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Marc Sevrin et Pierre Pourbaix (Institut Saint-Luc à Bruxelles) : "Notre métier est de donner de l’espoir"

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 14 octobre 2007                      Lien  
Fondée il y a trente ans à Bruxelles, l’école de bande dessinée Saint-Luc fait aussi rentrée ces jours-ci. Rencontre avec leurs principaux animateurs, Pierre Pourbaix et Marc Sevrin.

Élèves de Claude Renard, le premier animateur de cette école dans sa forme actuelle, vous faites déjà figure d’anciens…

PP  : Oui, comme professeur, je suis entré un an avant Marc Sevrin, en 1982, aux côtés de Claude Renard. Il paraît que cette école de bande dessinée est une idée d’Hergé qui s’intéressait à la pédagogie de la bande dessinée, comme en témoignent les articles qu’il a écrits à ce sujet dans Le Journal de Tintin. Hergé était copain avec le directeur de Saint-Luc de l’époque et lui aurait suggéré de créer un cours de bande dessinée par correspondance. Son ami lui a dit que comme il disposait d’une bonne école d’art, il allait plutôt tenter de proposer une véritable parcours scolaire dédié. Il créa donc la première session d’enseignement de la bande dessinée en Europe. C’était il y a trente-neuf ans.

Quels ont été les premiers professeurs ?

Marc Sevrin et Pierre Pourbaix (Institut Saint-Luc à Bruxelles) : "Notre métier est de donner de l'espoir"
Le 9ème Rêve, recueil des travaux collectifs de l’Atelier

PP  : Eddy Paape en a été le premier titulaire. Il avait très peu d’étudiants et son option était essentiellement, disons, technique. Le successeur d’Eddy Paape est Claude Renard qui lui a donné l’impulsion actuelle, celle d’un atelier de création plus généraliste, moins technique. Suivent les années Neuvième Rêve dont sont issus des noms dont on se souvient facilement aujourd’hui comme François Schuiten, Philippe Berthet, Frédéric Bézian, Benoit Sokal,… la liste est longue. Et puis, à partir de 1982, je commence à travailler avec Claude puis, dès 1983, en compagnie de Marc Sevrin jusqu’à aujourd’hui. L’équipe s’est étoffée. Dans l’ordre, on a intégré Denis Larue et Julie Graux, puis Éric Lambé, et très récemment Thierry Van Hasselt de Frémok. Pas mal de nos anciens ont fait carrière dans la BD. On mentionne souvent Philippe Francq, le dessinateur de Largo Winch, parce que c’est rigolo, mais aussi la plupart des Frémok, des auteurs de La Cinquième couche, ou encore des gens comme Pierre Bailly, Jean-Luc Cornette ou Sylvain Savoia.

Est-ce que vous avez une statistique sur le pourcentage de vos étudiants qui ont fait de la bande dessinée leur métier ?

PP  : Si on prend trente ans d’existence et l’ensemble des étudiants qui sont passés chez nous, on arrive à 50% d’étudiants qui font ou qui ont fait de la bande dessinée leur métier pendant un temps raisonnable, de manière visible, car il y a aussi tout ce que l’on ne voit pas : ceux qui travaillent dans leur région, qui font de la BD d’entreprise ou du story-board, ou toute forme de communication qui nous échappe. Il y en a peut-être plus, mais on est en gros dans les 50%.

MS : Il y a plus de dix ans, on a fait des statistiques précises. A cette époque-là, il y avait plus d’étudiants belges qu’aujourd’hui.

Comment une école de bande dessinée assume-t-elle le fort clivage existant aujourd’hui entre bande dessinée d’auteur et bande dessinée commerciale ?

MS : Il n’y a pas de choix au départ. On n’y pense pas a priori. On travaille avec les étudiants de manière individuelle, en essayant de donner un maximum de références, mais en évitant d’en distinguer une en particulier. Nous essayons de faire sortir le potentiel de chacun. Il n’y pas de modèle unique.

Marc Sevrin, Pierre Pourbaix et Eric Lambé, professeurs à l’Atelier BD de Saint-Luc
Photo : D. Pasamonik

Le reproche que l’on fait souvent aux filières scolaires, c’est de fabriquer des chômeurs.

PP  : Durant ces trois années, il y a de la part des étudiants des découvertes qui sont faites. Nous ne leur donnons pas une certitude d’être publié, mais par contre, on les forme, au niveau narratif et au niveau de l’image, à des orientations très diverses.

Il y a un espoir qui leur est offert, quand même.

