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Martin Veyron (Blessure d’amour propre) : "On peut faire rire avec des sujets dramatiques !"

Par Nicolas Anspach le 21 avril 2010               Blessure d’amour propre) : "On peut faire rire avec des sujets dramatiques !"" data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">       Lien  
{{Martin Veyron}} avait publié en octobre une "suite" à l’{Amour Propre}, son best-seller des années 1980. Il y revenait sur le parcours de Martin, « l’auteur » de {L'Amour Propre}, dans une autofiction drôle où il partageait ses réflexions sur le succès tout en évoquant les thèmes difficiles de l’impuissance et de l’incontinence. Rencontre avec le Grand Prix d'Angoulême 1991.

Martin Veyron (<i>Blessure d'amour propre</i>) : "On peut faire rire avec des sujets dramatiques !"Comment est née « Blessure d’amour propre », cette suite à « L’Amour propre », un album précurseur pour l’époque…

Il y a plusieurs raisons. La nécessité, tout d’abord. Je n’avais plus publié de livres depuis quelques années. J’en préparais un pour les éditions Albin Michel, mais apprenant que cette maison était en vente [1], j’ai arrêté d’y travailler. Je ne voulais pas tomber n’importe où avec une nouveauté. J’ai donc cherché une nouvelle idée. Cela m’a pris un an avant d’en trouver une. Avec le temps, j’ai de plus en de difficultés à dénicher des sujets intéressants pour mes histoires.
Il y a deux ans, exactement comme je le raconte dans « Blessure d’amour propre », j’avais reçu la visite de deux journalistes qui réalisaient un documentaire sur le Point G. Cela a entraîné une mauvaise humeur de ma part, j’étais franchement embêté et ennuyé : quand est-ce que j’allais casser cette image-là ?
J’étais tellement agacé que j’en ai parlé un ami illustrateur. Il m’a répondu : « Mais voilà, tu le tiens ton sujet. Tu ne dois pas bouder le plaisir d’avoir eu un succès. Tu dois l’accepter. C’est comme cela ! ». Il m’a convaincu.

L’Amour propre » était un livre novateur. Blessure d’amour propre l’a été tout autant. Le thème de l’impuissance a déjà été traité en littérature, par Romain Gary comme par Franz Olivier Giesbert. C’est plus rare en BD.

De l’impuissance ou de l’incontinence ? Le problème est d’autant plus gênant pour un pornographe. Mais ce qui me plait le plus à raconter, ce sont les thématiques qui sont dans l’ère du temps. Et donc pas forcément novatrices. J’avais traité du problème des vieux dans Papy Plouf. Des Executive Women en 1986. Bref, je traite de sujets qui ne me paraissaient pas exister avant. Je suis issu du baby boom, et je vois autour de moi, les malheurs que l’âge provoque à ma génération. Cela peut me toucher. Je ne suis pas un auteur dramatique, mais un auteur drôle. Je crois sincèrement que l’on peut faire rire avec des sujets dramatiques. Tout dépend de la manière dont on les traite.

Extrait de "Blessure d’amour propre"
(c) Veyron, Dargaud.

Effectivement. Dans « Blessure d’amour propre », vous utilisez un ton tonique et drôle alors que le sujet ne l’est pas vraiment. Comment trouvez-vous le juste équilibre.

Je ne sais pas ! En fait, j’ai eu peur tout le temps, à chacune des planches. Ce récit est de l’autofiction et je trouvais très délicat de parler de moi. Bien sûr, le Martin de Blessure d’amour propre n’est pas moi, mais sa personnalité et sa vie contiennent des éléments personnels. Il a fallu trouver le juste équilibre.

Quelles ont été les réactions des femmes face à ce livre ?

Je crois qu’elles ont ri ! Mais avec un rire plus intérieur que les mecs. Je ne suis pas certain que les hommes de mon âge aient rigolé. Cela les trouble sûrement. Les femmes ne m’en parlent pas. On me dit que ce récit est intelligent. Je ne sais pas si c’est drôle. Je préférerai que ce livre soit plus drôle qu’intelligent. À choisir entre l’intelligence, l’impuissance et la drôlerie, je choisirai la drôlerie. La vraie, bien sûr !

Extrait de "Blessure d’amour propre"
(c) Veyron, Dargaud.

Quand Martin devient impuissant, il se libère totalement et est pris malgré lui à un jeu bizarre en créant son propre cabinet pour donner du plaisir aux femmes…

Effectivement. Il pense être libéré de tous ces tourments sexuels et de séduction. Il n’espère qu’une seule chose : pouvoir se remettre à dessiner. Mais il est confronté à un problème éternel : on lui propose de gagner beaucoup d’argent facilement et rapidement.

Vous êtes finalement un auteur rare, et avez publié peu de bandes dessinées. Vous avez participé à l’écriture de scénarios de film, réalisé l’adaptation de « L’Amour Propre » pour le cinéma, écrit un roman et enfin fait du dessin de presse. Quel plaisir avez-vous éprouvé à faire du dessin d’humour ?

