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Marvano et sa surprenante Brigade Juive

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 juillet 2015                      Lien  
Sa publication commence à faire le buzz en Israël, au point le quotidien israélien Haaretz lui a consacré un long article. "La Brigade Juive" de Marvano parle de l'action d'une division de l'armée britannique exclusivement juive qui eut à découvrir, en délivrant l'Europe du joug nazi, toute l'horreur des camps. Mais qui, chemin faisant, favorisa l'immigration clandestine des Juifs vers la Palestine mandataire. Son rôle était méconnu, Marvano lui redonne vie.
Marvano et sa surprenante Brigade Juive
L’intégrale de La Guerre éternelle en version brochée (2009)

Le dessinateur israélien Michel Kichka n’en revenait pas. "Ce que je ne comprends pas, dit-il, c’est qu’aucun dessinateur israélien ne s’est emparé du sujet jusqu’ici. Ce que raconte Marvano, je l’ignorais complètement. On espère que cette bande dessinée sera traduite, ici, en Israël."

Un scénariste qui avance masqué

Mark Van Oppen alias Marvano est un cas. Son début de carrière est d’une discrétion de violette. Ses premiers travaux, il les élabore dans l’admiration sincère du travail de l’écrivain américain Joe Haldeman dont il adapte les œuvres : à savoir, La Guerre éternelle (trois volumes dans la collection Aire Libre, chez Dupuis, entre 1988 et 1989), Libre à jamais qui en est en quelque sorte la suite, chez Dargaud (trois albums entre 2002 et 2003), puis Dallas Barr (cinq volumes chez Dupuis, puis deux au Lombard entre 1996 et 2005), toujours tiré de l’œuvre d’Haldeman
.
Il faut dire que les thématiques d’anticipation développées par l’auteur américain trouvent chez lui une forte résonance : "La science-fiction d’Haldeman n’a rien à voir avec celle de Star Trek ou de Star Wars, fait-il remarquer. Il écrit des histoires qui sont presque des fables. Elles parlent du présent. À l’époque où il a écrit La Guerre éternelle, ce n’était pas très bien vu de critiquer la Guerre du Vietnam. Il a alors habillé cette guerre bien réelle en une histoire de science-fiction. C’est pour cela que je considère qu’il n’y a pas beaucoup de différence entre ma période science-fiction et ce que je raconte maintenant. C’est seulement la façon de raconter les choses qui a bougé."

Cette production déjà conséquente (13 albums !), dont il assure le scénario en toute discrétion, a été entrecoupée de travaux de commande en 1990 : un volume de Red Night : La Salamandre chez Standaard (sc. Ronald Grossey), et un autre Solitaire (sc. Bob Van Laerhoven, au Lombard) et surtout quatre volumes adaptés de Paul-Loup Sulitzer, l’oubliable série Rourke (1991-1995).

La Trilogie Berlin, qui commence par Sept nains... (Dargaud)

Sept nains...

Mais il y a un titre qui, en 1994, est intégralement signé Marvano et qui montre l’ambition d’un raconteur d’histoire puissant qui jusqu’ici s’avance masqué : Les Sept Nains. L’histoire se passe dans le milieu de la chasse aérienne britannique pendant la Seconde Guerre mondiale. Les sept nains sont les aviateurs en charge d’un Lancaster au doux nom de Snow White, qui va bombarder l’Allemagne en 1943.

Le trait n’est pas encore celui, profilé comme une ligne claire, qu’on lui connaît aujourd’hui. Mais on y retrouve les qualités de Marvano : un sujet peu rebattu, une réflexion bien sentie sur l’inhumanité de la guerre et sur les contradictions profondes des idéologies. À cause de son titre, trop métaphorique sans doute, l’album n’accroche pas et Dupuis décide d’en arrêter la commercialisation.

