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Mathieu Gabella ("Le Labyrinthe") : "Je voulais sortir des histoires fantastiques avec des monstres"

Par Thierry Lemaire le 11 octobre 2012                      Lien  
Deuxième tome pour la série concept {La grande évasion}, et direction la Grèce pour un périple dans un labyrinthe que Dédale n'aurait pas renié, et pour cause. Mathieu Gabella y entraîne un groupe de scientifique dans une machination qui les dépasse.

Le premier tome de La grande évasion avait décliné le concept avec une prison, un bagne. Vous avez choisi un labyrinthe. Dès le départ, vous avez préféré partir dans d’autres chemins ?

Tout à fait. Très vite, j’ai demandé les pitchs des autres albums de la série. David Chauvel [le directeur de la collection] m’a dit « il y a une personne qui va faire quelque chose sur une prison et tous les autres vont partir dans autre chose ». On savait qu’on ne pourrait pas tous faire un récit sur une évasion d’une prison.

Et comment est venue cette idée de labyrinthe, de dédale ?

J’avais trois idées. Une que j’ai gardée pour faire autre chose. Une sur une pyramide, que m’avais inspiré le film Terre des pharaons. Le pharaon est enterré dans sa pyramide avec toute sa suite et notamment la reine. On casse les blocs de pierre pour les sceller, et je m’étais dit « tiens, quelqu’un savait qu’il allait être enfermé vivant, et il avait prévu un plan pour sortir ». J’avais proposé ça comme idée. Ça avait bien plu. Mais David a finalement choisi la troisième idée, celle du labyrinthe. Une idée qui est venue très vite. Ce qui a été beaucoup plus difficile, ça a été de bâtir une histoire.
Mathieu Gabella ("Le Labyrinthe") : "Je voulais sortir des histoires fantastiques avec des monstres"
Ça vous trottait dans la tête depuis longtemps ?

Pas vraiment, c’était plutôt en réfléchissant à l’idée de prison. Comme j’aime bien toujours référencer mes histoires, je me suis dit « qui dit labyrinthe, dit minotaure ». Mais je n’avais pas envie de faire un péplum fantastique. J’avais envie de faire quelque chose de contemporain. J’ai cherché beaucoup, et c’est en mettant des mots clefs dans le moteur de recherche que je suis tombé sur les expériences sur les rats, Karl Lashley, la mémoire, etc. Mais il a fallu vraiment beaucoup tirer sur ce fil pour créer l’intrigue. Je m’étais renseigné sur les méthodes qu’on peut utiliser pour sortir d’un labyrinthe. Mais j’ai cherché autre chose parce que je n’aurais pas pu tenir un album là-dessus.

L’histoire aurait pu se dérouler à l’époque du minotaure.

C’est une question que je me suis posée. J’ai fait La licorne, 3 souhaits, et j’avais envie de sortir d’un récit historique.

Vous dites que vous ne vouliez pas faire du fantastique, mais quand on voit le labyrinthe (même si on comprend qu’il a été construit sur plusieurs générations), il est très spectaculaire et pas réaliste.

Quand je dis que je ne voulais pas faire de fantastique, c’est surtout que je voulais sortir des histoires de monstres, qui commençaient à m’ennuyer un peu. Mais j’aime beaucoup le fantastique et j’ai voulu créer un labyrinthe très impressionnant. Et puis, qui disait labyrinthe, disait aussi couloirs étroits pendant tout un album de 62 pages. Est-ce qu’on va sortir uniquement au moment du flashback ? Ou est-ce qu’on trouve une solution pour ne pas être à l’étroit graphiquement ? C’est là que j’ai commencé à me dire qu’il faudrait faire de grands espaces, des choses spectaculaires. Et comme parallèlement je développais l’idée de capacités cognitives enrichies, et bien ça me permettait de dire que les habitants du labyrinthe avaient fait des découvertes scientifiques.

Dans l’intrigue, il y a plusieurs strates. D’abord, la quête pour sortir. Et puis il y a aussi le « complot » basé sur les théories de Lashley. Tu as trouvé ça par hasard ?

