Il s’agit certainement de l’un des grands rendez-vous de 2016 : voici Mickey, l’un des personnages les plus connus au monde, confié aux plus grands auteurs de BD contemporains pour qu’ils en offrent une variation revue et parfois corrigée du mythe disneyen. Et c’est un authentique passionné de la souris, Jacques Glénat, qui est à la manœuvre.
L’attention est directement happée car chaque album se donne comme mission de proposer une vision d’auteur, neuve mais cependant liée aux créations de Walt Disney, car il n’est pas question ne fusse que d’égratigner le personnage.
L’indéfinissable charme de Cosey
« J’avais aimé le Mickey des années 1950-1960, que je lisais dans son journal, explique Cosey. Mais avant d’imaginer une histoire, j’ai d’abord voulu remonter aux sources. Là, j’ai découvert que, dès sa première aventure en 1928, Mickey était accompagné de sa fiancée Minnie. Alors je me suis demandé comment et où ils s’étaient rencontrés. C’est ce qui a donné « Une Mystérieuse Mélodie » que je situe en 1927. »
Dès les premières pages, on comprend que Cosey a cherché à réaliser un préquel à l’univers de Mickey. On retrouve effectivement la petite souris Mickey en scénariste des joyeuses aventures de Dog the Dog (qui deviendra Pluto). Mais son producteur, nouvellement entiché de Shakespeare, demande à Mickey d‘oublier ses "happy ends" et d’écrire une vraie et sombre tragédie.
Dans le train du retour, lorsque l’éclairage du wagon tombe en panne, une passagère s’installe sur la banquette à côté de Mickey et fredonne doucement un air de musique. À l’arrivée, le matin, Mickey seul sur la banquette, remarque la disparition de son scénario. Tout semble confirmer que le document a été volé par sa voisine, ce qui serait sans importance puisque le scénario était refusé, sauf qu’il y a eu un malencontreux échange : Mickey a emporté par erreur un manuscrit original de Shakespeare que Dingo avait déniché aux puces et vendu à prix d’or ! Comment retrouver l’énigmatique voyageuse, avec pour seul indice, une mélodie inconnue ?
« Je trouve qu’une part du charme d’un personnage est liée à son contexte, continue l’auteur de Jonathan. « Je préférais Tintin avec ses pantalons golf qu’en jean’s. De même, je n’ai pas voulu m’approprier Mickey, je ne voulais pas le soumettre à mon style. Mickey n’est lui-même que dans son « style Disney. » J’ai donc cherché à me fondre dans ce style initial – même si mes amis dessinateurs qui ont vu les premières planches m’ont dit que l’on reconnaissait immédiatement mon travail ! »
Cosey rend effectivement un vibrant hommage à Mickey et à ses amis. Graphiquement, même si l’on reconnait le style et les couleurs de l’auteur, Cosey se fond à merveille dans cet univers des années 1930, en particulier dans les dessins animés muets dont les représentations jalonnent l’album, source d’une agréable double lecture.
Si le faux-suspense installé dans les premières pages ne tient pas vraiment le lecteur en haleine, on suit avec un très grand plaisir ce récit ponctué de clins d’œil aux aventures à venir de la souris de Disney, en particulier celles des années 1960 (dont le fameux livre inédit de Shakespeare), ou les aventures que Mickey et Minnie s’inventent dans cet histoire par un habile jeu de mise en abyme. La séquence finale est particulièrement sensible : elle touchera tous les lecteurs qui ont un jour ou l’autre apprécié l’univers de Mickey. Un album à la fois fidèle et respectueux, mais qui rajoute aussi une romance et un charme inhabituels à cet univers.
Trondheim et Keramidas écornent le mythe
Les lecteurs désireux d’un récit moins porté sur l’ambiance que sur le punch et la dérision porteront immédiatement leur choix sur les Mickey Craziest Adventures ! Grâce à un Keramidas au graphique expressif et ultra-dynamique, le pléthorique Lewis Trondheim entre pour la première chez Glénat, sans perdre son ton légèrement caustique.
