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Marek Halter : « J’ai découvert la bande dessinée grâce à Art Spiegelman »

Par Charles-Louis Detournay le 6 décembre 2010                      Lien  
[La Mémoire d'Abraham->art10671] est un best-seller qui s'est vendu à plus de cinq millions d'exemplaires à travers le monde, mais c'est aussi un très beau livre sur l'histoire du peuple juif. Rien d'étonnant à ce que Casterman se soit lancé dans son adaptation en bande dessinée. Son auteur revient avec nous sur ce qui l'a voulu mettre dans son livre et comment il a accueilli ce travail de transposition.

La Mémoire d’Abraham n’est pas votre première implication dans la bande dessinée, car Marie a déjà été travaillé par Élie Chouraqui…

J’ai réellement découvert la bande dessinée avec cette adaptation de la Mémoire d’Abraham. Effectivement, Élie Chouraqui avait déjà travaillé sur Marie, mais je ne m’y étais pas du tout impliqué. À chaque fois que j’entre dans une librairie, je demeure fasciné de voir ces enfants plongés dans la lecture de bandes dessinées, coupés du monde et réellement impliqués dans leur histoire. De plus, j’apprécie cette faculté de s’identifier avec un personnage dessiné, ce qui n’est pas donné à tous les lecteurs de roman.

Tout ceci est finalement une vision extérieure. Qui vous a alors permis de franchir le pas et d’y pénétrer ?

C’est Art Spiegelman qui un jour m’a appelé de New-York, m’annonçant que Maus, son album sur la Shoah, allait sortir en France. Il me demandait de la préfacer. Ce que j’ai fait, bien entendu, car au-delà du défi de traiter ce sujet en bande dessinée, il est parvenu à susciter une émotion rare ! J’ai donc appris qu’on pouvait faire beaucoup de choses à travers ce média, et tout le sens qu’on pouvait apporter à un dessin, en lui plaçant une bulle, même si ce n’est qu’un simple point d’exclamation. Cela m’a permis d’accepter cette aventure lorsque mes amis de Casterman sont venus me proposer d’adapter La Mémoire d’Abraham à raison de deux albums par an. Cela me forcera à vivre plus longtemps ! (rires)

Marek Halter : « J'ai découvert la bande dessinée grâce à Art Spiegelman »

On prévoit dix albums, mais cela ne semble pas encore tout-à-fait défini…

Nous ferons au moins dix volumes, mais il est possible que nous revenions sur certaines époques que nous avions originellement écartées. La série pourrait donc s’étendre à douze titres, voire plus ! Le découpage n’a effectivement pas été évident : devoir couper et enlever des pans de votre histoire vous arrache parfois le cœur. Mais en définitive, tout cela s’est fort bien réalisé, et j’étais heureux de découvrir le travail en équipe, à l’opposé du roman où vous êtes le seul maître à bord.

Qu’avez-vous alors réellement appris dans ce travail d’adaptation ?

J’ignorais que ce sont souvent des personnes différentes qui dessinent en noir et blanc tandis que d’autres mettent en couleur. La couleur est très importante car elle change toute l’atmosphère du récit ! Ainsi, j’ai demandé qu’on rajoute du bleu, au lieu de toujours tourner autour des bruns. De plus, ils ont trouvé le moyen de m’insérer dans la bande dessinée, et donc il faut un dessinateur qui ne s’occupe que de mon personnage ! (rires)

Les dessins sont bien entendu différents de votre propre mise en scène intérieure…

Cela fait aussi partie de l’aventure ! Comme un casting, le dessinateur vient m’apporter des dessins des personnages en me demandant s’ils correspondent bien à leurs caractères. Parfois, lorsque je vois une scène, je me rends compte de la distance entre ma propre vision et celle qui est proposée, amplifiée par le regard des autres, mais cela m’apporte une autre perspective du récit, une lecture différente de mon roman. Attention, je ne suis pas plus malin qu’un autre, mais j’ai soif de savoir, et j’adore apprendre de nouvelles choses !

