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Margaux Motin : "Le cœur du sujet, c’est cette nana qui part à la recherche d’elle-même."

Par Thierry Lemaire le 24 juin 2013                      Lien  
Avec {La Tectonique des plaques}, Margaux Motin s'éloigne du recueil de notes de blogs pour proposer une histoire beaucoup plus scénarisée. Pour autant, elle n'abandonne pas son modèle habituel de suite de gags en "strips". Penchons-nous donc sur une auteure dont le talent va bien au delà de la seule étiquette "girly" dans laquelle on la cantonne par réflexe.

Pour ceux qui penseraient que vous êtes apparue comme par magie dans un petit nuage de fumée, quelle est votre formation ?

J’ai fait un BTS Communication visuelle à l’école Olivier de Serre sous la direction de Jean-Christophe Chauzy. J’ai arrêté au bout de trois ans, j’ai fait des petits boulots. Et puis j’ai vraiment démarré il y a une dizaine d’années, en démarchant d’une part mon agent actuel pour des travaux d’illustration et de pub, et d’autre part divers magazines. J’ai fait ça pendant cinq ans avant d’ouvrir le blog.

Et l’école, ça vous a apporté quelque chose ?

Plein de trucs. C’était une époque où les écoles d’arts appliqués étaient encore très libres. Il y avait une atmosphère hyper-créative. A l’époque, on n’avait pas tous un ordinateur à la maison. Ça permettait d’avoir des ordis, de la terre glaise, de la peinture. D’autres travaillaient le métal, la céramique... Dès qu’on avait une idée, tout était potentiellement réalisable. Ça n’arrive qu’une seule fois dans une vie d’avoir tout à portée de main pour créer. Et puis j’ai appris les bases du métier, à construire une image, à répondre à une demande.

Et la voie royale après l’école, c’était la pub ?

Quand je suis sortie de l’école, je ne savais pas trop ce que je voulais faire. Et c’est en commençant le dessin de presse que je suis tombée sur Virginie, mon agent, et que j’ai vu qu’il y avait des illustrations de pub. Mais je n’avais pas prémédité le truc. Je voulais juste dessiner.

Margaux Motin : "Le cœur du sujet, c'est cette nana qui part à la recherche d'elle-même."

Et qu’est-ce qui vous a poussé à ouvrir un blog ?

Un accident de parcours. J’avais un site Internet à l’époque, comme book. Mais l’hébergeur a déposé le bilan et est parti avec le squelette de mon site. Il a fallu que je trouve une solution et c’était le début des blogs. Et j’ai commencé comme ça. Au départ, c’était juste pour mettre mes dessins de presse et de pub.

Et pourquoi avoir choisi de poster des dessins sur les petits travers de la vie quotidienne ?

Ça s’est fait très naturellement. Entre deux commandes, je pouvais faire un dessin selon mon humeur, mon idée. Ça me permettait de sortir de l’aspect purement illustratif de mon métier. Là, je pouvais illustrer mes propres textes.

C’était presque pour se détendre.

Ah, le but premier, c’était uniquement pour me détendre. Faire rire ma mère, ma sœur et mes cousins, entretenir le lien avec ma famille. Au début, j’avais 20 lecteurs, c’était la gloire. J’étais hyper-fière. Je connaissais chaque lecteur.

Et le succès, le trafic important sur le blog, c’est arrivé rapidement ?

Il y a eu des étapes. La première, quand je suis passée de 20 lecteurs à 200, c’est quand la famille en a parlé aux amis. La deuxième étape importante, de 200 à 2000, c’est quand j’ai fait un portrait d’Alix qui tient le blog de mode "The cherry blossom girl". Je ne connaissais pas le réseau blog, je ne savais pas ce qu’étaient les fanarts. Elle a mis mon dessin en ligne avec un lien vers mon blog, et le nombre des visiteurs a explosé. Après, il y a le magazine Muteen, pour qui je travaillais depuis longtemps, qui a fait un petit papier sur mon blog. Et puis ensuite, dépassé un certain seuil, ça grimpe tout seul.

Que ce soit ce livre ou les précédents, vous parlez de choses intimes sur le ton de l’autobiographie. On a toujours envie de savoir quelle est la part autobiographique dans tout ça.

C’est une histoire tirée de faits réels. Voilà le bon intitulé. À la base, il y a vraiment eu une rupture, ma fille qui me dit tel ou tel truc, telle copine avec qui il se passe telle chose, mais je ne raconte pas les événements tels qu’ils se sont déroulés au premier degré, type journal intime.

Pendant ma semaine de travail, j’ai des plages horaires qui sont dédiées à l’écriture automatique. Pendant une heure, je vais balancer en vrac tout ce qui me vient, et ensuite je vais avoir des heures pour trier ça, les renvoyer vers différents groupes d’idées qui sont déjà prénommées. C’est très structuré. Bien sûr c’est tiré de faits réels, mais il y a tout un travail d’écriture, de scénarisation, pour donner de la densité au personnage, pour enrichir tout ça. Et dans la vraie vie, quand il m’arrive quelque chose, il n’y a pas une chute comique à chaque fois.C’est dommage, je trouverais ça génial (rires). Non, au premier degré de la vie, je chiale. Après, il y a tout le travail pour faire rire.

