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Martin Jamar : "Double Masque me permet de satisfaire mon goût pour la période napoléonienne"

Par Nicolas Anspach le 29 décembre 2008                      Lien  
Fidèle complice de {{Jean Dufaux}} depuis les années 1990, {{Martin Jamar}} n’a eu de cesse tout au long de sa carrière d’illustrer des récits historiques. Avec un dessin rigoureux, raffiné et légèrement caricatural, il illustre {Double Masque}. Dufaux et Jamar abordent, en filigrane de leurs intrigues, le destin du Premier Consul Napoléon Bonaparte.

Martin Jamar : "Double Masque me permet de satisfaire mon goût pour la période napoléonienne"D’où vient votre passion pour l’histoire ?

De l’enfance, ou du moins de l’adolescence. Lorsque nous partions en vacances, mes parents s’arrangeaient toujours pour visiter des châteaux, des musées et autres monuments historiques. J’ai gardé un excellent souvenir de ces visites. Vers douze ou treize ans, j’ai commencé à lire des ouvrages historiques. Je me souviens encore du moment où mon grand-père m’a offert un livre sur Napoléon et sur les uniformes civils et militaires de l’époque. Cela m’avait fasciné.
Lorsque je me suis lancé dans la BD, je ne me suis pas posé des questions quant au genre que j’allais aborder. Il m’était évident d’aller vers l’historique, et particulièrement vers le 19e siècle. Avec Double Masque, j’ai l’impression de continuer en quelque sorte ma première série qui s’appelait François Julien ! En 1984, il n’existait pas beaucoup de BD traitant de cette époque, mis à part le premier tome d’Arno la série de Jacques Martin et André Juillard. Avec Dehousse, le scénariste de François Julien, nous nous étions inspirés d’un récit d’un jeune Ardennais qui avait été tiré au sort pour être enrôlé de force dans les armées napoléoniennes. Il a déserté et il est devenu réfractaire.

Vous avez fait des études universitaires pour satisfaire vos parents. Vous êtes diplômé de droit. Pourquoi ne pas avoir plutôt choisi l’histoire ?

J’ai hésité à l’époque. Ces études me tentaient effectivement. Mais plusieurs de mes amis s’étaient inscrits en droit ! J’étais certain de retomber sur mes pattes avec un tel diplôme. Il me semblait plus opportun de suivre cette voie-là et d’avoir un échappatoire si je n’arrivais pas à placer un projet de BD après mes études.

"Double Masque" : © Jamar, Dufaux & Dargaud.

Entre 1993 et 2002, vous publiez sept albums des Voleurs d’Empires avec Jean Dufaux. L’idée d’embrayer sur la période napoléonienne vous est-elle venue naturellement ?

Jean m’avait proposé de dessiner la Première Guerre mondiale. J’imagine qu’il avait un projet dans ses tiroirs explorant ces années-là. Je n’ai pas été tenté. C’était trop proche de notre époque, et puis je n’avais pas envie de dessiner à nouveau des histoires de guerre. … Du moins une boucherie humaine, comme l’a été cette guerre. Jean trouvait judicieux d’aborder Napoléon après avoir parlé, en filigrane, de Napoléon III dans Les Voleurs d’Empires. Cela me plaisait beaucoup plus.
J’avais gardé un goût de trop peu : François Julien s’était arrêté au bout de cinq albums, alors que nous aurions dû en publier plus. Je n’ai mis qu’une condition : il fallait que notre nouveau projet soit moins sombre que notre précédente série.

Un peu moins fantastique, aussi ?

Le fantastique ne me gênait pas ! Je l’apprécie même. Les Voleurs d’Empires ne s’adressaient pas à un large public à cause de la noirceur du récit. Je n’avais pas envie de me complaire dans ce genre d’histoire. Je désirais dessiner une série qui pouvait être lue par un lectorat plus large. C’est cela, je pense, qui a donné envie à Jean Dufaux d’ajouter une touche de comédie dans Double Masque.

Et l’abeille et la fourmi ?

Cette idée est de Jean. C’est justement le côté original qui est apporté à l’histoire. Napoléon, l’Abeille, avance vers la lumière. Tandis que son double physique, la Fourmi, règne dans l’ombre sur les bas fonds de Paris. Ce traitement apporte une touche mystérieuse au récit. Tout comme la sorcière africaine qui a fait récemment son apparition dans le récit.

Le premier diptyque fait plus office d’introduction…

C’était un passage obligé pour installer notre univers, l’Abeille et la Fourmi, ainsi que La Torpille qui est quand même le personnage central de la série, même si ce dernier ne contrôle pas toujours la situation. Et puis, il y a Fouché et l’Ecureuil, la jeune fille qu’il utilise comme espionne. Il fallait introduire tout ce monde dans le récit, et on sent bien que Jean se sentait à l’étroit dans le format de quarante-six planches traditionnel.

Extrait du T4 de "Double Masque"
(c) Jamar, Dufaux & Dargaud.

Mis à part Napoléon dont les caractéristiques physiques sont connues, vos personnages ressemblent-ils à ce qu’ils étaient ?

