Il y avait eu le Pascin (L’Association) et le Chagall (Dargaud) de Joann Sfar, le Gauguin de Bruno Le Floc’h (Ouest France) ou celui de Li-An & Laurence Croix (Vents d’Ouest), le Rembrandt de Denis Deprez (Casterman), le Dali de Baudoin (Dupuis), le Klee de Christophe Badoux (La Joie de Lire), le Cabaret des muses de Toulouse-Lautrec par Gradimir Smudja (Delcourt) ou le Vincent et Van Gogh du même, et enfin le récent Pablo de Julie Birmant & Clément Oubrerie (Dargaud)... La vie des grands peintres est devenue un vrai sujet pour les auteurs de bande dessinée.
Rien d’étonnant : le deuxième des Beaux-Arts fascine les dessinateurs par la force de sidération de ses images, mais surtout par la capacité de la peinture à transformer le regard de ses contemporains. Dans un des paradoxes dont il était coutumier à la fin de sa vie, Oscar Wilde affirmait que "la nature imite l’art". Devant l’incrédulité de ses interlocuteurs qui pensaient plutôt que l’art imitait la nature, il expliquait qu’à partir du moment où l’on voyait une peinture de Whistler représentant le smog descendant sur la Tamise, on ne pouvait plus imaginer Londres autrement. Pour lui, la démonstration était faite : la nature imitait bien l’art...
Le danger, lorsque des auteurs de bande dessinée se saisissent ainsi de l’œuvre des peintres, c’est qu’ils obtiennent le même résultat que Whistler opérant sur la Tamise, qu’ils en changent totalement la vision. Pour le meilleur ou pour le pire, car rares sont ceux qui, comme Wilde, laissent le talent dans leur œuvre et réservent le génie à leur vie. Heureusement, certains auteurs, je pense à Sfar sur Pascin ou à Gradimir Smudja sur Toulouse-Lautrec, arrivent à s’abstraire de leur sujet et à faire d’une accumulation de faits, un conte.
Les auteurs de Modigliani, prince de la bohème (Casterman) y arrivent-ils ? Un peu. En littérateur, Laurent Seksik sait user des mots pour rebondir d’ellipse en ellipse, synthétiser et précipiter les faits en anecdotes saillantes. Mais en dépit de l’évidente qualité du dessin de Fabrice Le Henanff, on ne reconnaît pas Modigliani dans ce portrait, de la même façon que Narcisse ne se distingue pas dans une eau troublée. Cela n’a rien de rationnel, l’exécution est parfaite et même talentueuse, mais pour le coup, la nature a raté son imitation.
Sandrine Martin & Dominique Osuch s’en sortent-elles mieux sur Niki de Saint Phalle - Le jardin des secrets ? Le dessin "naïf" de la dessinatrice s’accorde à peine mieux au rire enfantin des créations du modèle. Heureusement, la voix de Niki, en off sous les cases, s’insinue entre les interprétations des deux auteures. Ce faisant, elle continue d’intriguer et protège son mystère.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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