Après s’être lancé dans un doctorat en psychologie, Michel Dufranne a travaillé dans l’univers du jeu de rôle, puis de la presse SF avant de devenir rédacteur-en-chef du magazine Pavillon rouge. Grand ami de JD Morvan, il collabore avec lui à l’écriture du HS de Sillage, le Collectionneur, ainsi qu’à Helldorado.
Puis il se lance en solo avec Souvenirs de la Grande armée et la Guilde encore sous le pseudonyme de Miroslav Dragan. Chroniqueur BD pour le Journal du Mardi et spécialisé en polar et science-fiction pour l’émission littéraire Mille-feuilles de la RTBF, il s’est lancé dans l’adaptation de la Bible avec son confrère français Jean-Christophe Camus
Comment vous est venue cette idée d’adapter la Bible ? Car ce n’est pas une première !
Il en existe effectivement déjà plusieurs versions en bande dessinée, dont celle de Moliterni chez Dargaud. Et j’espère que cela ne sera pas la dernière fois qu’on l’adaptera non plus ! Pour comprendre l’origine de cette série, il faut savoir que je suis belge, mais je travaille beaucoup à Paris. Et j’ai pu observer que la laïcité et tout ce qui touche à la religion sont perçus fort différemment dans ces deux pays. Juste avant une réunion, je discutais avec mes collègues, et ceux-ci me soutenaient qu’il fallait bannir la religion, et que la Bible n’intervenait aucunement dans leur vie. Pour ma part, je pense qu’elle fait partie de notre éducation judéo-chrétienne, tout en comprenant qu’il faut séparer croyance, Histoire et institution religieuse.
Lors de l’interminable réunion de travail qui suivit, je notai toute les petites phrases qu’ils purent dire en lien avec la religion : « Il faut séparer le bon grain de l’ivraie », « on voit la paille chez le voisin, mais la poutre dans son œil », etc. Leur faisant remarquer par après, je m’aperçus qu’ils croyaient que ces images et expressions étaient issues de la langue française, alors qu’elles proviennent de la Bible. C’est alors que je me rendis compte que les adversaires de la Bible la connaissent très mal, malgré que l’Ancien Testament soit commun aux Juifs, aux Chrétiens et aux Musulmans. Après un sondage aux résultats édifiants (les jalons judéo-chrétiens sont bien présents parmi toutes sortes de croyants ou non-croyants, mais tous les éléments sont mélangés dans leurs têtes), nous décidâmes de voir Jean-David Morvan pour lui faire part de notre projet d’adapter la Bible. Je dis « Nous » car je ne désirais pas aborder ce travail titanesque seul, et comme je travaille avec Jean-Christophe Camus depuis des années, je lui ai demandé de m’accompagner.
Vous vous êtes tout de même posé des balises précises.
Nous voulions une adaptation littéraire, nous collant le plus possible au texte pour les commentaires, tout en plaçant des dialogues qui permettaient d’entrer facilement dans l’ambiance du récit. Nous ne voulons effectivement pas amener d’interprétations : ce n’est pas notre rôle. Si nous lisons les études historiques qui remettent en cause tel ou tel élément, et même si nous connaissons les évangiles apocryphes, nous voulions proposer le texte dans sa version la plus commune. Puis, c’est au lecteur à faire son propre chemin de découverte, de se poser des questions ou, au contraire, de s’indigner qu’une telle bande dessinée puisse exister.
L’idée majeure de votre adaptation est donc de faciliter la vulgarisation de la Bible ?
La bande dessinée demeure le cinéma du pauvre car actuellement, je n’imagine pas qu’on puisse encore trouver les fonds pour refaire du Cecil B. DeMille [1] ou alors cela deviendrait Avatar. Une autre voie serait de s’axer sur une seule et unique partie du texte avec une direction affirmée comme le film de Mel Gibson. Avec la bande dessinée, on garde donc cette marge de manœuvre d’adaptation, car on peut tout dessiner. Et puis, la BD est un objet innocent. En la laissant traîner, même les imperméables pourraient se risquer à la feuilleter d’abord rapidement, puis à s’arrêter sur une page ou l’autre. Bien entendu, cela demeure une démarche personnelle, mais je pense que c’est une porte d’entrée plus abordable que le texte en rang serré sur une feuille presque transparente, comme on peut le trouver dans quelques bibles.
Alors se posent donc les question de l’opportunité de placer des dialogues qui ne sont pas tous issus du Texte, puis le choix de la traduction en elle-même, car il en existe beaucoup !
Nous voulions faire une vraie bande dessinée, pas du texte illustré. Nous avons donc utilisé les outils à notre disposition : les dialogues, le jeu des cadrages, les polices, les inserts, la possibilité d’utiliser des pleines pages ou doubles pages, etc. Comme pour Souvenirs de la Grande Armée où je désirais sortir des images d’Épinal. Nous nous sommes aussi donné un garde-fou en ne travaillant que sur une et une seule traduction. De nouveau, en réalisant un sondage parmi nos connaissances, tous spécialisés dans les textes mais issues de plusieurs confessions, y compris Frédéric Lenoir qui préface les albums, c’est le travail de Louis Segond qui a toujours été cité par les trois plus importantes et intéressantes de nos références, tout en restant fort proche du texte originel. Malgré quelques limites, elle s’est donc imposée !
Comment vous êtes vous attachés à deux auteurs croates, dont ce sont les premiers travaux, pour réaliser l’adaptation en parallèle de l’Ancien et du Nouveau Testament ?
Les auteurs à qui nous l’avons proposé d’entrée n’étaient pas réellement emballés, ou voyaient surtout le rapport financier avec des commentaires comme « la Bible, cela va bien se vendre, on va se faire du fric ! » Bien entendu, il faut que tout le monde puisse vivre, mais la démarche purement vénale ne rencontrait pas nos priorités. Nous avons alors élargi nos recherches à l’Europe, rencontrant divers dessinateurs dont le style aurait pu coller, mais l’implication de chaque communauté jouait sur le regard de l’auteur ! Un Russe était motivé, mais il voulait développer sa vision orthodoxe, avec tout l’aspect clinquant que cela comporte. Des Polonais se sont mis sur les rangs, mais la force du dogme très présent chez eux a freiné notre entrain. Nous avons encore eu l’une ou l’autre expérience négative, jusqu’à rencontrer ces Croates, qui ont bénéficié d’un enseignement catholique, sans virer sur la bigoterie. Ils savaient donc de quoi nous parlions, tout en ayant en même temps suffisamment de recul pour faire la part des choses.
Actuellement, vous avez donc déjà publié La Genèse, et la première partie de l’Exode, ainsi que L’Évangile selon St Matthieu. Allez-vous continuer cet aspect ‘chronologique’ ensuite, car certains passages sont moins évocateurs...
Pour l’Ancien Testament, nous terminerons l’Exode dans une seconde partie, puis nous désirons continuer à nous attacher aux textes originels. Effectivement, il faudra peut-être réfléchir sur le mode narratif à privilégier, mais on y pense à tête reposée. Du côté du nouveau Nouveau Testament, Dalibor Talajic travaille sur les Actes des Apôtres que nous allons diviser en deux albums, car le rythme de texte s’y prête admirablement bien, ce qui n’était pas le cas de L’Évangile. Mais il faut bien se rendre compte que c’est réellement un gros travail que de réaliser cette adaptation, car nous lisons énormément de livres pour présenter un cadre le plus crédible possible. C’est pour cela que je rêve actuellement d’écrire des récits de Fantasy dans lesquels je peux tout inventer moi-même ! (rires)
Justement, à côté de vos autres adaptations comme Candide, Beowulf et les trois mousquetaires, est-ce que vous avez d’autres projets en plus des Souvenirs de la Grande Armée ?
Concernant cette dernière série, le prochain album se concentrera sur la Retraite de Russie, en 1812. À côté de cela, j’ai des albums en préparation, qui évoquent la place de l’humain et sa souffrance au cœur de la Seconde Guerre mondiale. Comme je suis très maniaque, je réalise beaucoup de recherches, mais il faudra vous armer de patience pour en savoir plus.
(par Charles-Louis Detournay)
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Michel Dufranne sur ActuaBD, c’est aussi :
les chroniques de Souvenirs de la grande armée, tomes 1, 2 et 3
la Bible avec la genèse tomes 1 et 2, ainsi que le Nouveau Testament
les Trois mousquetaires et Beowulf lors de son interview par Nicolas Anspach : "L’adaptation d’un roman en BD est une question de choix, d’évidence et d’équilibre"
Photo en médaillon : © M Leroy/RTBF
[1] Réalisateur du film Les Dix commandements, avec Charlton Heston.
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