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Michaël Sterckeman ("Adam & Elle") : "Dans ce récit, c’est l’aspect sentimental et amoureux qui prime."

Par Yohan Radomski le 2 janvier 2013                      Lien  
Avec le scénariste Gwen de Bonneval, Michaël Sterckeman sort {Adam & Elle}, aux éditions Glénat. Rencontre, et regard sur le chemin parcouru depuis son premier album sorti en 2000.

En 2000 paraît votre premier album, Petit Manège, aux éditions Ego comme X, particulièrement tournées vers l’autobiographie. Comment situez-vous cet album par rapport à la démarche de l’éditeur ?

J’ai publié cet ouvrage à une époque où l’autobiographie - et par conséquent mon éditeur Ego comme X - avait le vent en poupe.

J’ai par la suite regretté les positions parfois trop étriquées chez Ego, un intérêt quasi exclusif pour le vécu…

Dans Petit Manège, les relations humaines sont vues sous un angle plutôt grotesque et pessimiste.

J’ai fait ce livre il y a déjà 12 ans, je ne suis bien évidemment plus la même personne aujourd’hui.

Mais je crois qu’à l’époque j’essayais d’épingler le côté mécanique, conformiste qu’on retrouve parfois dans les comportements humains, comme une partition élémentaire qui sous-tendrait tous ces comportements. J’ai fait ça comme un jeu…

Michaël Sterckeman ("Adam & Elle") : "Dans ce récit, c'est l'aspect sentimental et amoureux qui prime."
Une planche de Petit manège
(C) Michaël Sterckeman & Éditions Ego comme X

En 2007, avec Intersections aux éditions Atrabile, sous semblez continuer dans cette voie.

Dans ce livre comme dans Petit manège, je crois que j’ai aimé faire une peinture plutôt acide des relations humaines. D’abord parce que ça m’amuse, mais c’est aussi parce dans la noirceur, les quelques rayons de lumière sont encore plus beaux et précieux…

La couverture d’Intersections
(C) Michaël Sterckeman & Éditions Atrabile

Est-ce qu’Adam & Elle fait partie de cette même famille de récits ?

Oui, dans le sens où c’est une récit contemporain, urbain…

Vous avez aussi travaillé sur des récits pour enfants. D’abord Le Prince aux plumes, chez Milan, un récit qui est né dans la revue Capsule Cosmique.

L’aventure Capsule cosmique m’a donné l’opportunité d’’écrire pour la jeunesse, en tâtonnant beaucoup, mais sans jamais avoir vraiment l’impression de trouver le propos et le ton juste…

Au final, je me suis rendu compte que ça n’était pas vraiment mon truc.

Et La Danse du Quetzal ?

C’est un projet que j’ai publié dans la foulée et qui me tient vraiment à cœur. Il s’adresse à un public ado-adulte.

Ça n’est pas une histoire à proprement parler autobiographique mais je l’ai réalisée en essayant de retrouver des impressions et sensations que j’avais durant mon enfance. Il y a aussi beaucoup de décors naturels et paysages de ma jeunesse qui ont comptés pour moi…

Pour le journal Spirou, vous réalisez une série de reportages. Quel en était le principe ?

La couverture de La Danse du Quetzal
(C) Michaël Sterckeman & Éditions Sarbacane

C’était une série de reportages didactiques basés sur la rencontre de gens ayant une activité en relation avec le monde animal, que ce soit dans le domaine de la conservation/protection, des sciences, du spectacle, etc. Ça tenait plus d’un travail de médiation, mais il y a eu de belles rencontres, j’ai beaucoup appris.

Ça a aussi modifié la conception que j’ai de notre relation avec le monde vivant, et la place qu’on lui accorde dans notre culture contemporaine…

Il y a encore eu Le Chant des Oiseaux, chez Atrabile en 2002. On retrouve souvent les animaux dans vos récits...

La relation que nous avons avec le monde vivant et sa complexité m’a toujours fasciné, parce que cette c’est cette relation qui définit notre identité et l’originalité de l’homo sapiens sur notre planète.

Avec Le Chant des Oiseaux, l’idée était de trouver un lien fantaisiste et poétique entre comportements humains et le monde naturel (les oiseaux ici).

C’est un récit que j’ai réalisé en improvisant avec tous les risques que ça comporte. Je nourris beaucoup de regrets par rapport à ce livre car au final il a un côté décousu, il y a un éparpillement relatif…alors que l’idée de base me paraissait intéressante.

A tel point que je songe sérieusement à faire une forme de "remake"… et pourquoi pas ?...

On est là encore dans la comédie de mœurs, mais avec la présence de scientifiques excentriques, de farfelus...

Illustration pour Le Chant des Oiseaux
(C) Michaël Sterckeman & Éditions Atrabile

Oui, l’ambiguïté que présente ce type de personnage est vraiment intéressante, car ils oscillent souvent entre bêtise et génie, les deux paroxysmes de l’espèce humaine.

Les scientifiques sont souvent amenés à faire des choses étranges, émettre des idées qui peuvent paraître "bizarres" aux yeux du commun des mortels. Ils ont une sensibilité et une intelligence originales. Thomas Edison s’est fait virer de l’école parce que son professeur le jugeait "stupide" et il y a beaucoup d’autres exemples comme ça…

Dans le cas de mes héros, ce sont deux scientifiques ratés. Leur intuition de base pourrait paraître pertinente, mais leur méthodologie et leurs errances sont grotesques, ce sont des losers magnifiques…

Est-ce qu’il y a des auteurs, quelque soit le médium, dont l’œuvre entre particulièrement en résonance avec vos thèmes favoris ?

Il y a beaucoup de dessinateurs qui m’ont influencé évidemment dans mon expression graphique, du côté de la bande dessinée indépendante américaine et française.

