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Miriam Katin : « Je suis moins innocente qu’avant ».

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 26 novembre 2007                      Lien  
Lauréate du Grand Prix 2008 de l'Association des Journalistes et des Critiques de Bande Dessinée (ACBD), Miriam Katin a bien voulu répondre à nos questions.

Vous êtes surtout connue aux États-Unis comme créatrice de livres pour enfants. Qu’est-ce qui vous a poussée à produire un ouvrage qui relate ces moments pénibles de votre enfance ? Vous étiez déjà familière avec le Graphic Novel ?

Il serait plus juste de dire que je n’étais en fait pas connue du tout, en dépit du fait que j’ai produit un certain nombre de livres pour la jeunesse. C’est mon travail sur les décors de dessins animés qui m’ont mis pour la première fois en relation avec le monde de la bande dessinée. D’abord en Israël (où j’avais réalisé bon nombre de publicités sous cette forme sans avoir aucune expérience préalable dans ce domaine, mais que j’ai néanmoins eu un grand plaisir à exécuter) puis ensuite à New York pour MTV, Nickelodeon ou encore la division new-yorkaise de Walt Disney Productions jusqu’en 1991.

Miriam Katin : « Je suis moins innocente qu'avant ».
Seules contre tous
Editions du Seuil

- Votre choix en faveur du Graphic Novel (vous auriez aussi bien pu choisir la forme du livre pour les enfants) a-t-il été influencé par les travaux de Will Eisner et d’Art Spiegelman ?

La première fois que j’ai rencontré Will Eisner, c’est lorsque j’ai été nominée pour le « Eisner Award » de la meilleure histoire courte à San Diego, en 2002. En ce qui concerne ma relation à Art Spiegelman, c’est très différent. J’avais d’abord aperçu son « Maus  » dans la vitrine d’une librairie à Tel-Aviv en 1990. J’étais absolument horrifiée par l’idée que quelqu’un puisse même oser aborder le thème de la Shoah au travers d’une bande dessinée ! Au point qu’il était même hors de question pour moi que je touche à ce livre, et encore moins d’imaginer que je puisse le lire. Néanmoins, lorsque je suis venue à New York, j’ai découvert la revue Raw éditée par Spiegelman et j’ai pu comprendre à quel point il s’agissait d’une grande oeuvre. J’ai également pris conscience que je pouvais également tenter de réaliser des choses dans le même registre. Alors, oui, si c’est cela votre question, Maus m’a absolument permise d’aborder ma propre histoire.

- Vous avez une approche beaucoup plus feutrée que la sienne, sans doute à cause de votre technique de dessin. Cette douceur, cela a été un choix de votre part ?

Avant que je ne fasse des BD, je n’avais pas de style particulier. Quand je m’y suis mise, cela s’est fait intuitivement, au fil du crayon. Je peux être douce, mais dans les scènes violentes, c’est visible, mon crayon s’enfonce rageusement dans le papier.

- Vous avez quitté la Hongrie peu de temps après l’arrivée des chars russes à Budapest. Vous l’avez quittée sans l’ombre d’une nostalgie ?

Malheureusement, je l’ai quittée bien après ce moment historique, après avoir traversé le véritable enfer qui en a résulté (voyez à ce sujet mon histoire « Faut arroser ça » parue dans Bang N°8 (2004). Nous, les Juifs rescapés de la guerre, nous n’étions tout simplement plus désirables dans ce pays. C’est cette impression de rejet qui donne du sens à la plupart des histories que j’ai écrites. Néanmoins, une ville que vous avez aimée garde sur vous un pouvoir d’attraction, peut-être parce que, lorsque qu’une guerre se termine, on vit toujours dans l’espoir de temps meilleurs. Mais ces temps-là ne sont jamais venus, mes parents avaient pris conscience que pour nous, les Juifs hongrois, l’avenir s’avérait précaire au possible. C’est donc avec une profonde tristesse que nous avons été contraints de quitter Budapest.

"Seules contre tous" de Miriam Katin
Editions du Seuil

- C’est le moment où vous allez en Israël. Votre intégration dans cette nouvelle vie, ce nouveau pays, s’est passée dans quelles conditions ?

Israël était supposée être la patrie de tous les Juifs et une intense campagne d’intégration avait été mise en place pour cela. Pour mes parents, cela a été assez terrible. Mais en ce qui me concerne, j’étais jeune et ce pays était jeune lui aussi. J’ai adoré l’année passée dans un kibboutz et la période de mon service militaire qui était au fond le meilleur moyen pour les nouveaux arrivants de s’intégrer à la nation. La grande différence avec notre précédente situation, c’est que désormais notre avenir n’était plus bouché.

- Vous avez cependant quitté Israël pour faire carrière aux États-Unis dans le domaine de l’animation. Qu’est-ce qui a justifié ce nouveau départ ?

- Eh bien, j’étais allé aux États-Unis juste en touriste et il se fait que j’y ai rencontré mon mari. Ce sont des années où j’ai pu m’épanouir dans une activité artistique commerciale, et y fonder une famille. Je n’arrêtais pas de dessiner, de dessiner encore, de dessiner toujours. On me demandait sans cesse des illustrations. En 1981, nous sommes revenus en Israël et nous y avons résidé neuf ans. Nous habitions un kibboutz au bord de la Mer morte et je travaillais alors dans un studio d’animation (qui a disparu depuis). En 1990, nous sommes retournés à New York.

- Une vraie vie de juif errant, vous repreniez votre rôle immigrant !

On peut dire cela. Mais en dépit de l’amour que je portais pour Israël, je me suis rendue compte que New York me manquait davantage et que je m’y sentais plus « chez moi ». Quitter Israël suscite souvent chez des gens comme moi une espèce de culpabilité, et c’est effectivement ce que j’ai ressenti en 1963 lorsque je l’ai quittée pour la première fois après mon service militaire. Lorsque je suis revenue à New York après mon second séjour là-bas, cela a été l’occasion pour moi de « boucler la boucle » après avoir eu l’impression d’y laisser un pays en paix. Je suis profondément attachée à New York.

"Seules contre tous" de Miriam Katin
Editions du Seuil

- Quels sont vos projets ? Un nouvel album verra-t-il un jour le jour en France ?

Je suis en train de travailler sur l’album suivant mais il s’avère plus difficile à réaliser que le précédent. Peut-être parce que maintenant, je sais comment on fait un livre, parce que je suis moins innocente qu’avant... Lors de mon intervention au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme en octobre dernier [Lors de la journée Lire en Fête NDLR], j’avais expliqué comment « Seules contre tous » s’était imposé à moi comme une diarrhée ou un vomissement. Un récit construit une vie durant. J’ai fait plusieurs histoires courtes ensuite mais j’aborde le livre suivant avec une extrême prudence. En raison de mon innocence perdue, sans doute.

Propos recueillis le 25 novembre 2007

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Miriam Katin. Photo : Didier Pasamonik (L’Agence BD).

 
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