Lancée à l’automne 2009, Manolosanctis débarquait sur la scène bande dessinée avec une vision propre, celle d’allier une plateforme de diffusion numérique à un pôle d’édition d’albums papier. Et la nouvelle venue ne manquait pas d’ambition. Un site communautaire où tout un chacun poste ses travaux, beaucoup de choses très diverses à y voir pour l’internaute (plus de 2800 "albums" disponibles en ligne pour 3 millions de lectures), des partenariats (Le Centre National du Livre, Radio Nova, le FIBD d’Angoulême,...), des concours amenant des albums collectifs (Phantasmes, 13m28, Vivre dessous), et une trentaine de publications au total en deux ans. Un palmarès plutôt impressionnant pour ce "petit challenger".
Mais voilà, tout cela n’aura pas suffi. Dans un communiqué daté de ce 25 octobre, l’équipe explique qu’éditer des livres « est un métier à plein temps qui nécessite énormément de ressources humaines et financières, et qui s’est malheureusement avéré non rentable pour l’entreprise. Cette partie de l’activité de la société a par ailleurs éloigné les équipes de leur domaine d’expertise initial : les nouvelles technologies et l’ensemble des évolutions qu’elles peuvent apporter au monde de l’édition ».
Ainsi, Manolosanctis annonce l’arrêt de l’édition de nouveautés tout en assurant que le catalogue existant bénéficiera toujours de réassorts et réimpressions. Pour autant, les auteurs récupéreront les droits de leurs œuvres. Et c’est bien ce que feront certains dont les séries deviennent de ce fait stoppées avant leur dénouement. Une frustration logique à la fois pour les auteurs comme pour les lecteurs quand, à titre d’exemple, une trilogie telle qu’Oklahoma Boy devait livrer son final en janvier prochain.
Surprenante ou prévisible, cette nouvelle n’en reste pas moins triste. Manolosanctis avait su prendre des risques pour nous apporter des albums originaux, là où d’autres hésitent longuement à sortir du rang. Et des bons titres, son catalogue en possédait. Le Monstre, Mon Cauchemar et moi, Les Aventuriers du dimanche ou encore Catalyse, parmi d’autres, savaient sortir du lot avec une identité, un univers ou même des thèmes rarement abordés.
Mais il faut savoir garder les pieds sur terre dans ce monde où la concurrence est nombreuse et le porte-monnaie des lecteurs un peu trop vide (bien vaste et récurrent débat ces dernières années). D’une part, certains albums publiés accusaient un manque de maturité, un manque de fond aussi, ou une réalisation peut-être trop précipitée. Et le catalogue Manolosanctis était sans doute également trop peu accessible, donc pas assez vendeur. Qualité ou pas, la ligne éditoriale relativement restreinte manquait justement d’ouverture pour aller chercher un public plus large.
À noter que ce côté restrictif dans les choix éditoriaux, observé sous un certain angle, se posait quelque peu en contradiction avec les vocations participatives affichées par l’entreprise. Sur le papier, l’équipe devait prendre en compte l’avis des internautes pour éditer les albums plébiscités. En pratique, les projets qui n’entraient par exemple pas dans les bonnes cases étaient ignorés, même s’ils étaient populaires sur la plateforme. De quoi mettre en doute ce sur quoi Manolosanctis communiquait.
Alors, puisque la maison d’édition communautaire n’éditera plus d’album, qu’en est-il de son avenir ? Eh bien, celui-ci se tourne actuellement vers un nouveau projet annoncé comme « très ambitieux », qui naîtra en janvier 2012 : une offre d’autoédition multi-formats.
En clair, Manolosanctis proposera aux auteurs des outils de diffusion qu’ils soient en ligne, sur les smartphones et tablettes, ou sur papier via un système d’impression à la demande et dont les albums ainsi publiés pourraient à terme se retrouver en librairies.
« Ce nouveau projet est né d’un besoin de renouer avec la promesse fondatrice de Manolosanctis, nous dit le communiqué, à savoir faciliter l’émergence de nouveaux auteurs et permettre une meilleure rémunération pour leur travail, et
s’adresser aux auteurs qui cherchent une voie alternative à celle de l’édition traditionnelle. [...] Elle permettra ainsi à tous les auteurs de tous styles (BD, manga, jeunesse, etc.) d’accéder à une solution de fabrication et de distribution professionnelle de leurs livres papier et numérique, sans avance ni préfinancement de leur part, tout en conservant leurs droits d’auteur ».
Reste à savoir comment sera gérée cette nouvelle formule qui suscite bien des questions. Qui pourra faire distribuer ses livres en librairie ? Il est évident qu’on ne peut pas permettre à tous d’user librement de ces réseaux de distribution, ces derniers ayant déjà bien du mal à mettre en rayon toutes les nouveautés qui leur arrivent par cartons entiers chaque semaine. Car même si cela pourrait favoriser l’émergence de nouveaux talents, cela ouvrirait aussi les portes au tout-venant. Dans quelles limites ?
De plus, tout cela a un coût. L’impression d’un livre, ce n’est clairement pas donné, à fortiori lorsqu’elle est réalisée à la demande. Comment les auteurs pourraient donc être mieux rémunérés ?
Des sites permettant l’impression à la demande de romans ou de bandes dessinées, il en existe déjà, tels TheBookEdition ou Lulu. Ceux-ci permettent à qui le désire d’auto-publier un livre en version papier et/ou pdf. En fonction des choix de fabrication et de la pagination, l’ouvrage est affecté d’un coût de base, c’est-à-dire ce qu’il faut payer pour chaque exemplaire imprimé. L’auteur est ensuite libre de choisir la marge qu’il souhaite toucher sur chaque livre vendu et de la répercuter sur le prix de vente. Le lecteur paye le prix de vente total, taxes comprises, reçoit son livre une fois imprimé, et l’auteur reçoit de son côté la somme correspondant à sa marge.
Dans la pratique, les coûts de fabrication étant assez élevés, surtout lorsque l’on souhaite un album couleur et que le tirage est restreint, on observe deux cas de figure : d’un côté l’auteur qui espère arrondir ses fins de mois en mettant une marge confortable, mais qui rend de ce fait le livre moins abordable ; de l’autre, l’auteur qui écoute sa bonne conscience et brade pour ainsi dire son travail pour conserver un prix de vente correct. Sans compter sur le fait que, pour en vendre, il faut encore faire la promotion du dit livre. Et dans le cas de ces sites, mis à part un catalogue en ligne, l’auteur doit faire sa pub lui-même s’il veut espérer en vendre quelques exemplaires. Peu de chance de faire fortune de cette manière...
Comment Manolosanctis envisage-t-il de tirer son épingle du jeu ? De rendre ces outils accessibles ? Y aura-t-il des limitations à l’usage ? Les partenaires et libraires suivront-ils ce nouveau pari ? Et les auteurs ? Et tant qu’on y est, comment seront conjuguées impression à la demande et mise en place en librairie ?
À l’heure actuelle il est bien difficile de répondre à ces interrogations comme de déterminer si la sauce prendra. Pour le moment, les avis que l’on peut voir sur la toile depuis l’annonce semblent plutôt tirer vers la circonspection. Nous devrions y voir plus clair d’ici quelques mois.
(par Baptiste Gilleron)
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