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"Moi, assassin", "Love in Vain"... Vertiges du noir

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 21 octobre 2014                      Lien  
Deux chefs-d'œuvre du noir viennent de sortir simultanément en librairie. Le premier évoque la couleur de la mort, le meurtre ; le second s'habille de chic et d'élégance, évoque la touche noire du clavier, en harmonie avec ses complices blanches.
"Moi, assassin", "Love in Vain"... Vertiges du noir
"Moi, Assassin" d’Antonio Altaribba et Keko.
Ed. Denoël Graphic

Chez les latins, on distinguait deux sortes de noirs : le "niger", qui a donné le mot "noir", et qui désignait le noir brillant et l’"ater", qui a donné le mot "atrabile", la "bile noire", le noir mat. [1] Ces définitions expliquent peut-être les grands courants du noir que symbolisent deux bandes dessinées marquantes qui sortent en librairie ces jours-ci : Love in Vain - Robert Johnson, 1911-1938 par Mezzo et J.M. Dupont (Glénat) et Moi, Assassin d’Antonio Altaribba et Keko (Denoël Graphic, traduction d’Alexandra Carrasco).

Altaribba nous met dans les pas d’Enrique Rodriguez Ramirez, professeur d’Histoire de l’art et tueur en série. Au faîte de la réputation académique, il dirige un groupe d’étude intitulé "Art et cruauté : la représentation du supplice dans la peinture occidentale : Bruegel, Grünewald, Goya, Rops, Dix, Ensor, Bacon..." Cet intellectuel pénétrant, dans tous les sens du terme, a décidé de mettre ses théories en application. Avec d’infinies précautions -car il est cerné par sa notoriété, par le monde académique, par son épouse...- il élabore des crimes parfaits, référencés, esthétiques... Ce n’est pas aisé car, en sous-main, dans sa propre université, un groupe d’activistes basques perpétue des attentats terroristes dont la vulgarité le navre. Mais la vie est faite de surprises et cet ange de la mort sera bientôt débusqué par ce dont il est le plus éloigné : la compassion, l’empathie et l’amour, mais aussi par la jalousie professionnelle, les sombres manœuvres et le copycat murder à la Goya perpétré par l’ignoble Eduardo Marin, son rival universitaire, dont il est ironiquement et injustement accusé.

"Moi, Assassin" d’Antonio Altaribba et Keko.
(c) Ed. Denoël Graphic

Ce maître-scénario d’Antonio Altarriba qui nous avait déjà conquis avec L’Art de Voler (Denoël Graphic, avec Kim au dessin) est magnifiquement servi par le dessinateur espagnol Keko. Ses noirs sont tranchants comme le scalpel de son assassin-esthète. C’est le noir du deuil, du néant, de la rébellion, de l’inconscient, de l’anarchie... Quand il s’autorise du gris, c’est pour plonger dans les chefs d’œuvre de l’effroi, comme Le Cri de Munch, le Cannibale de Goya ou le Pornocratès de Félicien Rops. Le rouge surgit parfois au détour des pages : c’est la signature du meurtre. Le noir apparaît ici comme la quintessence de la pureté morbide, de cette rationalité qui a permis, selon la grimaçante formule de Benny Levy à propos de l’Holocauste auquel le scénariste espagnol fait allusion à la dernière planche de l’album, "la rencontre entre les Lumières et la Nuit".

"Moi, Assassin" d’Antonio Altaribba et Keko.
(c) Ed. Denoël Graphic
"Love in Vain - Robert Johnson, 1911-1938" par Mezzo & J.M. Dupont.
Ed. Glénat

Love in Vain de Mezzo et J. M. Dupont (Glénat) est d’une toute autre nature. Les perspectives anguleuses et tranchantes de Keko font place ici à un enveloppement bienveillant, intime, voluptueux. On nous raconte la vie et la mort, les tourments et les amours d’une légende du Blues, Robert Johnson, guitariste et poète, mort à 27 ans, sans doute empoisonné par un rival amoureux, inspirateur d’artistes aussi divers que les Rolling Stones, Bob Dylan, Eric Clapton et les White Stripes qui tous, se réclament de lui.

Dans la longue relation entre le dessin et la musique où se sont illustrés aussi bien Robert Crumb que Joost Swarte, Serge Clerc ou Frank Margerin, cet album est une étape marquante qui restera longtemps dans nos esprits.

"Love in Vain - Robert Johnson, 1911-1938" par Mezzo & J.M. Dupont.
(c) Ed. Glénat

Ici, le Noir est héros, tendu vers la lumière, essayant d’échapper à la condition qui lui est imposée par les Blancs. La nuit lui sort des tripes, par amour, en notes tourmentées. Sous le trait de Mezzo, à qui on doit notamment la merveilleuse série Le Roi des Mouches avec Michel Pirus (Glénat), le noir se fait élégance, distinction, sobriété. Il habite de noir une légende du Blues. D’esclave, il devient monarque.

"Love in Vain - Robert Johnson, 1911-1938" par Mezzo & J.M. Dupont.
(c) Ed. Glénat

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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- Mezzo expose à la Galerie Glénat jusqu’au 4 novembre 2014.

[1Michel Pastoureau, Dominique Simonnet, Le Petit Livre des couleurs, éditions du Panama, 2005.

✍ Jean-Michel Dupont ✏️ Mezzo
 
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4 Messages :
  • Benny Levy maoiste et ensuite reconverti au judaïsme ne grimaçait pas

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  • Si l’on prend comme étalon de mesure "White collar" de Giacommo Patri ou "Mauss" de Spiegelman comme chefs d’oeuvre, , il faut être plus humble en parlant de chefs d’oeuvre. C’est un peu léger. Je le dis car c’est comme cela que l’ on dévalue toute la bd et qu’on la tire vers le bas.
    Ce sont des ouvrage graphiquement intéressants mais de là, à les appeler des chefs d’oeuvre... Vous n’êtes pas marseillais par hasard ?

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    • Répondu le 24 octobre 2014 à  22:41 :

      S’il y a surproduction d’ouvrages il y a assez logiquement inflation de substantifs.

      Répondre à ce message

      • Répondu le 25 octobre 2014 à  10:23 :

        oui mais surproduction ne veut pas dire pléthore d’ouvrages de qualité.Je m’en rends compte chaque fois que je vais jeter un coup d’oeil au rayon bd.
        En l’occurence, ces 2 bd intéressante, graphiquement,avec le travail du noir, du blanc, de l’ombre, des ambiances mais ce ne sont pas à mon avis des chefs d’oeuvre. Un chef d’oeuvre marque de son empreinte grahiquement et au niveau de la narration, ce qui a mon avis n’est pas le cas ici.
        Parler si vite de" chef d’oeuvre" qui est par définition une référence dans l’histoire (bd,littérature etc...) décribilise la création et ici, la bd, en l’occurence.
        En définitive, c’est aux lecteurs d’en juger.

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