Une histoire tirée de faits réels

Et les précédents aussi ?

Les précédents étaient plus bruts, parce que ça fonctionnait sur le système de la note de blog. Il y avait moins de travail de structure parce que c’était une petite intention à chaque fois. Là, on est sorti de la note de blog. Je me suis posée des vraies questions scénaristiques. Qui est ce personnage ? En l’éloignant de moi, parce que je n’ai pas envie de m’abîmer.

Rien n’est sorti sur le blog ?

Une dizaine de pages, pas plus.

Par rapport au précédent, le ton est moins léger. Avec des événements tragiques comme une séparation ou l’opération de votre père. Mais j’aurais aimé que vous alliez un peu plus dans cette direction.

Je me suis posée la question. Mais je pense que ce serait plus simple si je faisais une vraie fiction. Comme c’est tiré de faits réels, j’ai cette volonté de ne pas sombrer dans le tragique parce que ça touche trop à ma vie. Ce bouquin là ne s’y prête pas. Et puis dans la vie, je ne suis pas très douée pour la tragédie.

Le fil rouge de l’album, c’est votre vie amoureuse, mais vous ne résistez pas à la tentation de parler de votre statut de mère, des copines, etc. Vous n’avez pas eu envie de focaliser juste sur l’histoire d’amour ?

Non, parce que c’est le fil rouge narratif, mais ce n’est pas le fond du sujet. Le cœur du sujet, c’est cette nana qui va partir à la recherche d’elle-même. Tant qu’elle ne se confronte pas à qui elle est, l’amour elle pourra le chercher autant qu’elle peut, elle se cassera la gueule à chaque fois. Il fallait que j’explore tous les aspects de la vie.

Il y a toujours cette volonté de montrer l’intimité d’une femme. « La femme est un homme comme les autres », lit-on au milieu du livre. D’où vient ce besoin ?

C’est quelque chose qui est vécu de manière viscérale par la majeure partie des femmes. Ce grand cri qu’on est nombreuses à avoir, qui est : « Mais laissez-moi vivre comme je veux ! ». C’est un besoin en tant qu’artiste de porter ce cri-là. Je l’entends chez mes copines, dans ma famille. Moi, je suis très mal à l’aise avec tout ce qui est carcan, emprisonnement, préjugés. J’ai besoin de porter cette voix de liberté. On peut être qui on veut, tout est possible. Ça a l’air très romanesque comme ça, mais je trouve que c’est indispensable. Quand je reçois des courriers de lectrices et que je vois à quel point ça les porte aussi, je suis contente, je me dis que mon travail est fait. Il n’y a pas tant d’espace que ça où les femmes peuvent dire ce qu’elles ressentent. On sort d’une longue période où l’on s’est imposé des objectifs de super-héroïne, et là j’ai très envie qu’on pose un peu toutes les armes et qu’on accepte ses faiblesses, celles des autres, celles de nos mecs. Même les femmes se mettent à juger les femmes et à leur dire comment elles devraient se comporter. Je trouve ça insupportable.

Quand je parle d’intimité, je parle aussi d’intimité physique. Vous éprouvez le besoin de montrer une certaine intimité physique de la femme. Ça se montre aussi.

Oui, il n’y a pas de raison. Parce que c’est naturel et qu’il n’y a pas de pudeur entre filles. Les filles, ça va aux toilettes ensemble et ça fait pipi en discutant. Les filles entre elles ont rarement de difficultés avec la nudité. D’ailleurs, ce que j’ai comme retour sur l’intimité, c’est « t’as tellement raison, c’est tellement vrai ! ». Il ne faut pas faire de fausse pudeur. C’est bien qu’on se décomplexe avec ça. C’est du corps, ce n’est pas bien méchant.

En ce qui concerne le graphisme, comme à votre habitude il y a un gros travail sur les mimiques des personnages. C’est souvent drôle. C’est un genre de comique que vous aimez bien ?

C’est ma passion ! (rires) Non, mais c’est vrai. Le premier bouquin à m’avoir influencée quand j’étais gamine, il a pour titre Héloïse, qui est l’histoire d’une petite fille qui habite au Plazza. Ce personnage est bouleversant tellement l’auteur a réussi à mettre en dessin toutes les petites faiblesses de l’humain. Un petit bout de chaussette qui traîne par terre, le cheveu un peu en pétard, des petites mimiques. Ça rend cette petite gamine tellement proche. Je trouve ça passionnant. Je passerais des heures et ma vie d’illustratrice à aller de plus en plus loin dans le travail de l’attitude et de la mimique.

Festival d’attitudes

Oui, et puis il y a une expressivité qui est très juste aussi chez vous. Comment faites-vous ?

Je me filme pendant des heures.

C’est pire que le miroir.

Oui, je me filme. Parce que le miroir, c’est moins pratique pour faire semblant de courir par exemple. Alors que si vous vous filmez de manière un peu gogol, vous pouvez percevoir quelque chose. C’est comme ça que font les gens dans l’animation. Donc je me filme en répétant les textes.

