Alors, 2021, annus horribilis pour les auteurs ? Pas tous. Les auteurs japonais (et les éditeurs, leurs agents) doivent être contents, on suppose. Idem pour les auteurs d’Astérix et de Mortelle Adèle et une poignée de créateurs qui sont dans le Top des ventes, cumulant parfois les fonctions d’auteur et d’éditeur, comme Riad Sattouf cette année.
On parle de quels auteurs ? Des quelque 1500 à 2000 professionnels qui vivent de ce métier en France et qui élisent le Grand Prix d’Angoulême cette année et dont le documentaire de Maiana Bidegain & Joël Callède, "Sous les bulles, l’autre visage du monde de la bande dessinée" (MediaKrea) pointait il y a quelques années l’insuffisance des revenus..
Évidemment qu’une grande part d’entre eux (les débutants, les vendeurs modestes…) ont des difficultés. Ils sont dans une situation semblable à bon nombre de créateurs : peintres, écrivains, musiciens, photographes, plasticiens, dramaturges… pour la plupart des autoentrepreneurs dont la moyenne des revenus est en France, selon l’INSEE, de… 600 euros par mois.
Comment s’en sortent-ils ? Par la pluriactivité. Bon nombre d’auteurs sont aussi enseignants, font de la publicité, sont maquettistes, storyboarders, journalistes, salariés à temps partiel dans une activité toute autre, avec de grosses disparités selon les origines sociales ou les situations géographiques. Face à un nombre aussi peu significatif, le gouvernement préfère faire la sourde oreille, orientant ses efforts vers des secteurs plus rentables électoralement.
L’autre parallèle qui mérite d’être fait, c’est que les 40 plus grandes entreprises françaises, le CAC 40, qui a atteint ce 5 janvier son record absolu, a effaçé la crise de la pandémie et au-delà, surtout dans les valeurs du luxe. Comme dans la BD, la crise profite aux très très riches, et pas à la cohorte de « petits » auteurs qui ont du mal à nouer les deux bouts.
Revendications
Quelles sont leurs revendications, dès lors ? On l’a vu. D’abord d’être entendus. Et ils l’ont été dans un Rapport Racine qui a dressé un état des lieux dans lequel les auteurs se reconnaissent. Mais le Rapport Sirinelli/Dormont qui a suivi, écrit par des techniciens du droit, a souligné à quel point un bon nombre de ces revendications n’étaient applicables sans une remise en cause de l’ensemble de l’édifice social, plusieurs d’entre elles n’étant d’ailleurs pas du ressort du Ministère de la Culture.
Depuis, celui-ci botte en touche. On a rarement eu une ministre de la culture aussi effacée qu’aujourd’hui : Aurélie Filippetti, Fleur Pellerin, François Nyssen ou Franck Riester ont tous peu ou prou rencontré des auteurs de BD, par exemple en leur accordant le hochet des décorations. Ce n’est pas le cas pour « la pharmacienne » comme on la surnomme du côté de Blois. On a refermé le dossier avec celui -piteux- de « l’année de la BD » qui a été longue comme un calvaire.
Dans une récente « lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle », le groupement des Auteurs Autrices en Action fait ce constat : « Dans le contexte d’une baisse du lectorat de la bande dessinée francophone — baisse qui est à relativiser cependant — la tension entre ces protagonistes se fait de plus en plus aigüe. Nous nous trouvons maintenant devant une population d’autrices et d’auteurs paupérisée, sans marges de négociation face à des entreprises ayant pour but d’assurer leurs bénéfices dans un contexte concurrentiel. On peut évidemment tenter, pour traiter ce problème, de mettre l’accent sur le dialogue, mais il semble illusoire d’espérer que la bienveillance et l’éthique des maisons d’édition, des structures de diffusion et de distributions, soient seules suffisantes pour réguler cette situation structurellement déséquilibrée. »
Puisqu’il n’y a apparemment rien à attendre des acteurs de la chaîne du livre si l’on lit ces lignes, les AAA s’adressent par conséquent à l’État, ou plutôt à ses représentants putatifs, en exigeant :
Une reconnaissance des instances représentatives des auteurs de BD ;
Un statut spécifique aux auteurs de BD ;
Une limitation de la durée de cession des œuvres afin de pouvoir renégocier régulièrement les contrats ;
Un mécanisme de redistribution comparable au cinéma, lequel prélève une taxe sur les films importés pour la redistribuer à la production française (les éditeurs de mangas et de comics sont ici visés) et aux intermittents du spectacle dont le statut séduit les auteurs ;
Enfin, un accès transparent aux ventes et au compte d’exploitation de l’éditeur pour améliorer la répartition des revenus une fois le seuil de rentabilité atteint.
Un équilibre pas simple à trouver
Évidemment, en face, le Syndicat National de l’Édition hurle (discrètement) à la mort. Le ministère de la culture sifflote Nabucco de Verdi en regardant ailleurs. La rencontre de ces revendications, on imagine l’argument, fragiliserait encore davantage l’édition française face à une concurrence mondialisée. Elle peut avoir un effet pervers, déjà à l’œuvre : le recrutement d’auteurs étrangers, moins chers et plus dociles, mais produits en France. Dans cette perspective, face à des éditeurs inflexibles, les auteurs deviennent la marge d’ajustement de l’activité puisque, par définition, les postes d’impression et de diffusion/distribution sont peu compressibles.
Attendons de voir ce que diront les candidats aux Présidentielles qui, comme on le sait, ont aujourd’hui des auteurs de BD accrochés à leurs basques. Ceux-ci en profiteraient pour faire du lobbying ? C’est souhaitable.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Photo Cédric Munsch
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