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Marc du Pontavice : "Les auteurs de BD nous emmènent beaucoup plus loin que les auteurs de cinéma"

Par Arnaud Claes (L’Agence BD) le 16 mai 2010                      Lien  
Producteur des adaptations animées de {Lucky Luke} à la télévision et au cinéma, mais également du {Gainsbourg} de Sfar, Marc du Pontavice était membre du jury de la Meilleure bande dessinée adaptable [au dernier Forum cinéma et littérature de Monaco->http://www.actuabd.com/Forum-Cinema-et-Litterature-2010].

Pourquoi êtes-vous entré chez Gaumont après avoir fait Sciences Po ?

J’ai fait Sciences Po le jour où j’ai décidé que je voulais faire du cinéma : j’avais envie de travailler dans ce métier-là, qui me passionnait. N’ayant aucune connaissance dans ce milieu, comme c’était l’époque où ils commençaient à recruter des diplômés, j’y suis entré par un angle qui était juridique et financier. Donc j’ai commencé de cette façon à travailler dans un groupe audiovisuel ; un an après, nous avons eu l’opportunité extraordinaire de créer la division télévision de Gaumont. J’avais un patron à l’époque qui s’intéressait plus aux problèmes stratégiques et créatifs : il m’a laissé libre sur toute la partie logistique, et j’ai appris énormément pendant des années. J’ai vécu des aventures assez passionnantes, Highlander notamment, qui était une grosse série internationale…

Marc du Pontavice : "Les auteurs de BD nous emmènent beaucoup plus loin que les auteurs de cinéma"
Marc du Pontavice
Photo A. Claes

Et puis je suis allé voir Gaumont en 1995 en disant que je ronronnais un peu, que j’avais envie de voir autre chose, et ils m’ont dit : si tu as une idée d’activité qu’on n’a pas et que tu as envie de faire, fais-nous une proposition. Je suis revenu 15 jours après en leur proposant de faire du dessin animé : je n’y connaissais rien, mais je voyais que c’était un marché qui se développait, et puis j’étais déjà grand lecteur de BD… On a donc créé Gaumont Multimédia, qui faisait à la fois du dessin animé, de l’Internet, du jeu vidéo, etc. Et puis je suis devenu indépendant en 1999 en rachetant la division Gaumont Multimédia, qui est devenue Xilam.

Pourquoi Gaumont s’est-elle séparée de cette division ?

A partir de 1998-99, Gaumont a adopté un changement de stratégie lié à des besoins de financement importants dans les multiplexes, et ils ne voulaient plus consacrer des moyens significatifs à l’animation. Moi ça me rendait un peu malheureux, évidemment… Et puis, que ce soit chez Gaumont Télévision ou surtout chez Gaumont Multimédia, j’avais toujours eu une très grande autonomie : j’en ai fini par conclure que je n’avais pas besoin d’appartenir à un groupe, et que je pouvais faire ça par moi-même. Donc on a trouvé un accord, j’ai racheté cette division à Gaumont, et j’ai pu la développer sous le nom de Xilam.

Les Nouvelles aventures de Lucky Luke
(c) Xilam

En 1999, vous produisez la série animée Lucky Luke, en accord avec Dargaud et Lucky Comics, qui remporte un grand succès.

Oui, j’avais toujours eu le sentiment que Lucky Luke, contrairement à Astérix, avait été mal servi dans ses adaptations audiovisuelles. Je savais que Morris, qui avait été formé dans le dessin animé avant de venir à la bande dessinée, avait conçu Lucky Luke plus avec une mentalité d’animateur que d’auteur de BD au départ. Et il y avait des personnages comme Rantanplan, les Dalton etc. que je trouvais très cartoon, donc j’avais envie d’explorer ça. J’ai rencontré Morris en 99, on s’est très bien entendu, et j’ai eu la bénédiction de Claude de Saint Vincent : tous deux m’ont donné leur accord, ce qui était très généreux et courageux de leur part, parce que j’étais une nouvelle boîte qui se montait, même si j’avais eu déjà des succès importants chez Gaumont… On s’est lancés avec un pari un peu fou, qui était de ne pas adapter les histoires existantes, mais de partir sur 52 nouvelles histoires. Et ç’a été une très grande aventure, puisque la série a été diffusée pendant 5 ans tous les dimanches soirs sur France 3, avec une moyenne de presque 4 millions de téléspectateurs. Et puis, simultanément, on a fait la deuxième saison d’Oggy : avec Oggy et Lucky Luke j’ai pu créer un studio qui s’est fait connaître très vite dans le monde entier, et on a pu continuer comme ça.

Oggy et les cafards
(c) Xilam

Pourquoi avoir choisi le dessin animé ?

Une des raisons qui m’ont amené au dessin animé, outre mon amour de la bande dessinée et du dessin, c’est le rapport réalisateur-producteur. Je n’aimais pas forcément cette relation dans le cinéma et la télévision à l’époque : je trouvais qu’elle était difficile et pas très équilibrée, et dans le dessin animé j’ai très vite compris que le rôle du producteur était assez différent, avec notamment une responsabilité éditoriale plus importante. Ce que j’aime aussi dans le dessin animé, c’est que c’est un métier très modeste, très collectif : il n’y a pas de stars, et il y a un partage des rôles qui est vraiment intéressant.

Et puis c’est une matière assez magique, le dessin animé, parce que, sur le papier ou sur les ordinateurs, il n’est jamais trop tard pour changer les choses, pour améliorer. Alors que dans le cinéma et à la télévision, une fois qu’on dit moteur et qu’on commence à tourner, on est embarqué dans une rapidité où la place du producteur est moindre ; dans le dessin animé c’est un peu différent, il y a un dialogue très quotidien, très équilibré entre toutes les composantes créatives du film. Et puis il y avait une autre raison, qui est importante pour moi, c’est que j’adore l’international et que je ne conçois mon métier que dans une perspective internationale ; or mes dessins animés ont voyagé dans le monde entier, il y a quelque chose d’universel dans cette création-là qui est très gratifiant.