Leur récit débute presque classiquement : le coffre-fort de Picsou a été dévalisé, et les responsables ne sont autres que Pat Hibulaire et les Rapetou qui ont réussi à dérober la machine à miniaturiser conçue par Géo Trouvetou lui-même. Pour les arrêter, Mickey et Donald unissent leurs forces et partent à leur poursuite. C’est pour eux le début d’une course effrénée, du laboratoire du génial inventeur aux méandres d’une dangereuse jungle, en passant par les ruines d’une cité antique et secrète...
« Lorsque Lewis m’a très gentiment demandé ce que je voulais faire [pour cet album commun], nous explique Nicolas Keramidas, « Je lui ai demandé d’intégrer si possible un maximum de personnages et tous les styles de décors : une scène dans l’espace, dans la jungle, sous l’eau, dans une cité perdue, dans Mickeyville, dans le coffre-fort de Picsou, dans la campagne, etc. Il donc a imaginé cette longue histoire éditée dans un magazine imaginaire, duquel il manquerait des numéros. Cela permettait de passer très facilement d’un lieu à l’autre sans donner trop d’explications. Et ce cadre a alors permis à Lewis d’imaginer ces gags en une planche, tout en jouant sur leur succession qui forment une histoire complète. »
Ce pitch détonnant est tout simplement jubilatoire ! Bien entendu, tous ces gags en une planche forment un récit complet, mais le sel de la lecture se retrouve principalement dans chaque chute de gag (aux niveaux variables...) qui égratignent et rendent à la fois hommage à chaque personnage et aux centaines d’aventures vécues par ces héros.
L’afficionados pur et dur de Mickey n’étouffera sans doute un cri de consternation en lisant la première page de l’histoire (Mickey, ordinairement serviable, klaxonne sur une dame et son bébé en poussette, puis il flanque son pied à l’arrière-train de Donald), mais tel est le ton de cette joyeuse aventure sans queue ni tête, construite autant pour le plaisir du lecteur que pour celui des auteurs.
Le travail sur les ellipses réalisées par Trondheim mérite à lui-seul le détour ! Il joue en permanence avec le lecteur, le perdant dans certaines premières cases en début de planche, pour mieux le récupérer ensuite. Cette course effrénée profite bien entendu du formidable dessin de Keramidas, qui s’en donne à cœur joie. Un album à réserver aux vrais amateurs de bande dessinée qui pourront à loisir décoder les hommages, les références et les notes sarcastiques glissées dans chacune des pages.
En proposant deux récits très différents dans l’approche et dans le style, Glénat a donc réussi l’improbable pari d’adapter l’univers de Disney à la sauce franco-belge (et suisse !) en le rendant à la fois contemporain et éternel. Après les Aventures de Spirou et Fantasio vues par…, la reprise de Chlorophylle et les albums de Lucky Luke à paraître en 2016, la réussite de collection Disney by Glénat ouvre-t-elle la voie à la reprise d’autres icônes en bande dessinée ? Seul le petit village de Moulinsart résiste, encore et toujours, à la tentation. Mais pour combien de temps ?
Nos lecteurs parisiens pourront rencontrer des auteurs au prochain salon Livre-Paris où Cosey, Keramidas, Edith Rieubon, rédactrice en chef du Journal de Mickey et Sébastien Durand, consultant en stratégie et expert Disney deviseront autour de ces nouvelles aventures éditées par Glénat.
LIVRE-PARIS : Cycle "Faut-il respecter les icônes de la BD ?" 2e partie : "Et Mickey dans tout cela ?"
Scène BD Manga (S66) le samedi 19 mars à 14h00. Modérateur : Patrick Sichère.
(par Charles-Louis Detournay)
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Lire l’interview de Nicolas Keramidas ("Mickey Craziest Adventures") : « Lewis Trondheim et moi voulions un récit énergétique, dynamique et surtout nous éclater à chaque case ! »
LIVRE-PARIS, du 17 au 20 mars 2016.
PARIS PORTE DE VERSAILLES – PAVILLON 1 BOULEVARD VICTOR, 75015 PARIS
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