Oui. Dès qu’un personnage apparaît dans le scénario, j’essaie de rassembler un maximum de documentation. Je déniche des portraits et des descriptions dans les textes où l’on parle d’eux. Pour Fouché, par exemple, j’ai trouvé un texte intéressant qui expliquait sa manière de se vêtir au quotidien. Il s’habillait toujours en noir. Il avait le teint blême, presque maladif, et le regard assez inquiétant. Il existe assez peu de portrait de Fouché. Il y a bien sur le tableau officiel où on le voit en tenue d’apparat, avec des étoffes chamarrées et des dorures en or. Mais quand on lit les textes d’époque, on se rend compte que le portrait a été enjolivé et retouché. J’ai d’ailleurs trouvé un autre portrait qui était plus proche de la réalité. Assez étrangement, mon personnage dessiné n’est pas très éloigné de ce dernier...

Double Masque est aussi un prétexte pour montrer la lutte de pouvoir entre Napoléon et Fouché …

Tout à fait ! Fouché possédait un dossier sur la majorité des personnages publics. Des espions et des indicateurs lui apportaient des informations compromettantes sur ceux-ci. Fouché était un homme de pouvoir, un homme de l’ombre également. Napoléon avait tendance à s’en méfier. Dans le quatrième album, «  Deux Sauterelles », Napoléon confie qu’il vaut mieux avoir Fouché dans son camp, plutôt que dans celui de ses adversaires.

On peut se demander ce que Napoléon trouve à François, dit « La Torpille », qui est incapable de réussir seul la moindre mission qu’il lui a confiée !

Ce n’est pas un super-héros infaillible. Il ne contrôle pas toujours ses missions. Mais comme un chat, il arrive à retomber sur ses pattes. Parfois à l’aide d’un autre personnage, ou de Fer Blanc.

Extrait du T4 de "Double Masque"
(c) Jamar, Dufaux & Dargaud.

Le personnage qui est l’incarnation du destin ?

C’est ça. Je le vois aussi comme un Deus ex-machina.

Votre graphisme est rigoureux. Vous n’hésitez pas à représenter les bâtiments dans les moindres détails.

J’aime ce travail de décoriste consciencieux, même s’il est parfois fastidieux ! Je passe parfois quatre jours sur la même planche, voire parfois sur la même case. De temps en temps, j’hésite à être aussi minutieux. J’en fais peut-être trop en dessinant des éléments qui ne sont pas indispensables.

Vous dessinerez le prochain album en couleur directe.

Oui. J’ai modifié mon format de planche. Je travaille dans un format plus grand, ce qui me permettrait d’aller encore plus loin dans les détails. Je vais devoir faire attention (Rires).
J’avais envie d’évoluer, de changer de manière de travailler. Je fais maintenant un crayonné, puis je le passe rapidement à la couleur. Je termine par un encrage nettement plus léger que la méthode de travail traditionnel. Avec la couleur directe, on peut être plus suggestif, notamment dans des cases qui demandent une profondeur de champs. Avec la méthode traditionnelle où l’on met les couleurs sur des bleus, on est obligé de pousser l’encrage assez loin…
J’utilise l’aquarelle et à certains endroits, on apercevra ponctuellement de la gouache et de l’acrylique.

Éprouvez-vous du plaisir à mettre vos planches en couleur ?

Et comment ! Je m’en étais chargé pour Les Voleurs d’Empire. Bertrand Denoulet a colorié les trois premiers Double masque. C’est un excellent coloriste, mais je n’étais pas satisfait de son travail. J’étais frustré de ne pas m’en occuper moi-même.

Le prochain album se déroulera durant le sacre de Napoléon …

Effectivement ! En 1804, évidement ! Ce fut l’un des événements majeurs dans la vie de Napoléon. Je n’ai encore que les six premières planches du scénario, mais je sens déjà que Jean a énormément de choses à raconter sur ce sujet. D’ailleurs, il se peut que la prochaine histoire soit traitée sous la forme d’un diptyque.

Extrait du T4 de "Double Masque"
(c) Jamar, Dufaux & Dargaud.

Avez-vous toujours envie d’arriver jusqu’en 1815, à la défaite de Waterloo qui a marqué le fin de son régime…

Nous en avons l’intention. Nous consacrerons un à deux albums par année de règne de Napoléon. Nous avons donc suffisamment de matière pour une quinzaine d’albums. Les quatre premiers forment un cycle, où Napoléon était le Premier Consul. Nous entrons dans le cycle suivant, où il devient empereur.

Avez-vous eu des échos d’historiens spécialisés dans cette période ?

Je n’ai pas eu de réaction. Il faudrait peut-être que je passe un peu de temps sur Internet pour lire les sites de spécialistes. Je sais que Jean Tulard, historien reconnu, s’intéresse à la bande dessinée. J’aimerais le rencontrer pour avoir son avis. Il a rédigé plusieurs livres sur Napoléon et dernièrement un ouvrage sur Les Pieds Nickelés de Forton. C’est un homme ouvert.

(par Nicolas Anspach)

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Lire une interview des auteurs - Jamar & Dufaux : « Pas question d’écrire un récit didactique sur Napoléon » (Octobre 2004)

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Illustrations (c) Jamar, Dufaux & Dargaud
Photographies (c) Nicolas Anspach

 
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