Aujourd’hui, j’essaie plutôt de me consacrer à la fiction. J’ai toujours recherché à ne pas m’ennuyer. Chaque fois que l’on me propose quelque chose qui me sort de mon travail et qui m’excite, je ne peux pas m’empêcher d’accepter. Ce n’est sans doute pas très malin.

Mais vous avez écrit un roman, tourné l’adaptation de l’Amour Propre.

Oui. J’ai fait un stage de cinéma aux premières loges !

Extrait de "Blessure d’amour propre"
(c) Veyron, Dargaud.

Est-ce que ces expériences vous ont appris de nouvelles techniques narratives applicables à la BD ?

Je ne pense pas. Les techniques narratives sont différentes. Le roman a été plus facile à faire. Cela arrache moins que le dessin. L’écriture venait facilement. Peut-être est-ce dû à la maîtrise du sujet. C’était une expérience plaisante. Assez étonnamment, je n’en ai plus écrit depuis lors. C’est une contradiction…

Vous ne répondez pas à ma question sur le dessin d’humour. C’est une mauvaise expérience ?

.
Oui. Enfin, non ! Quand on regarde ces dessins avec le recul on s’aperçoit que certains sont bons, d’autres pas terribles du tout. En fait, je me sens avant tout un raconteur d’histoires. J’aime m’installer dans la durée, dans une succession de séquences. Pour la presse, il faut exprimer quelque chose en un seul dessin. Ce n’est pas facile. Quand cela m’arrive, je suis heureux. Cela ne m’est pas arrivé suffisamment souvent pour que je sois fier de cette activité.
Je dois tout à la bande dessinée. C’est là que l’on m’attend. Avec le recul, je me perçois plus comme étant un meilleur scénariste que dessinateur. J’ai déjà une idée pour le prochain album qui sera plus formel au niveau de la narration.

(par Nicolas Anspach)

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Photo : (c) Nicolas Anspach
Illustrations : (c) Martin Veyron & Dargaud.

[1NDLR : Racheté par les éditions Glénat et publié sous le label « Drugstore ».

 
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8 Messages :
  • Martin Veyron représentait pour moi toute la vacuité des 80’s. Ces récits coquins opportuns dans lesquels nombre de talents de l’épôque s’abimèrent -de Manara à Varenne. Un succès commercial explosif suivi d’une crise éditoriale qui fit disparaître tout aussi rapidement ces créateurs (talentueux) pendant nombre d’années. Veyron à mon avis était beaucoup plus incisif dans sa courte série des "2 crétins" dans Pilote. Étrange de ce fait qu’il soit si sceptique face à son expérience de dessinateur de presse. Car il est fort dans la formule et dans le bon mot, mais étalé sur un album cela a toujours frôlé l’incohérence, l’enfilage de perles. Mais...! A la vue des planches reproduites ici, des thèmes abordés (incontinence et impuissance), je me demande s’il n’y a pas un méta-récit derrière -comme d’habitude ? Ah zut, il est décidemment très fort ! Veyron serait-il d’un talent exclusif ?

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    • Répondu par Sergio Salma le 22 avril 2010 à  15:52 :

      Pour ma part, je rajouterais qu’il est un des premiers auteurs à avoir raconté le quotidien "affectif" avec Jean-Claude Denis ou Dupuy&Berbérian (ces 2 derniers un peu plus tard). Une auto-fiction à peine déguisée. ça c’est pour le sujet. En ce qui concerne la forme, dignes descendants de Lauzier ou Bretécher, Veyron et Denis ont amené une vision formidable des trentenaires (éh oui le temps passe) urbains et débordés grâce à un sens du dialogue et du découpage novateur. Sans esbrouffe, ils ont inventé un style direct, franc, très décomplexé. Sans s’encombrer des images décoratives, ils ont chacun à leur manière ( tout en étant liés ) joué avec les ellipses et la narration. Mais à l’époque on faisait plus attention aux auteurs qui déstructuraient, déconstruisaient (soit-disant) leurs pages en éclatant les images, les imbriquant alors que dans le fond leur narration pure était archaïque. Ils ont disparu corps et biens.

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      • Répondu par Oncle Francois le 22 avril 2010 à  21:29 :

        Personnellement, j’ai surtout aimé ses premiers Bernard Lermithe, publiés en noir et blanc dans l’écho des savanes première formule (vers 1980). On y trouvait un grand dadais aux gouts et à l’accoutrement bourgeois, qui vivait moult aventures et rencontres parfois sexys, cela avec une fraicheur digne des films de François Truffaut. Imprévu, désinvolture et humour tendre, c’était le bon temps, scrogneugneu !! A l’époque, nous étions jeunes et insouciants, c’était la belle époque, je vous le dis...

        Carpe diem ! Profitez de l’instant présent, demain sera pire. Et en attendant, n’oubliez quand même pas d’aller voir si la rose qui ce matin est éclose etc etc (j’essaie de citer de mémé-moire !), cela lui fera du bien de se faire effeuiller tendrement !°)

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      • Répondu le 22 avril 2010 à  22:26 :

        Ils ont disparu corps et biens.

