Fils du Haut-Père, Dieu des dieux de Neo-Genesis, mais élevé par son suprême ennemi Darseid, Scott Free parvint à s’échapper d’Apokolips pour débuter une carrière de roi de l’évasion sur Terre. En couple avec une ancienne guerrière de ce lieu infernal, Big Barda, notre héros se retrouve embarqué dans une nouvelle guerre divine à la mort du Haut-Père, événement qui coïncide avec la confirmation que Darkseid est parvenu à mettre au point l’équation d’anti-vie qui doit lui assurer la suprématie sur l’univers entier.
Présenté ainsi, Mister Miracle a tout d’un classique récit super-héroïque. Il n’en est pourtant absolument rien et les maxi-série en 12 numéros de Tom Kings, scénariste phare de DC Comics, actuellement en charge de Batman et à qui l’on doit par exemple Sheriff of Babylone, propose une exploration aussi radicale qu’ambitieuse d’un univers culte de la bande dessinée américaine, celui des Néo-dieux imaginés par Jack Kirby dans son 4e Monde.
Cela se ressent dès les premières planches de ce gros volume de plus de 300 pages. La psyché vacillante de Scott s’y déploie presque à nu, entre doutes, pertes de repères, confusion qui saisissent immédiatement le lecteur lui-même. Le combat super-héroïque sera ainsi d’abord un combat du héros contre lui-même, une interrogation constante de ses perceptions et ses certitudes., bien loin d’une geste épique classique.
Mais ce point de départ, qui offre un premier décalage par rapport aux attentes du genre, se trouve redoublé par une série d’explorations encore plus radicales et fructueuses. Le choix d’un héros maître de l’évasion n’est évidemment pas anodin et c’est une suite de tentatives d’évasion à laquelle assiste le lecteur au fil de cette aventure étoilée et perturbante.
Il s’agit ainsi d’abord d’échapper à un modèle et à un Maître, dans un geste réflexif où le Haut-Père, et son envers Darseid, se confondent avec le créateur Jack Kirby ; tandis que Tom King devient ce Mister Miracle tentant d’imposer son règne nouveau et régénéré sur le 4e Monde.
Il s’agit ensuite de briser formellement le pesant gaufrier qui structure la planche. 9 cases dont on ne s’échappe pas mais dont on peut brouiller les contenus et estomper les marges. Le travail de composition autour de cette contrainte effectué par Mitch Gerads impressionne de bout en bout.
Il s’agit enfin d’interroger une société actuelle dans laquelle la vérité a pris un sacré coup dans l’aile. Mister Miracle véhicule un questionnement sur le pouvoir des images et des discours, sur les doutes que l’on peut avoir sur la réalité qui nous entoure à l’heure des "fake news" opportunément réversibles et d’un relativisme inquiétant.
Cette réappropriation d’un univers a priori classique et intouchable s’avère ici une véritable réussite. Et cela passe par un mélange étroit et presque heurtant entre la matière mythologique et un traitement décalé, moderne, pour ne pas dire post-moderne, dans lequel le quotidien de notre couple de héros impose son rythme et ses gimmicks à l’intrigue quasi tragique.
Ainsi du procès de Scott, mené dans son salon, par un Orion devenu Haut-Père inquisiteur mais grignotant tout de même des carottes dans un plateau végétarien. Ou de l’attaque menée de front par Mister Miracle et Big Barda tout en discutant du réaménagement de leur appartement. Ou encore de la collection de T-shirts de Scott multipliant les hommages pop, en particulier à la production DC et Vertigo...
Déconcertant de prime abord, Mister Miracle apparaît donc comme un jalon important de l’écriture super-héroïque. En s’attaquant à la figure imposante de Jack Kirby, Tom King a montré une voie nouvelle, celle de l’évasion. Et comme son héros l’annonce au début du récit, c’est à la mort elle-même, celle d’un panthéon du comics, qu’il tente en fait d’échapper. Une mort brillamment surmontée, sorte de "re-vie" narrative et graphique qui force l’admiration.
(par Aurélien Pigeat)
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Mister Miracle. Par Tom King (scénario) et Mitch Gerads (dessin). Traduction Jérôme Wicky. Urban comics, collection Urban Deluxe. Sortie le 30 mai 2019. 328 pages. 28 euros.
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