Donc toutes les grimaces ridicules viennent de votre visage.

Non, pas toutes.

Vous filmez d’autres personnes ?

Non, je regarde beaucoup ce qui se fait dans les dessins animés. Tous les Disney depuis les 101 Dalmatiens, c’est quand même une merveilleuse école de la synthèse de la grimace et de l’attitude. Je m’inspire beaucoup de ce qui se fait dans les dessins animés.

En tout cas, c’est très réussi. Tous les lecteurs ne s’en rendent peut-être pas compte de cette originalité dans les attitudes, et j’ajouterais même dans les vêtements. Vous portez un grand soin à représenter les vêtements de manière variée.

J’ai appris à l’école, en composition d’image, l’importance des couleurs et des formes. Et si je prends autant de soin à fringuer mes personnages, ce n’est pas parce que je suis une folle de fringues. C’est parce que ça me sert vachement à dire ce que j’ai à dire. La couleur, la taille de la jupe, le choix de l’imprimé des tee-shirts. C’est comme pour les attitudes. C’est super-excitant de se dire : « le personnage veut dire ça. Comment je vais l’habiller pour qu’on comprenne bien qu’elle est sur le point de… etc, etc. »

J’irais même encore plus loin en parlant du mobilier. Quand on regarde attentivement le mobilier dans vos cases, ce n’est pas une bête table, une bête chaise..

Je suis quelqu’un de très visuel. Ça va au-delà de l’envie de dessiner. J’adore regarder. Je peux être hyper-émue par une chaise qui aura ce beau design qui fait qu’elle est parfaite. L’accoudoir est bien comme il faut. Les pieds partent un peu en biais. C’est du beau bois. J’ai toujours adoré ça. Du coup, je prends du soin aussi pour représenter les objets.

Le soin pour le mobilier

Il n’y a pas beaucoup de décors, le fond est plutôt blanc. Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’y a rien.

Et puis ça me permet de réaliser un fantasme : réaliser une déco avec uniquement du mobilier scandinave des années 950. Ça coûterait nettement plus cher dans la vraie vie.

Ce n’est donc pas la réalité de votre intérieur.

Non, pas toujours.

Il faut dire aussi que ça change parfois d’une case à l’autre.

C’est ça, au fil de mes lectures, quand je tombe sur un meuble qui me plaît, je le mets dans le bouquin.

Vous épluchez les catalogues de design ?

J’ai un vrai goût pour le mobilier de ces époques là, donc j’ai des bouquins sur des designers comme Jean Prouvé, par exemple. De vraies bibles. Ce n’est pas pour dessiner après des chaises Ikéa.

Jusqu’à présent, vos albums se présentent sous la forme de successions de dessins, un peu comme des strips. Vous n’avez pas envie de vous lancer dans des planches de bande dessinée ?

Non, je ne crois pas. J’ai trop de plaisir avec ce système-là pour aller vers un système, à mon goût, plus cloisonné. J’ai essayé une ou deux fois. Ce n’est pas mon truc. J’aime bien pouvoir tout jeter sur une page blanche et voir comment ça part. Et puis je ne suis pas une grosse lectrice de bande dessinée. Ma culture vient plus de Sempé, par exemple.

Hommage à Sempé

Par rapport au retour que vous pouvez avoir, est-ce que vous savez quel est votre public ? Le stéréotype voudrait qu’il soit exclusivement féminin. Est-ce la réalité ?

C’est plus modéré. Disons que les mecs ont fait leur coming out, et ça c’est cool. Je reçois tellement de courrier de garçons. Il y en a plein, c’est pour leur nana, pour leur faire plaisir. Mais la plupart lisent aussi le livre. Officiellement, c’est un public plutôt féminin qui va de 14 à 74 ans. Mais il y a aussi pas mal de lecteurs masculins qui ne le disent pas forcément. Il y en a qui me disent qu’ils comprennent mieux leur copine depuis qu’ils me lisent, c’est rigolo.

Alors, les auteures de bande dessinée qui parlent de leur vie de manière décalée, ce n’est pas un phénomène nouveau. On peut parler de Claire Bretécher ou de Florence Cestac par exemple. Est-ce que vous vous sentez un peu dans la lignée de ces auteures là ?

Bretécher, avec Agrippine, c’était ma bible quand j’étais ado. On avait tous les albums aux toilettes et j’y passais ma vie pour les lire. J’adore. J’ai toujours eu énormément de respect pour ses personnages, pour son boulot. C’était de la note de blog, Bretécher ! C’est le même ton. Je me reconnais complètement. J’en suis fan.

Et vos prochains projets ?

Pour l’instant, je n’en ai pas. Ça m’a pris un an et demi pour pondre ce bouquin-là et j’aimerais bien me mettre en congé maternité. Je reprends ma casquette de blogueuse. Je vais recommencer à faire des notes, à m’amuser. Quand je me serai bien reposée là-dessus, je réfléchirai à ce que je veux faire. Pour l’instant, je ne sais pas.

(par Thierry Lemaire)

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