        C’est pas gentil pour Druillet de dire ça !

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        • Répondu par Sergio Salma le 23 avril 2010 à  10:38 :

          Il suffit de retrouver des Métal Hurlant, des (A suivre) de 1980, quelques Pilote avant la fin imminente, des Charlie pour faire l’inventaire.
          Si Druillet et bien d’autres sont aujourd’hui des artistes multidisciplinaires de talent , ils ont complètement abandonné la bande dessinée ou bien alors j’ai été distrait.

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      • Répondu par Alex le 23 avril 2010 à  18:46 :

        "Mais à l’époque on faisait plus attention aux auteurs qui déstructuraient, déconstruisaient (soit-disant) leurs pages en éclatant les images, les imbriquant alors que dans le fond leur narration pure était archaïque. Ils ont disparu corps et biens."

        Non attendez, là vous caricaturez. Les expériences graphiques que je crois deviner entre vos lignes, sont très limitées dans le temps et assez anecdotiques globalement, elles font parties du genre depuis son apparition. Il y eu dans les années 80 de formidables audaces graphiques, (et de narration- Bazooka est toujours inégalable dans son incongruité, et pour ce qui est de la narration... 20 ans après Burroughs comme exercice d’accord- mais en bd, jamais vu ) Que la plupart de ces expérimentateurs ne firent pas long feu dans le genre n’est pas étonnant mais là est le corps même de l’expérimentation.
        Les 80’s étaient tout de même la consécration de Tardi et Moebius, des dessinateurs qui finalement jouent avec les rêgles du genre mais ne les révolutionnent pas - mais pour( )quoi et pour qui une révolution d’ailleurs ? Veyron là-dedans (comme JC Denis, bien entendu) s’installent sur les barricades encore chaudes des Bazooka et de l’insignifiance prouvée et éprouvée de la vie moderne. En cela, j’ai du mal à envisager que les auteurs intimistes aient eu un succès avant les extrémismes existentiels des Bazooka. Et en cela aussi, je suis persuadé que la bd expérimentale ouvre des possibilitées aux créateurs en devenir.

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        • Répondu par Oncle Francois le 23 avril 2010 à  20:47 :

          J’aimerai remettre les choses dans un contexte historique et chronologique si vous me le permettez. Confinée à Métal Hurlant, Pilote-Charlie,Bazooka, l’Echo (je pense aux BD-poésies de Jean Teulé par exemple), le courant déstructuré amena vers 1988 le retour de la bonne histoire, chez casterman (A SUIVRE et ses romans graphiques : Pratt, Manara, Tardi, Comés, Auclair notamment)et chez Glénat (Circus et vécu). Cette période de retour à un certain classicisme (bonne histoire, bon dessin, mais plutot pour adultes, pas vraiment pour enfants en tout cas)par le biais d’un nouvel habillage marketing provoqua en retour l’émergence de Lapin, havre de liberté pour de jeunes auteurs qui ne trouvaient pas d’éditeur.

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          • Répondu par Alex le 24 avril 2010 à  22:57 :

            le courant déstructuré amena vers 1988 le retour de la bonne histoire

            Bonne histoire ?.. vous avalez vite les formules marketing. Dargaud titrait (texto) dès sa reprise du titre Charlie Mensuel "Le retour de la Grande Aventure".

            Tout cela avec une saine opportunitée dans la foulée d’Indiana Jones et Star Wars. Inutile de vous dire que le réveil fut aussi joyeux qu’après une longue nuit de cocktails variés. Ces péripéties adolescentes ont toujours senti le ranci pour moi (pourquoi décliner à l’infini Tintin ou les 4 Fantastiques ?). Ou les aventures d’un milliardaire aventurier dans les jungles de Thaïlande...

            Pratt, c’est un ovni. Un caméléon. Ou un sacré malin ! Manara n’a jamais fait part de ce retour à la "Grande Aventure", bien au contraire. Il a mis en abymes les paradigmes même de "l’Aventure" !

            Et vôtre interprétation de l’avènement de Lapin -et donc de l’Association est erronnée. Tous leurs auteurs étaient bien connus et reconnus par les gens de la profession, et auraient pu publier n’importe où (ce qu’ils firent d’ailleurs dans les 2-3 années qui suivirent la création de l’Assos., Cf Lewis : le Psykopat, Dargaud par exemple)

            Pour en revenir à Veyron, puique nous occupons son actualité avec nos élucubrations, il s’inscrivit aussi avec son trait dans la lignée des Bazooka. Des trognes sorties de la vie réelles croquées sans caricatures, une certaine distance clinique dans le trait. Et là je ne suis pas d’accord avec Mr Salma, quand au rapprochement Veyron/Lauzier. Lauzier est un dessinateur de presse passé à la bd, Veyron... relisez ce qu’il pense de cette expérience dans les milieux de la presse.

            Et si aujourd’hui il aborde des sujets aussi tabous cela ne fait que me conforter dans mon opinion d’une nécessité à raconter l’humain, bien au-delà des "opus", des tétralogies et autres tryptiques fumeux aux accès de priapismes.

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