Lashley, je connaissais car j’aime beaucoup l’histoire des sciences. J’y avais pensé. Une expérience avec les rats… Mais je ne savais pas jusqu’où il avait été et à quoi ça servait. Mais je trouvais l’image forte. Donc, en me renseignant, j’ai trouvé qu’il avait travaillé sur l’apprentissage et les capacités cognitives des rats. Mais ça n’allait pas plus loin que ça. On entre dans le fantastique quand je fais dire au personnage « et il a découvert quelque chose d’extraordinaire : la mémoire génétique. » C’est complètement faux. Il a simplement fait un travail sur les capacités d’apprentissage des rats. Pour voir comment fonctionnait la mémoire. Je rentre dans la science-fiction quand je dis qu’en complexifiant ses labyrinthes, il rendait ses rats plus intelligents. Et que ça réveillait ce savoir là chez leurs descendants. Là, c’est du fantastique complet. Alors, à partir de ça, j’arrive à expliquer toute la mythologie grecque. Donc, les personnages vont découvrir tout ça. Mais pourquoi sont-ils dans ce labyrinthe ? Pour avoir une réponse, je suis revenu aux racines du mythe du minotaure.

La première planche

Utiliser les expériences de Lashley, c’est aussi faire le parallèle entre les rats et les hommes. Les hommes sont des rats de laboratoire.

Exactement. C’est un peu comme dans Cube. La première piste à laquelle je veux faire penser le lecteur, et à laquelle les personnages pensent, c’est évidemment l’expérimentation, par le gouvernement ou autre. Dans le film, il y a une femme qui jouait le rôle de l’hystérique qui accusait le complot militaro-industriel, etc. Mais on ne sait pas pourquoi les gens sont là. Moi je voulais une explication, mais une autre explication.

Il y a une dernière strate, c’est une volonté de démythifier les mythes. Non seulement, les hommes ont créé les mythes, mais ceux-ci ont été créés parce que des humains ont véritablement vécu des événements qui ont été amplifiés, déformés et c’est devenu une mythologie.

En fait, j’aime bien référencer. Ça donne plus d’écho, ça rend les histoires plus fortes. Mais on ne peut pas le faire gratuitement. Si j’utilise des médecins dans La Licorne, il faut quand même que ça parle de médecine. Là, c’était pareil. J’étais dans le labyrinthe, donc je devais utiliser les mythes. Mais très vite, j’ai senti qu’il fallait que je les réinvente. C’est une démarche que j’ai naturellement. J’ai fait ça dans 3 souhaits avec les 1001 nuits. J’aime bien reprendre les briques et essayer de trouver une autre interprétation.

Et puis on apprend des choses aussi. Que la première pile a été inventée en Irak dans l’antiquité par exemple.

J’aime bien l’histoire des sciences. Ce qu’elles permettent de faire, ce que l’homme fait avec. Et puis j’aime glisser des références à ce qu’on a découvert. Les gens ne le savent pas, mais il y a eu des découvertes extraordinaires. L’évolution du savoir humain est faite de bonds et de reculs. Il y a effectivement cette première pile, qui avait un voltage très faible. On ne sait pas trop à quoi elle servait à l’époque.

Vous parlez aussi de l’hydraulique, des engrenages, de la chimie des poudres, du magnétisme. Est-ce que derrière, il n’y a pas une volonté de votre part de réévaluer l’antiquité ?

Je n’avais pas pensé ça comme ça, mais j’aime dire que les connaissances humaines ont une manière de progresser qui est surprenante. Pas forcément redorer le blason de l’antiquité.

Il y a aussi un travail de documentation sur la civilisation minoenne. Civilisation dont on ne connaît pas bien le quotidien.

