclectisme jusqu’à, parfois, la mauvaise foi. Car, franchement, considérer Lewis Trondheim comme « l’un des 100 plus grands dessinateurs du monde », c’est un peu fort de café pour tous ceux qui font partie des oubliés. En même temps, d’autres choix font plaisir : Bézian, Ditko, Steranko, Reiser…
Pour le néophyte (surtout) comme pour le connaisseur, il faut cependant remercier Gilles Ciment et Thierry Groensteen de nous avoir fait passer, grâce à ce Coffee Table Book, un petit temps encore en compagnie de ces maîtres « face à qui nous ne sommes que des petits centimètres » me souffle Grzegorz Rosinski croisé hier et absent de ce choix d’auteurs, (en ce qui le concerne, il parlait de Breccia) et qui ajoute, sans même connaître ce livre :« La plupart des spécialistes de la bande dessinée ne savent pas ce qu’est l’art ! »
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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100 cases de maîtres : Un art graphique, la bande dessinée – Par Gilles Ciment et Thierry Groensteen (Dir.) – Editions de la Martinière
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