PP  : « Monsieur le professeur, êtes-vous un imposteur ? » C’est une question que je me pose tous les matins. Si je rejoins benoîtement ma salle de classe, c’est parce qu’en mon âme et conscience, je pense que la réponse est « non ». Notre métier n’est pas de donner de faux espoirs, mais de l’espoir tout court. Ces candidats, ces étudiants, ont besoin ; c’est ce qu’ils demandent. Nous les aidons souvent à réaliser un rêve d’enfant. On est là pour ça. Nous savons très bien que certains ne vont pas aboutir. En même temps, statistiquement, nous savons que d’autres, en revanche, vont réussir, mais on ne sait jamais lesquels : c’est totalement imprévisible. C’est le fait de notre travail et de leur travail, et puis aussi de leur évolution après leurs études. Car les études, bien sûr, ce n’est pas le tout. Les études, ce n’est qu’un début. On leur met le pied à l’étrier, puis il faut continuer par soi-même ensuite. On ne leur donne donc pas la certitude de devenir auteur mais la possibilité de graviter dans le monde de l’image et de la bande dessinée. Des éditeurs comme Thierry Joor aux éditions Delcourt ou des scénaristes, des storyboarders, sont passés par cette formation. Et puis, il y a tous les autres qui ne feront jamais ce métier, y compris ceux qui, comme c’est le cas dans d’autres formes d’art, pour qui ces études sont une transition. Ils savent très bien qu’elles ne sont pas la finalité de leur parcours. J’ai le souvenir, par exemple, de quelqu’un qui s’est lancé dans une carrière de peintre abstrait. Cet étudiant n’aurait jamais été peintre s’il n’avait pas débuté par la bande dessinée.

Quel conseil donneriez-vous à une mère de famille qui a un enfant de quinze ans qui aimerait bien faire de la bande dessinée ?

PP  : La réponse peut paraître stupide mais elle est totalement sincère : il faut aimer cela, adorer la bande dessinée. Il faut être totalement passionné. Il faut être curieux de tout, y compris de ce qui se passe en dehors de ce médium. Il faut avoir une irrépressible envie de raconter des histoires et il faut aimer dessiner, dessiner spontanément, je veux dire. A priori, quelqu’un qui n’a jamais dessiné ne devrait jamais s’engager dans le domaine de la bande dessinée. A part ça, rien : il n’y a pas d’autre critère. Techniquement, il faut seulement un diplôme d’humanité pour les Belges et le Bac pour les Français.

Vous avez des étudiants de quelles origines ?

PP  : En moyenne, l’étudiant en bande dessinée est majoritairement un garçon, même s’il y a aujourd’hui plus de filles qu’avant, et c’est tant mieux ; il est majoritairement français, même si les Belges reviennent un peu, et nous avons chaque année un ou deux candidats suisses, régulièrement des candidats italiens, allemands…

Qu’est-ce qui, selon vous, pousse un candidat étranger à s’inscrire en Belgique ?

PP  : Nous avons une très bonne réputation en France. Par ailleurs, l’offre de l’enseignement de la bande dessinée en France est extrêmement réduite par rapport aux nombres de candidats. Et le fait aussi que nous avons une offre spécifiquement dédiée à la bande dessinée, ce qui est relativement rare. Même à Angoulême, on ne commence pas directement la bande dessinée. Il y a d’abord un tronc commun en arts plastiques tandis que chez nous, c’est spécialisé en bande dessinée dès la première année.

Propos recueillis à Lausanne, le 7 septembre 2007.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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2 Messages :
  • salut je suis un jeune jai 18 ans est jai envie de devenire dessinateure de bd comment faire pour faudrait il suivre des etude poussee

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    • Répondu par mister pêchoton le 12 février 2008 à  14:16 :

      vu le marché actuel, les études ne servent à rien ( j’ai fait illu, et c’est pas avec ça que j’ai gagné ma vie)
      fais des études motivantes tout d e même mais qui pourront par la suite te faire bouffer, la bd est malheureusement le créneau le plus facile pour vivre.
      je te conseille de t’inscrire dans une académie ( pour la belgique, pays où j’habite) et de suivre cela en cours du soir, tu feras de la bd comme hobby et avec plaisir, tu rencontreras des pros qui te conseilleront, tu éviteras aussi tous des cours chiants ( philo, sémiologie, ... qui ne servent qu’à buser les moins doués ou moins motivés).
      ensuite fais gaffe à ton orthographe, les éditeurs rigolent toujours bien quand ils reçoivent un dossier bourré de fautes ; ils se disent " ha, ça, c’est un vrai dessinateur, et ils n’ont pas encore vu tes planches, fais gaffe tout de même à ça
      et puis, il existe ça aussi, mais moi, j’ai jamais essayé, j’ignore si c’est bien, mais ça existe :
      http://www.atelierbd.com/index.php?option=com_magazine&Itemid=171

      bon courage et un dernier conseil, n’arrête pas dessiner ;-))

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