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Miles Hyman ("Le Dahlia noir") : "Pour me mettre en danger, j’ai envie de devenir auteur complet."

Par Christian MISSIA DIO le 8 janvier 2014                      Lien  
Ce fut l'une des sorties majeures de la fin 2013, l'adaptation en bande dessinée du roman de James Ellroy, "Le Dahlia noir", par deux auteurs au sommet de leur art, le scénariste français Matz ("Le Tueur") et le dessinateur américain Miles Hyman, sans oublier la contribution du cinéaste David Fincher, auteur de classiques tels que "Se7en", "Fight Club" ou le récent "Millenium" (version US).

Alors qu’il prépare la BRAFA, un des rendez-vous de l’art contemporain à Bruxelles, Miles Hyman revient sur la genèse de cette BD-évènement. Il nous parle aussi de son art et de ses envies d’auteur.

Miles Hyman ("Le Dahlia noir") : "Pour me mettre en danger, j'ai envie de devenir auteur complet."
Le Dahlia Noir
Miles Hyman, Matz & David Fincher d’après le roman de James Ellroy (c) Rivage/Casterman/Noir

Comment est né ce projet d’adaptation du Dahlia Noir en BD ?

Miles Hyman : Ce fut un long chemin ! Nous avons commencé à parler de cette adaptation à l’époque où nous travaillions, Matz et moi, sur Nuit de fureur, en 2006 ou 2007. Nous souhaitions faire cette adaptation et il nous paraissait évident que cette transposition devait paraître dans la collection Rivage/Casterman/Noir car James Ellroy est un pilier de ce label. Nous sommes donc entré en contact avec lui afin de recueillir sa bénédiction. Ce ne fut pas simple car Ellroy avait été échaudé par d’autres adaptations de ses romans, qu’il jugeait calamiteuses.

Donc, il n’y avait pas que le film de Brian De Palma qui ne lui avait pas plu, si l’on vous suis bien.

Je pense que James Ellroy est très attentif à la qualité des adaptations de ses romans, ce qui me paraît normal. C’est vrai qu’il n’avait pas apprécié ce film... Il a tendance à être très critique vis-à-vis de ce genre de démarche. Il n’a pas envie de confier son œuvre à n’importe qui et il a fallu que François Guérif intervienne pour le rassurer sur nos intentions artistiques, et aussi du sérieux de la collection. Il fallut réellement lui montrer "patte blanche" pour que nous obtenions son feu vert.

Matz & Miles Hyman
à la galerie Champaka Bruxelles.
Photo : Yves Declercq

Cette BD représentait-elle un risque artistique pour vous ?

Chaque livre est un risque. Chaque nouveau projet est une plongée vers l’inconnu. Je pense que c’est nécessaire en tant qu’artiste de sortir de sa zone de confort, de se mettre en danger avec des projets ambitieux comme ce. Bien entendu, j’ai mon style, c’est mon identité visuelle. Je ne cherche pas à changer de style mais j’ai envie d’expérimenter d’autres techniques. Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce projet, j’ai réalisé quelques études au fusain mais je me suis vite rendu compte que "ça ne marchait pas". Je n’arrivais pas à sentir l’énergie du trait et je voulais aussi un dessin avec beaucoup de détails. Puis, Lætitia Lehmann, éditrice chez Casterman, a vu mes essais au crayon gras et aux crayons de couleurs et elle m’a proposé d’essayer avec ça. Le résultat a donné des planches qui ne trahissaient pas ma technique. Surtout, le trait était beaucoup plus nerveux, tout en conservant de la lisibilité. J’ai compris que j’étais sur la bonne voie.

Pourriez-vous nous expliquer en quoi la composition des planches en trois cases apporte-t-elle un plus au niveau de la narration ?

Il y a plusieurs choses à expliquer. Il y a le format de la page, qui est plus petit qu’un album classique. Le nombre de cases n’excède pas six car cela aurait réduit l’impact du dessin. Voyez-vous, je voulais donner de la place aux décors et aux personnages sans sacrifier à la lisibilité de l’histoire et le découpage proposé par David Fincher m’a permis d’atteindre ce premier objectif. Loustal a aussi utilisé les trois bandes dans l’adaptation BD de Coronado, qui est tirée du roman de Dennis Lehane et je trouvais que ça marchait bien. C’était un bon équilibre entre le texte et le dessin.

Le dahlia noir (planche 13)- 2013
Crayon trichromie - 40 x 30 cm

Le risque était aussi que l’on associe trop ce format là avec une approche cinématographique. J’ai lu des critiques où on me reprochait une approche trop photographique justement et c’est quelque chose que je ne voulais pas vraiment assumer. C’est aussi une des raisons pour laquelle j’ai tenu à chercher mes références ailleurs que dans le 7e art.

