Dans la profusion éditoriale actuelle (expression que je préfère à celle, proprement boutiquière, de « surproduction »), il est utile de se pourvoir de bons ouvrages qui synthétisent les grandes étapes de l’odyssée du 9e art. C’est le cas de deux « beaux livres » qui viennent de paraître ces dernières semaines : « Pif Gadget – 50 ans d’humour, d’aventures et de BD » par Christophe Quillien (Hors Collection) et « Tout Largo Winch – L’Encyclopédie illustrée » de Rodolphe Lachat & Antoine Maurel (Dupuis / Huginn & Muninn), avec un résultat plutôt contrasté.
Un « