Quel coup de pub ! On a appris début février, au moment même où sortait le nouvel épisode des aventures de Michel dessinées par Pierre Maurel et éditées par L’employé du Moi, que le multimilliardaire et fondateur d’A****n Jeff Bezos projetait de faire démonter un pont historique de Rotterdam pour faire passer son nouveau et gigantesque yacht. Alors que les conséquences du transport de ces navires de luxe sont justement au cœur de La fin, les moyens, tout ça... ! Qui eût cru qu’un ultra-riche, chantre du libéralisme et de l’économie numérique, en fasse autant pour soutenir un éditeur alternatif belge et un dessinateur français prônant des valeurs de solidarité ?
Après trois volumes parus en 2018, 2019 et 2020, La fin, les moyens, tout ça... entame un nouveau cycle pour Michel. En couple avec Béa - lui qui a si longtemps attendu le grand amour - et installé quelque part dans le Sud-Ouest de la France, le débonnaire, maladroit et si sympathique reporter radio coule des jours paisibles. Certes, il ne roule pas sur l’or ! Mais peu importe. Béa [1] a trouvé un emploi dans une supérette de produits bio, lui dispose de suffisamment de temps pour réaliser de nouveaux reportages et tous deux s’entendent à merveille. Ils profitent du cadre rural, des repas entre amis et même, en douce, de la piscine de leurs riches voisins.
Mais la tranquillité n’est jamais acquise. S’il n’y avait que la fille des voisins, qui prépare son anniversaire, ce serait gérable. La multiplication des convois exceptionnels sur les petites routes du coin met à mal tout un équilibre. Un pont doit être construit à proximité pour permettre de passer à ces convois, diligentés par une grosse entreprise spécialisée dans le transport de yachts. En attendant, les ennuis s’accumulent : routes défoncées, embouteillages monstres, riverains aux bords de la crise de nerfs... Même le fidèle destrier de Michel - son vieux vélo - en fait les frais.
Bizarrement, le maire de la principale commune importunée ne semble pas vouloir bouger le petit doigt. Il n’en faut guère plus à Michel pour sentir le coup fourré et se lancer dans une enquête, qui le mène bien au-delà de ce qu’il imaginait. Entre collusion d’intérêts et affaire de famille, ses petites découvertes mettent en lumière tout un monde où l’argent et les arrangements règnent. Tant et si bien que Michel, bien qu’opiniâtre et sûr de ses valeurs, se retrouve face à des choix cornéliens - forcément cornéliens !
Sans se départir de l’humour qui caractérise sa série ni de l’engagement qui reflète ses idées, Pierre Maurel emmène ses personnages dans de nouvelles directions. Moins de galères quotidiennes, une forme d’apaisement et la tentation de cultiver son jardin - dans tous les sens de l’expression. Mais aussi de nouvelles préoccupations et des relations qui s’approfondissent.
Pour le reste, le dessinateur cultive ce qui fait l’originalité et la saveur de sa série. Les questions contemporaines aux répercussions à la fois globales et locales ne sont jamais perdues de vue. Entrecoupées de quelques gags bien amenés, certaines séquences poussent à se remettre en cause. Mode de consommation et de communication sont interrogés et mis en perspective avec des valeurs humanistes telles que l’amitié et la solidarité.
Chaque épisode de Michel est une valeur sûre. Celui-ci, le quatrième [2] mais le premier composé d’un seul récit long, renouvelle le plaisir de retrouver ce personnage bon camarade et bon vivant. On ne saurait que trop le recommander à Jeff Bezos. Il risque de ne pas y comprendre grand-chose, mais il sera l’un des rares à ne pas savoir en profiter.
(par Frédéric HOJLO)
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Michel. La fin, les moyens, tout ça... - Par Pierre Maurel - L’employé du Moi - 18 x 26 cm - 80 pages en noir & blanc - couverture cartonnée, dos toilé - parution le 4 février 2022 - 18 €.
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[1] Des épisodes lui sont consacrés dans la revue Bento des éditions Radio as Paper, à partir du n° 6 paru à l’été 2020.
[2] Si l’on met de côté un ouvrage paru en 2006, bien avant que la série soit véritablement lancée.
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