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Mark Siegel ("Sailor Twain") : "La célébrité est un chant de sirène."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 11 février 2013                      Lien  
Avec son roman graphique "Sailor Twain ou La Sirène dans l'Hudson", l'illustrateur américain Mark Siegel signe son premier ouvrage publié dans l'Hexagone. 400 pages d'un récit étrange et envoûtant.
Mark Siegel ("Sailor Twain") : "La célébrité est un chant de sirène."
Sailor Twain ou la sirène dans l’Hudson par Mark Siegel (Gallimard)

C’était l’une des bonne surprises du début de l’année : Sailor Twain ou la sirène dans l’Hudson par Mark Siegel (Gallimard), un voyage fascinant sur le cours de l’Hudson, ce fleuve qui traverse l’état de New York. Son héros, un personnage assez transparent du nom de Twain, oui, comme l’écrivain, va vivre des aventures fantastiques entre deux mondes, dans les eaux mêlées du fantasme et des sentiments.

Nous avons rencontré l’auteur de ce voyage étrange. Très francophile, Mark Siegel, qui est par ailleurs l’éditeur du fleuron de la bande dessinée française à New York (nous en parlerons avec lui prochainement) donne à goûter à un univers singulier et très référentiel.

Pas étonnant que votre héros s’appelle Twain, on retrouve dans votre ouvrage pas mal de références à Life on the Mississippi, mais en même temps, nous sommes dans votre livre sur un autre fleuve : l’Hudson... Et puis, il y a cette sirène... Elle a un rapport avec Andersen ?

Il y a des connections... Avec Andersen, avec l’Ulysse d’Homère aussi. Mais peut-être plus encore avec Melville et Joseph Conrad.

Mark Siegel en janvier 2013

Votre personnage tente d’ailleurs d’expliquer que Mark Twain est un pseudonyme, mais on le coupe avant la fin de son explication...

Oui, et c’est un pseudonyme dont il avait hérité. Il avait repris la rubrique d’un type qui était capitaine de bateau à vapeur aussi. Le terme Twain désigne une mesure nautique, c’est génial comme pseudo, mais cela signifie aussi "le double". C’était l’année où l’Amérique découvrait L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Stevenson, le sujet était dans l’air.

Quant à Hans Christian Andersen, il y a une nouvelle de lui qui s’appelle L’Ombre, qui est encore une histoire de doubles. Mais au départ, cette histoire de sirène répond à un démon personnel : Est-ce que j’allais suivre un chant ? Il y a toute sorte de champ dans la vie : des obsessions, des addictions, des chants de sirène irrésistibles. Et on ne peut pas flirter avec...

Mon capitaine flirte un peu avec, d’une certaine façon, mais en même temps, il sauve la sirène. Hélas, on ne peut pas vraiment faire confiance à une sirène, même si on lui fait promettre de ne pas chanter...

C’est la métaphore de l’ambigüité. Le mélange femme-poisson de la sirène, la relation du héros avec son épouse handicapée, la tendresse et l’amour qui peuvent être sourds de menaces...

Oui, le chant de la sirène est aussi un écho à son épouse qui chante aussi et qui a hypnotisé la petite congrégation dans cette petite église qui se trouve tout près d’où je vis. Il y a trois histoires d’amour principalement dans cette histoire. À travers les personnages principaux, il y en a plusieurs qui subissent un "effet de sirène". J’ai exploré cet aspect-là.

Il y a cet auteur très célèbre, spécialiste de la mythologie des sirènes, dont on découvre, ô stupeur, qu’il est une femme !

Oui, comme Georges Sand ou George Elliot, mais elle est en fait en partie inspirée par J.K. Rowling et Angelina Jolie qui se servent de leur célébrité pour défendre des causes humanitaires. La célébrité est un autre chant de sirène qui attire des milliers de gens. Chaque année, ils sont des centaines qui vont à Hollywood, attirés par elle.

Sailor Twain ou la sirène dans l’Hudson par Mark Siegel (Gallimard)
(c) Gallimard

On retrouve dns votre ouvrage un certain Lafayette qui n’est pas non plus celui de la révolution américaine...

C’était un choix délibéré. Dans la psyché américaine, c’est un nom qui évoque une tendresse envers la France. C’est le cliché du French Lover. Mais son destin l’emmène vers une sorte de rédemption. Entre les deux hommes, le Captain Twain et Lafayette, ce sont un petit peu les deux faces de ma vie qui se jouent et les deux visions morales aussi, mais Twain finit par se déchirer parce qu’il a une rigidité toute anglo-saxonne. D’ailleurs, il est dessiné tout en noir, de façon un peu géométrique. Lafayette est en tons de gris ; c’est plus complexe, plus nuancé. Ironiquement, la fripouille, le goujat, est finalement l’homme fidèle. Celui qui tient la grande histoire d’amour, c’est lui.

Vous qui, comme éditeur, publiez les plus grands créateurs de BD, vous voici confronté à eux comme un auteur à part entière. Cela ne vous file pas des complexes ?

C’est un luxe que je ne pouvais pas me permettre pour une histoire de 400 pages qui allait mettre des années à se réaliser. À un moment, j’ai hésité, je m’en inquiétais un petit peu, puis je me suis lâché. Je me suis rendu compte que j’avais une histoire à raconter. Dans mon propre chemin, y compris dans mon parcours d’éditeur, j’étais plus ébahi par le graphisme et les magiciens visuels. Maintenant, je suis vraiment plus admiratif pour les gens qui peuvent vraiment mener une histoire. J’apprécie les graphistes, mais ce qu’ils racontent m’intéresse davantage qu’avant.

Est-ce que cet album a fait de vous un meilleur éditeur ?

J’espère.

Propos recueillis par Didier Pasamonik.

Sailor Twain ou la sirène dans l’Hudson par Mark Siegel (Gallimard)
(c) Gallimard

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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