Soucieux de ne pas laisser sur le bas-côté de la route un titre auquel il tient, Marvano va lui donner une suite : "Elle se passe en 1948, pendant le pont aérien du blocus de Berlin et mon idée était de l’achever dans le présent. J’ai proposé le triptyque à mon éditeur, qui avait changé entre-temps. Il a eu cette idée brillante de l’appeler tout simplement "Berlin"."

Les trois titres de ces albums font chacun allusion aux contes de fée : Les 7 Nains, Reinhard le Goupil, et Deux enfants de roi. Apparaît une figure d’adolescent blond fanatisé en figure du mal : "Il n’est pas étonnant que les enfants qui avaient 13-14 ans en 1945, nés dans une société devenue folle, conservent les idées de supériorité dont ils étaient imprégnés. Cela ne disparaît pas tout d’un coup en mai 1945... Ce sont eux qui ont fait l’Allemagne d’aujourd’hui. Le peuple allemand avait suivi, il aurait pu dire non. Ils ont fait un choix, même si ce ne sont pas tous des tueurs."

Chez Marvano, on le voit, il y a un refus de l’iconographie simpliste écrite par les vainqueurs : chacun doit prendre ses responsabilités face à la barbarie.

"Grand Prix", une sorte de préquelle à la Brigade Juive (Intégrale, Dargaud)

Nazisme et sport moteur

Avec Grand Prix, Marvano rejoint deux de ses fascinations : le sport mécanique (Marvano est né à Zolder en Flandre, où se trouve l’un des plus fameux circuits automobiles européens) et cette satanée Deuxième Guerre mondiale : "J’avais dans l’idée d’explorer l’entre-deux-guerres parce qu’il y a eu une époque où l’on ne savait pas qu’il aurait une guerre en 1939, où Auschwitz ne voulait rien dire, où le salut hitlérien était quasiment normal, pratiqué dans les écoles. Dans ce genre d’histoire, on retrouve souvent le point de vue de journaliste clairvoyant qui anticipe en 1934-1935 ce qui va se passer cinq ans plus tard. Je voulais quelque chose d’autre."

Il y montre comment le régime nazi va utiliser l’industrie automobile (à l’origine de cette "Deutsche Qualität" d’aujourd’hui) pour mener des expérimentations (études de moteur, aérodynamisme des carrosseries...) qui contribueront au rééquipement de l’armée allemande, formellement interdit par le Traité de Versailles. "J’avais trouvé par hasard la biographie d’un grand pilote allemand de l’entre-deux guerres, Rudolf Caracciola, raconte Marvano. J’y retrouvais les sensations que j’avais eues en regardant les courses à Zolder : la façon de regarder le danger, etc. Cela me fascinait. Et là j’ai appris que le régime nazi sponsorisait les quatre principales marques automobiles allemandes. Ils ont financé deux équipes parce qu’ils étaient tellement sûrs de leur supériorité qu’il fallait deux challengers pour entretenir l’intérêt pour la compétition. Sur ce point, ils avaient raison. En 1934, Hitler avait demandé au professeur Porsche de construire un moteur de 1000 chevaux. Porsche lui fit remarquer que les voitures les plus rapides faisaient six-cents chevaux et que les coureurs n’arrivaient pas à les maîtriser. Son commanditaire s’en fichait : ces moteurs-là ont servi pour l’aviation... Les nazis savaient très bien ce qu’ils faisaient."

"Grand Prix" par Marvano (Intégrale, Dargaud)
La Brigade Juive T.1 : Vigilante (Dargaud)

Marvano n’a pas pour cette période une complaisance déplacée : "Ce qui s’est passé pendant cette guerre, et notamment l’extermination des Juifs, n’avait jamais connu de précédent. C’est une chose unique. Or, on commence à l’oublier sous prétexte que tout cela s’est passé il y a maintenant 60 ans."

Marvano n’oublie pas : la Shoah se trouve en effet au cœur du cycle suivant : La Brigade Juive, une sorte de spin-of de Grand Prix, faisant le lien avec la Trilogie Berlin, puisque le pilote automobile Leslie Toliver, un juif horrifié par la dérive de l’Allemagne nazie et aux premières loges pour assister à ses manœuvres, y affronte les plus grands coureurs de l’avant-guerre, avant de se retrouver enrôlé, comme pilote de la RAF.