Où avez-vous puisé votre inspiration pour les ambiances de ce livre ?

Quand je lis Ellroy, ce qui me frappe le plus c’est l’aspect documentaire de son travail. Son écriture est tellement détaillée que l’on a parfois l’impression avoir affaire à une écriture journalistique, notamment dans son roman sur Kennedy. Il me paraissait donc évident que le dessin s’inspire de cette ligne réaliste. J’ai donc dû faire un gros travail de recherche dans les archives de la police de Los Angeles, notamment au niveau des costumes d’époque des policiers. Le risque avec un roman comme celui-là, c’est de tomber trop vite dans la caricature de cette période-là. Je voulais quelque chose de "quotidien". Je pense que c’est cela l’horreur : en nous rapprochant d’une certaine réalité, je pense que la violence devient beaucoup plus inquiétante et il fallait que le dessin fasse la même chose. Pas que mon dessin ressemble à un storyboard du film mais qu’il soit plus proche des photographies de la vie quotidienne de l’époque. Je dois dire que j’ai pris du plaisir à faire ce travail graphique. C’était un défi de recherches et de compréhension du livre et j’y ai appris énormément de choses.

Le Dahlia Noir(Couverture de l’édition de luxe)
Impression artistique aux encres pigmentaires

J’ai aussi fait en sorte de faire ressortir la sensualité des femmes car, pour Ellroy, celles-ci sont très importantes. Elles sont présentes dans tous ses romans. Il est véritablement obsédé par les femmes et ce n’est pas juste à cause du meurtre de sa mère. Lorsque l’on lit son livre Ma Part d’ombre, il explique tout ce qui lui a permis de construire son œuvre, ainsi que ce roman, Le Dahlia noir. On y découvre surtout de quelle manière son obsession pour les femmes s’est manifesté dans sa vie. Il fallait donc que mes personnalités féminines soient à la fois séduisantes, séductrices et parfois aussi menaçantes.

D’où viennent vos influences graphiques ?

Mes influences sont diverses et multiples. Premièrement, je regarde ce qui se fait de manière générale en BD et en dessin. Je trouve qu’il y a un énorme foisonnement de talents ! J’apprécie particulièrement des dessinateurs tels que Nicolas de Crécy ou Thomas Ott. Sinon, je suis très sensible au réalisme américain et je pense que cela transparait parfois dans mon travail. Il y a les symbolistes belges et autrichiens qui m’inspirent aussi. Enfin, il y a le cinéma et la photographie.

Miles Hyman (à droite) avec les propriétaires de la galerie Champaka Eric Verhoest et Thomas Spitaels.
Photo : Yves Declercq

Quel genre scénariste est Matz ? Est-il dirigiste ou au contraire laisse-t-il une grande latitude pour la mise en scène à ses dessinateurs ?

Les deux. Il peut donner des scénarios extrêmement bien ficelés et structurés, ce qui pour moi n’est pas une contrainte. Il vous pose la charpente d’une maison très complète et c’est à nous, dessinateurs, d’ajouter les briques, le plâtre et à donner de la vie à l’ensemble. Matz est un excellent scénariste qui connaît la place du dessin dans une BD et qui sait, et c’est rarissime, quand il faut laisser le dessin prendre le dessus sur le texte dans une histoire.

Le dahlia noir (page de chapitre 6 : « Elisabeth »)
Sépia et encres -58 x 38 cm

Quel regard portez-vous sur votre métier ?

Dans le cadre de mon travail, que ce soit en tant qu’auteur de BD, illustrateur ou dessinateur de presse, je pense qu’il n’y a pas de conflit. Une forme d’art nourrit l’autre et inversement. Par exemple, après ce travail de deux ans sur la BD du Dahlia noir, j’ai fait une série d’illustrations grands formats et en couleurs directes pour des galeries. Pour moi, il n’y a pas de division dans mon esprit. Mon bonheur à moi, en tant qu’auteur, c’est de pouvoir associer différentes influences artistiques à différents types d’expressions artistiques.

On peut avoir une idée ou image en tête sans savoir exactement de quelle manière nous allons la traduire concrètement, mais cette recherche créative me plaît.

Quelles sont vos envies en matière de BD ?

J’aimerais bien évoluer en tant qu’auteur complet car ce serait pour moi une nouvelle manière de me réinventer et de me mettre en danger. J’ai dans ma tête une quinzaine de scénarios mais qui ne sont pas encore arrivés à maturité donc pour le moment, je continue de collaborer - avec plaisir - avec des romanciers et des scénaristes.

Propos recueillis par Christian Missia Dio

Runaway
Dessin au fusain

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Le site de Miles Hyman

En médaillon : Miles Hyman. DR.

Photos galerie Champaka : Yves Declercq

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Casterman ✍ Matz ✏️ Miles Hyman
 
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