Qu’est-ce qui fait qu’une bande dessinée se prête à l’adaptation en dessin animé ?

La première chose, et la plus importante, c’est la force du personnage. Vous avez des bandes dessinées qui ont des univers visuels, graphiques, des atmosphères très belles, très prégnantes, mais qui ne décrivent pas forcément le parcours d’un personnage. Or la caractérisation est un élément très fort qui peut emmener, derrière, un récit cinématographique. Ensuite, il y a évidemment la dramaturgie, puisque dans les métiers du cinéma, le script est à la base de tout, et doit être porteur d’une dramaturgie, sinon rigoureuse, en tout cas tendue. Ensuite il y a plein de critères, y compris des choses très subjectives : on aime une bande dessinée ou on ne l’aime pas, on a envie de passer du temps avec cette œuvre-là… Je pense que si j’ai fait tellement de choses autour de Lucky Luke et de Morris, c’est parce qu’au-delà des qualités d’adaptabilité évidentes pour le cinéma et pour la télévision, je m’amusais beaucoup avec ces personnages. Rahan, de même, avait beaucoup marqué mon enfance, et j’ai aimé développer des choses autour de cette œuvre.

Rahan
(c) Xilam

Vous produisez aussi, depuis quelque temps, des films en prises de vue réelles, notamment le Gainsbourg de Sfar : on retrouve là le monde de la BD. Comment s’est passé le travail sur ce film, avec un auteur de bande dessinée pas forcément habitué à la logistique d’un film de cinéma ?

Il y a une grosse dizaine d’années, le cinéma s’est intéressé à la bande dessinée pour les sujets, les univers qu’il pouvait proposer : c’est normal, parce que la nouvelle génération de producteurs, qui était assez marquée par la bande dessinée, avait envie d’aller chercher des sujets de ce côté-là. La démarche nouvelle, avec Sfar mais aussi Riad Sattouf ou Marjane Satrapi, c’est d’aller vers la BD non pas pour chercher des sujets, mais des auteurs-réalisateurs. J’ai voulu faire ça pour plusieurs raisons : la première, c’est parce que je trouve que les auteurs de bande dessinée nous emmènent en général beaucoup plus loin que les auteurs de cinéma : ils ont une liberté, un sens visuel, créatif qui est très fort. Et surtout, ce sont des auteurs qui, contrairement aux romanciers, dans leur art, savent raconter des histoires et mettre en scène des personnages en composant une image. C’est déjà un pas qu’ils font vers le cinéma.

Ensuite, ce n’est un mystère pour personne que de dire que la BD elle-même, dans son découpage, est très influencée par le cinéma ; donc dans la façon de travailler le cadre et de raconter des histoires, il y a une sorte d’outil commun, une parenté artistique et culturelle. Enfin, une des choses que j’adore chez Joann Sfar et chez toute cette génération d’auteurs de bande dessinée, c’est que ce sont des fous d’histoires : ils arrivent à pondre beaucoup de BD parce qu’ils adorent raconter des histoires, et qu’ils ont réussi à inventer dans leur dessin quelque chose qui leur permet de travailler très vite – il n’y a pas ce « complexe pictural » qui a beaucoup alourdi une certaine bande dessinée française dans les années 70 et 80. Cette nouvelle génération-là est très adaptée au cinéma.

Gainsbourg (Vie héroïque)
DR

Enfin, pour passer au cinéma, il y a une autre qualité particulière que très peu d’auteurs de bande dessinée ont, c’est un vrai charisme : parce que c’est une chose de travailler tout seul sur sa table toute la journée, c’en est une tout autre de diriger 100 personnes pendant trois mois sur un plateau de tournage. Il faut avoir quelque chose de très extraverti, d’expansif, il faut aimer les comédiens – ça aussi c’est très important, parce que quand on n’aime pas les comédiens, on ne peut pas les diriger. Joann avait toutes ces qualités, qui se sont révélées au fur et à mesure de la préparation. Ce qui explique que, dès son premier film, il fait une œuvre incroyablement accomplie : et je suis fier de ça, parce que c’est une œuvre très, très singulière, qui ne ressemble à rien dans le cinéma français, et ce pari-là, qui était un peu compliqué et fou au départ, est réussi.

Quels sont vos projets en cours, est-ce que vous allez continuer à accompagner des auteurs de BD ?

Oui, on a acheté en particulier les droits d’une œuvre que j’aime énormément : Trois Ombres, de Cyril Pedrosa [i]. Ce n’est pas une œuvre facile, au premier abord son adaptabilité au cinéma n’est pas évidente, parce que c’est quand même un sujet assez dur, traité en grande partie de façon très onirique ; donc il y a un gros boulot d’adaptation, mais la force des personnages, la force du sujet m’ont profondément touché. Ce sera un film en prises de vue réelles, pour lequel Cyril n’était pas intéressé par la réalisation ; en revanche il travaille à l’adaptation avec deux jeunes réalisateurs espagnols qui viennent de l’animation, Adrian Garcia et Victor Maldonado, qui ont déjà réalisé Nocturna, et dont j’adore le travail.

(par Arnaud Claes (L’Agence BD))

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Photo médaillon : A. Claes

[iTrois Ombres avait été nominé parmi les 5 finalistes au Forum Cinéma et Littérature de Monaco en 2008. C’est R.G de R. Dragon & F. Peeters et qui avait finalement été retenu par un jury présidé par Enki Bilal.

 
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