J’avais dit à Stefano Palumbo [le dessinateur] qu’il fallait juste que ça soit plausible. Pour les armures, je voulais quelque chose de plus complexe que l’armement des hoplites et d’assez dissymétrique pour que ça soit un peu effrayant. Mais mon travail de documentation a été moins creusé que pour la Licorne par exemple. Je voulais juste être à sûr des références que je glissais. Pour moi, c’était d’abord une histoire fantastique. Mais je ne voulais pas dire trop de bêtises quand je parlais du concret.

L’histoire du Minotaure à travers les fresques peintes dans le labyrinthe

Au niveau des fresques, ça m’a un peu gêné parce qu’elles sont dessinées dans un style grec classique, alors que le style minoen est très élégant.

J’avoue en toute franchise que j’étais parti dans l’idée de quelque chose qui fasse sobre et réaliste, et ensuite qui parte dans le délire. C’est Marguerite Yourcenar dans Les mémoires d’Hadrien qui avait dit « on ne peut pas faire du vrai, on peut faire de l’authentique ». Mais c’est vrai qu’on n’a pas réfléchi plus que ça aux fresques. On a juste pensé qu’il fallait que ce soit joli. Je suis d’accord, c’est une direction qu’on aurait pu explorer. On ne l’a pas fait, plus par oubli.

Comment s’est fait le choix du dessinateur ?

Je connaissais le travail de Stefano par le biais d’un copain qui avait essayé de monter des projets avec lui. On est entré en contact et ça s’est fait très simplement. Je l’avais choisi parce que je savais que j’avais besoin d’un mec qui était capable de faire des beaux décors, et qui n’avait pas peur d’en faire. Je crois qu’il donne des cours d’architecture dans une école de Beaux-arts italienne et donc il s’est éclaté là-dessus.

Et vous aviez déjà travaillé avec un Italien. C’est comme ça que vous avez connu Stefano ?

J’avais travaillé avec Paolo Martinello sur 3 souhaits, oui. Mais je n’ai pas connu Stefano par ce biais. Cependant, eux deux se connaissaient. Et Paolo a joué un peu le rôle d’intermédiaire pour prendre contact avec Stefano.

Et pour la collaboration, comment ça s’est passé ?

Pour la doc, je lui ai envoyé des liens, des références, sur Lashley, sur la civilisation minoenne. Après, il a creusé de son côté. Mais je crois qu’ils ont une grosse formation sur l’Antiquité en Italie. Et en plus, c’est un sujet qu’il étudie dans ses cours. Ensuite, il y a eu beaucoup de travail sur les storyboards. On discutait beaucoup à trois avec David Chauvel. Et puis après, les planches tombaient régulièrement, ça s’est très bien passé.

Il faut souligner aussi les couleurs, qui sont très réussies.

Lou, je le connais depuis mon premier album chez Delcourt, et puis on n’a plus travaillé ensemble pendant une grande période. Pendant ce temps là, il a explosé. Pour moi, c’est un des meilleurs coloristes français à l’heure actuelle. J’étais content de le retrouver. Les couleurs sont très belles. Elles ajoutent aux détails du dessin tout en restant fluide.

Il travaille sur ordinateur ?

Oui, et il ajoute des textures un peu aquerellées pour éviter que ça fasse très ordinateur.

Ses ambiances sont très variées. On passe des teintes rouges à des teintes vertes, en passant par des ambiances de bleu.

Les coloristes l’ont en tête de manière assez classique, mais je sais que j’aime bien avoir des notes d’ambiances bien particulières à chaque scène.

Et pour finir, quels sont vos prochains projets ?

Pour l’instant, je termine des séries. Le troisième tome du Mystère Nemo vient de sortir. En début d’année prochaine, je fais le tome 3 de WW2.2, avec Vax au dessin et Lou aux couleurs, une histoire d’espionnage. En cours de dessin, il y a la fin de 3 souhaits. Il y a un autre projet chez Glénat qui va parler de dragons. Et ensuite, il y a plein de choses en cours d’écriture ou de développement, dont je ne peux pas encore parler pour le moment.

Une belle salle du labyrinthe

Un pas à pas posté par David Chauvel sur son blog

(par Thierry Lemaire)

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