On évoque déjà dans Grand Prix le "Plan Danube", une filière d’immigration des Juifs allemands vers la Palestine au moment où, sous la pression des Arabes, le gouvernement britannique avait décidé de stopper cette immigration.

"C’est en me documentant sur cette filière et en rencontrant un réalisateur qui avait fait un documentaire sur ce sujet que je suis tombé sur l’histoire de la Brigade Juive" dit l’auteur.

La Brigade Juive T.1 : Vigilante (Dargaud)
La Brigade Juive T.2 par Marvano : TTG (Dargaud)

"La Brigade Juive", dont le deuxième tome est paru en juin dernier chez Dargaud, avait recueilli de notre part un accueil enthousiaste : "En quelques images parfaitement racontées, Marvano met en place des personnages, une situation et un sujet totalement inédits dans le domaine de la bande dessinée, tout en mettant en évidence les ambigüités d’une époque qui va voir dans quelques mois l’éclosion d’un nouvel état où bon nombre de rescapés vont pouvoir se réfugier tandis qu’un rideau de fer s’abat sur le monde. De ce subtil écheveau, Marvano tire un réseau de références entre cette trilogie et ses autres grandes œuvres que sont Berlin et Grand Prix."

On y retrouve, on l’a dit, Leslie Toliver. "Je n’avais pas envie de quitter ce personnage. À la fin de Grand Prix, sa fiancée et la maman de Leslie Toliver disparaissaient, comme beaucoup de gens disparaissaient à l’époque. Pour moi, c’était une fin valable. Cela a pris forme petit à petit."

Un autre personnage apparaît : Ari, un "sabra" juif né en terre de Palestine enrôlé dans la Brigade Juive : "Comme beaucoup, il est encore un peu naïf car il ne sait pas vraiment ce qu’il s’est passé. Il est surtout là pour expliquer les choses, pour mettre les choses en situation..."

Et puis, il y a ce troisième personnage qui s’appelle Safaya, cachée dans un couvent, qui rejoint le groupe. Marvano lui donne les traits d’une jeune fille amie de sa famille. Elle est remerciée en dédicace de l’album.

Nos héros ne sont pas seulement là pour recueillir les survivants juifs des camps de la mort et les acheminer clandestinement vers la Palestine, au nez et à la barbe de leurs supérieurs, ils sont un bras de vengeance vis-à-vis de criminels nazis dont la filière d’exfiltration est prête de longue main, avec la complicité d’autres régimes fascistes et mais aussi de l’Église, sauveuse de Juifs par ailleurs. Quant à Toliver, il tente de retrouver les siens...

La Brigade Juive T.2 par Marvano : TTG (Dargaud)
La Brigade Juive T.2 par Marvano : TTG (Dargaud)
La Brigade Juive T.2 par Marvano : TTG (Dargaud)

Le temps s’est accéléré en ce mois de juillet 1945. L’Europe en ruine est en proie au chaos. Les grandes puissances y avancent leurs pions, s’apprêtent à redistribuer les cartes. Dans ce second volume, les Russes doivent quitter la ville de Graz, en Autriche, pour laisser la place à la garnison britannique. Le commandant russe est juif et permet l’acheminement de milliers de rescapés vers la Palestine. Mais l’arrivée des Anglais change complètement la donne, il faut faire vite... Ce fait historique offre un tableau inédit de la Deuxième Guerre dans l’immédiat après-guerre, à un moment où l’Europe est un No Man’s land où se croisent des criminels en fuite et leurs victimes, chacun vers son destin.

Le sujet interpelle le grand quotidien israélien Haaretz...

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Retrouvez Marvano sur France Culture dans l’émission La Grande Table d’été, le 10 août 2015, de 12h45 à 13h45. Une émission présentée par Martin Quenehen.

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