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Michel Lagarde : "Une belle carrière dans la pub excède rarement les dix ans."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 14 novembre 2012                      Lien  
Certains auteurs de BD font une jolie carrière dans la publicité et l'illustration, dont ils tirent une part substantielle de leurs revenus. La plupart d'entre eux ont un agent qui les coache dans ces métiers un peu particuliers. Comment ça marche, quelles sont les règles de cet univers réputé impitoyable? Pour le savoir, nous avons rencontré l'un d'eux, Michel Lagarde, l'un des agents les plus réputés de la place de Paris depuis 20 ans, et un grand amateur du 9e art.
Michel Lagarde : "Une belle carrière dans la pub excède rarement les dix ans."
Pour les 20 ans d’Illustrissimo, deux évènements à retenir :
- parution d’un livre-catalogue
- une exposition collective à l’agence (jusqu’au 24 novembre, du mardi au vendredi de 14h30 à 19h - 13 rue Bouchardon 75010 Paris).

Comment êtes-vous devenu agent d’illustrateurs ?

J’ai commencé par monter à l’âge de 20 ans une première maison d’édition basée à Bordeaux et axée sur l’édition de sérigraphies et de portfolios avec des auteurs de bande dessinée dans les années 1990. Puis, de fil en aiguille, j’ai démarché des agences de publicité à un échelon régional avec une poignée d’illustrateurs. Très rapidement ensuite à un niveau national à partir de 1992 et international dans les années 2000 avec l’essor de l’Internet. Il y a pile 20 ans qu’Illustrissimo s’est installé à Paris

Si l’on veut être représenté par vous, cela se passe comment ?

Je ne cherche pas absolument de nouveaux dossiers, il faut évidemment que ça me plaise, que ça puisse s’intégrer à l’offre déjà existante et correspondre à une demande potentielle pour mes principaux clients (agences de publicité, magazine et maisons d’édition).

Quels sont les grandes signatures de votre catalogue ?

La notoriété des illustrateurs reste une notoriété de milieu, et le grand public ne connaît pas forcément les noms mais se familiarise avec les styles.

Actuellement les noms de Blexbolex, Jean Jullien, Alex Trochut, McBess sont considérés comme des grandes références dans mon milieu. Beaucoup de jeunes illustrateurs formés aux Arts Déco de Strasbourg ou de Paris ou dans des écoles d’Art appliqué (Estienne, Duperré, Esag) commencent à avoir un succès croissant et à imposer leur graphisme.

Jusqu’au 17 novembre, Arts Factory présente une magnifique et incontournable exposition rétrospective de Blexbolex à la galerie Lavignes- Bastille (27 rue de Charonne 75011 Paris). C’est un des auteurs-phare de l’illustration française du moment.

Est-ce que cette activité peut être un complément à celle d’auteur de bande dessinée ?

Nous représentons certains jeunes auteurs de bande dessinée comme Marion Fayolle, Quentin Vijoux que j’essaie par ailleurs de suivre en tant qu’éditeur. C’est donc un complément possible, mais cela reste un métier à part entière.

Apparemment, ce n’est pas une activité au long cours. Les carrières sont courtes dans ce métier ?

Une belle carrière dans la pub excède rarement les dix ans mais, de plus en plus, nous pouvons parler de saisons ou de cycles. Trois ans au meilleur niveau pour un illustrateur est déjà un petit exploit.

Americanin est le premier livre de Yann Kebbi aux éditions Michel Lagarde.

Votre activité est très internationale...

Nous travaillons avec la plupart grandes enseignes parisiennes de publicité, et de plus en plus pour des clients internationaux. Notre terrain de jeu est plus à l’échelle de l’Europe, plus difficilement pour les États-Unis et le Japon où nos grandes signatures sont représentées sur place, à l’exception des campagnes "Monde" élaborées à Paris

L’esthétique de la BD, si on peut l’appeler ainsi, intéresse-t-elle la presse magazine, la publicité ?

Si on compare avec les années 1980 où la Ligne Claire était dominante et où les grandes signatures de la BD avaient une vraie valeur marchande, ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Il suffit de remémorer le livre de référence Objectif pub d’Alain Lachartre (Magic-Strip / Robert Laffont, 1984), pour voir que nous avons changé d’ère.

Ce livre (que vous connaissez bien) a d’ailleurs été à la base de mon envie de devenir agent. Actuellement, il s’agit plutôt d’exploiter des personnages célèbres (parmi eux : Le Chat, Titeuf, Largo Winch, Corto Maltese,...) mais ce n’est plus du tout la même démarche.

On voit souvent dans les publicités de grande consommation des artistes de style "girly" issus des blogs. L’Internet a-t’il changé la donne par rapport à votre métier ?

Le style "girly" fonctionne assez bien apparemment, mais je ne suis pas sur ce créneau, par goût et par choix. Internet a tout changé dans nos métiers, nous pouvons être partout à la fois, et cela a démultiplié nos commandes et la visibilité de nos artistes.

Combien peut gagner en une année un auteur qui "marche bien" ?

Question délicate, mais entre 50.000 et 200.000 Euros par an, on peut parler d’illustrateurs qui marchent bien. Au delà, ce sont 4/5 noms et forcément à un niveau international qui restent l’exception qui confirme la règle : seule une petite cinquantaine d’auteurs sont à ce niveau-là, toutes agences confondues. La moyenne se situerait plutôt autour de 20.000 Euros pour un auteur qui marche pas mal.

Existe-t-il des agents "globaux" qui gèrent l’intégralité de la production d’un auteur (BD + illustration + publicité) ?

Les agents sont plutôt spécialisés pour les négociations en pub. Il m’arrive d’apporter des conseils pour orienter un travail d’auteur auprès des maisons d’édition. De mon côté, j’essaie d’agir sur trois niveaux, en tant qu’agent, éditeur et galeriste pour une poignée d’artistes. Ce ne sont d’ailleurs pas forcément les mêmes.

Au fond, vous n’investissez rien, contrairement à un éditeur, vous ne prenez pas de risque...

J’investis toute mon énergie et mon équipe est constituée de deux autres agents, il s’agit principalement de conseils et la route est longue avant de s’imposer et de pouvoir en vivre correctement. Je réinvestis mes bénéfices dans mon activité d’éditeur et de galeriste, qui reste pour moi le sens premier de mon travail.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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2 Messages :
  • Ah ! J’avais dit la même chose il y’a 1 an ou 2 et les intervenants étaient venus avec des chiffres fantaisistes, parlant de super-tanker et Air France. Yep, c’est les chiffres : 20.000e par an sur une époque assez réduite. Voici qq’un qui sait de quoi il parle -contrairement aux intervenants de ce site.

    Répondre à ce message

    • Répondu le 14 novembre 2012 à  08:54 :

      Tout à fait, même avec des clients prestigieux, airbus ou alsthom, dépasser 20.000 € par an est une véritable gageure pour les auteurs

      Répondre à ce message

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