Rien que sur ce site, plus d’une centaine d’articles sont consacrés au maître de Bruxelles. Le logos de la tintinophilie est inépuisable, dépassant largement l’énergie et l’attention des plus accros des aficionados.
Pourtant il est deux ouvrages qui méritent de se pencher à nouveau sur ces analyses qui profitent de chaque jubilé (cette année est marquée par le 30e anniversaire de la disparition d’Hergé) pour se multiplier comme champignons après la pluie.
Un Oncle nommé Hergé (Ed. L’Archipel) jouit d’un statut particulier. Il est écrit par le propre neveu et filleul d’Hergé qui représente d’autant mieux sa famille qu’il porte le même nom -Georges Remi- que le grand homme. Qu’en dire ?, sinon qu’il est difficile de croître à l’ombre d’un grand arbre.
L’ouvrage est truffé d’informations intéressantes, en particulier sur la relation entre Hergé et son frère Paul Remi. Il confirme le moule familial duquel Hergé est issu : catholique, conservateur, royaliste, tellement "belgicain". Le frère d’Hergé est militaire. Militaire parce qu’ainsi fonctionnait l’ancien régime : un fils entrepreneur ou magistrat, un fils curé, un fils militaire...
Mais la fratrie Remi ne se compose que de deux frères, aucun d’entre eux ne sera curé. Le catholicisme et son surgeon militariste et colonialiste -le scoutisme- reste en revanche dans le logiciel.
Paul Remi est le militaire d’un pays neutre, défait puis soumis, dont le général en chef -le roi des Belges Léopold III- est soupçonné d’avoir désarmé son pays avant de le livrer à l’ennemi (c’est la Question Royale, qui se résout en 1950 par son abdication). Paul Remi apparaît comme un militaire qui doit occuper après la guerre le territoire de l’ennemi d’hier, chevillé sur la Guerre Froide et l’anticommunisme. Une sorte de Zangra, "vieux général du fort de Belonzio qui domine la plaine", chantait Brel.
Son fils -le neveu d’Hergé donc- vit dans la lumière de celui à qui tout réussit, malgré qu’il se soit trompé sur tout comme toute une génération de Belges qui pense encore aux vertus du passé.
On sait combien Hergé a tourné le dos à ce passé erratique, comment il a repoli son œuvre pour en effacer les aspérités idéologiques, contrit par ses anciennes amitiés d’ "extrême droite" (c’est ainsi qu’il qualifie idéologiquement, par deux fois, le journal de l’abbé Wallez quand il est interrogé sur Tintin au Congo par Bernard Pivot), comment même il renonça à son premier mariage pour épouser Fanny.
Nous sommes éclairés aussi sur les relations entre la famille de Paul Remi, le frère d’Hergé, et le "château" de Moulinsart, cet entourage qui va gérer l’œuvre d’Hergé et dont plus d’un se sentira dépossédé après sa disparition en 1983, chacun prétendant à l’héritage : "Tu sais, Georges, Tintin, c’était notre histoire à tous les deux, dit Germaine , la première épouse d’Hergé, à son neveu à cette occasion. J’en ai partagé la genèse, les péripéties et les succès, mais aussi les moments difficiles..."
Georges Remi Jr nous raconte ses relations avec Fanny et Nick Rodwell, orageuses comme avec d’autres, mais on sent bien la limite et les attentes forcément déçues des revendications du "Neveu de..."
Une lettre à Hergé
L’autre ouvrage paraissant de façon simultanée est ce pertinent volume de Jean-Marie Apostolidès intitulé "Lettre à Hergé" (Les Impressions nouvelles). Il mérite d’être lu parce qu’il est non seulement remarquablement écrit mais aussi parce qu’il interroge pour la première fois ce qui fait le succès de Tintin, produisant au passage une thèse inédite.
Pourquoi ce personnage a-t-il accédé au statut de mythe jusqu’à séduire un Tycoon d’Hollywood et à être lu jusqu’en Chine ? Pourquoi tant de passion, d’analyses et de commentaires ? Pourquoi lui et pas un autre ?
Il analyse son statut de « rôle-modèle », de « redresseur de temps ». Il revient sur trois époques : "Tintin avant Tintin", "la première génération des lecteurs de Tintin", "la seconde génération des lecteurs de tintin" s’étendant sur les "aspects du mythe Tintin", notamment ceux qu’il avait développés dans son précédent ouvrage Tintin et le mythe du surenfant (Ed. Moulinsart) ; enfin, rejoignant en cela Georges Remi Jr, il s’intéresse au "Tintin après Tintin", la succession d’Hergé et en particulier à l’usage qu’a fait Spielberg de son univers, "nouvelle métamorphose" : "...de même que le petit reporter a été assez fort pour échapper à son temps, il paraît assez grand pour échapper également à son medium d’origine, le livre, la bande dessinée, et continuer sa carrière à travers le cinéma...".
Il conclut enfin que Tintin est devenu un mythe par la grâce d’une génération de baby-boomers qui a grandi "dans le contexte d’un monde sans signification", absurde, marquée par "la faillite des explications du monde liées à la transcendance. Il y a ni dieu, ni sauveur ; la vie n’a d’autre finalité que de se reproduire elle-même."
Le sens de la vie vient donc désormais de nouvelles fictions. Se substitueront-elles à nos antiques Testaments ? L’œuvre d’Hergé, selon Apostolidès, joue le rôle d’un Ideal-Type à la Max Weber, annonciateur des valeurs du futur dont les univers numériques sont le dernier refuge et dont Spielberg & Peter Jackson nous ont en quelque sorte ouvert les portes.
Une première "métaphysique de Tintin" en quelque sorte.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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