Je suppose que cette adaptation vous permet de découvrir la vision des autres dans ce récit qui se destine au plus grand nombre ?

C’est le bonheur, car je m’ouvre à un autre public. Ainsi, je fais encore reculer la barrière de l’ignorance en propageant le récit d’Abraham, empreint de tolérance et d’écoute. Un exemple : il y a quelques jours, je quitte une salle après un exposé, et un homme vient me présenter son fils en me disant : « Je l’ai prénommé Marek après avoir lu “La Mémoire d’Abraham”. » J’avais bien sûr les larmes aux yeux, et je demande au garçon s’il a lu le roman, ce qu’il n’avait pas encore fait, trop jeune qu’il était, et je lui ai répondu : « Ne t’en fais pas, tu pourras bientôt le lire en bande dessinée ! »

C’est aussi une façon de souligner le caractère universel de votre livre…

Je n’aime pas faire de l’Histoire avec des dates et de grandes batailles. Je voulais attacher cela à des hommes pour qu’on ressente ce qu’ils ont pu vivre. Même si les technologies évoluent, je pense que dans mille ans, il y aura toujours un Roméo pour dire “Je t’aime” à sa Juliette. Cela veut donc dire que cette histoire ancienne de la Mémoire d’Abraham est aussi la nôtre, et c’est ainsi qu’il faut la lire, pour nous comprenions les bêtises de nos ancêtres, afin de ne pas les répéter. Pour faire ce lien, je demeure le témoin de ce que je raconte, pour éviter que la distance ne s’installe.

Le récit conserve donc le monologue intérieur, si important dans votre livre !

Oui, et c’est heureux. Car mon livre est le premier à raconter une si longue généalogie, sorti avant Racines qui évoque trois cents ans d’esclavage. J’ai donc abordé quatre-vingt générations, donc autant d’histoires, et il fallait maintenir le suspense pour que le lecteur ne désire pas fermer le livre au passage d’une génération. C’est pour cela que je me suis introduit dans mon livre, devenant le détective de ma propre mémoire, et j’ai essayé d’associer le lecteur à cette recherche.

Lorsqu’on se lance dans une adaptation avec plusieurs dessinateurs, la couverture est un élément important, qui doit frapper autant le regard qu’elle ne lie les différents volumes. Ce sont vos origines polonaises qui vous ont poussé à faire appel à Rosinski ?

Nous nous sommes rencontrés dans un magasin, alors qu’il signait ses albums, tandis que je faisais de même avec mes livres. Nous avons échangé quelques mots, avant de poursuivre à bâtons rompus en polonais. Comme anecdote, j’ai raconté cela à mes amis de Casterman, qui m’ont presque sauté dessus en me demandant de le contacter pour dessiner les couvertures. Rosinski m’a tout d’abord demandé de lui envoyer La Mémoire d’Abraham en polonais, et après l’avoir lu, il a non seulement accepté de réaliser les couvertures, et a également demandé de pouvoir dessiner la partie qui se déroulera en Pologne ! Son fils va d’ailleurs également travailler sur une autre partie du récit.

Je suppose que vous ne connaissiez pas auparavant Jean-David Morvan qui s’occupe de transposer le roman en bande dessinée ?

Non, j’ai fait sa connaissance chez moi, lors des réunions de travail. Nous nous sommes vus à plusieurs reprises, et il a très bien compris ma démarche, accomplissant une tâche que je n’aurais pas pu faire ! La réussite de la rencontre me conforte dans l’estime que je porte maintenant à la bande dessinée, mais attendons de voir comment le public va réagir avant d’envisager d’autres adaptations.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire l’interview de Jean-David Moravan en lien avec cette adaptation

Lire notre chronique du T1 de la Mémoire d’Abraham.

Photo en médaillon : © CL Detournay

 
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