Pour ce qui est des thématiques, cela dépend. Des lectures d’ouvrages scientifiques ont influencé les récits qui traitent plus explicitement de notre relation à la nature, et pour ce qui est de la littérature, du cinéma, les influences sont multiples, c’est difficile d’en dégager une plus particulièrement…

Vous avez réalisé diverses illustrations. Comment abordez-vous cette partie du travail de dessinateur ?

J’ai fait beaucoup d’illustrations pour la presse à un certaine époque, j’en fait moins maintenant malheureusement.

Mais je continue à produire des images en parallèle de mon travail en bande dessinée, parce que j’en ai besoin, et aussi parce que ça ouvre souvent d’autres perspectives dans la représentation, le traitement, et ça revient souvent influer sur le travail narratif…

En 2011 et 2012 paraît en deux tomes Cent Mille Journées de prières, aux éditions Futuropolis. Comment a eu lieu la rencontre avec la scénariste Loo Hui Phang ?

J’ai rencontré Loo il y a une dizaine d’années, elle avait fait des ouvrages chez Atrabile tout comme moi, ouvrages que j’ai appréciés.

Ayant une sensibilité assez proche, notre collaboration s’est faite tout naturellement…

Avec plus de deux cents pages sur deux tomes, c’est votre œuvre la plus imposante. Est-ce qu’il y a eu des difficultés pour rentrer dans ce long travail ?

Pour y rentrer non, car le scénario était solide et remarquablement construit. Quand on s’embarque dans une aventure aussi longue, c’est plutôt rassurant.

Par contre, travailler deux ans sur un sujet aussi grave que le génocide cambodgien n’est pas toujours facile au quotidien. Au bout, il y a forcément l’envie de revenir à des choses plus légères…

Une page de Cent Mille Journées de prières
(C) Loo Hui Phang, Michaël Sterckeman & Éditions Futuropolis

Jusqu’alors vous aviez écrit vos propres histoires. Cela change quoi de travailler en collaboration ?

Au départ, il y a l’envie d’oublier un peu ses "marottes", découvrir d’autres préoccupations, ce qui est vraiment nécessaire à certains moments.

Après, on n’entretient pas forcément la même relation avec des personnages qui sont issus de votre imagination et ceux issus d’une autre...

Il y a des différences entre la façon de travailler avec Loo Hui Phang et avec Gwen de Bonneval ?

Loo avait écrit l’intégralité de l’histoire à la façon d’un scénario de film.

Pour ce qui est d’Adam & Elle, Gwen propose un découpage précis mais écrit l’histoire au fur et à mesure, selon un plan établi en amont évidemment...

Vous êtes intervenu dans le scénario ?

Point du tout. Ou alors des détails.

Qu’est-ce qui détermine le choix de travailler en noir et blanc, au lavis, en couleurs ?

On fait les choix formels et artistiques en fonction de l’atmosphère qu’il faut instiller, mais aussi des contraintes temporelles, ce qu’on ne peut malheureusement pas négliger surtout dans le cas d’un récit long…

Revenons à Adam & Elle, dont le premier volume sur deux sort maintenant. Comment est née la collaboration avec Gwen de Bonneval ?

Là encore, je connais Gwen depuis bon nombre d’années, depuis l’époque du magazine Capsule Cosmique. On fraye dans le mêmes eaux et notre collaboration s’est imposée naturellement puisque c’était aussi à un moment où je recherchais ce genre d’aventures...

Une planche du tome 2 d’Adam & Elle (à paraître)
(C) Gwen de Bonneval, Michaël Sterckeman & Éditions Glénat

Les personnages évoluent dans un milieu artistique, un peu bohème. Il y a une dimension autobiographique ?

Oui, il y a une dimension autobiographique assez forte même si à mon sens, cette histoire pourrait se dérouler dans un milieu assez différent.

C’est l’aspect sentimental et amoureux qui prime. C’est dans ce domaine-là que Gwen a livré les choses les plus personnelles…

Vous avez réalisé des repérages pour cet album, des croquis, des photos ?

Avec Gwen nous avons arpenté les rues du 18ème et de Belleville. Nous avons fait un véritable casting de bars en quelque sorte puisqu’il y en a un lot dans ce projet…

Nous éprouvons un amour commun pour les bars, pas uniquement par passion de la boisson, non, mais parce que chaque bar, ou du moins certains, est un petit théâtre en soi, un concentré d’humanité…

Vous tendez à une représentation réaliste des personnages, des situations ?

Pour le cas d’Adam & Elle oui, même si dans l’absolu, j’aimerais bien que ce soit un poil plus graphique, ou stylisé, comme vous voudrez.

Pour ce qui me concerne, dans le cadre d’un travail en collaboration, j’ai parfois le sentiment de faire des choix plus neutres, moins marqués que dans ce que je pourrais faire en solo…

Croquis pour Adam & Elle tome 2
(C) Gwen de Bonneval, Michaël Sterckeman & Éditions Glénat

Vous travaillez sur d’autres projets ?

Le ciel est malheureusement sombre en ce moment dans le domaine de l’édition, mais j’ai bien d’autres projets en solo, que je réaliserai si on m’en donne l’opportunité…

Question rituelle : quand vous étiez adolescent, quels étaient vos albums de bande dessinée de chevet ?

Je lisais très peu de bd quand j’étais ado, peu de livres en général, c’est venu plus tard.

Disons que le vrai choc esthétique, ce fut Hergé. Ça n’est pas très original, mais c’est venu à moi par hasard, parce que personne ne m’a vraiment initié à la lecture et encore moins à la bande dessinée...

Une planche d’un projet en solo
(C) Michaël Sterckeman

(par Yohan Radomski)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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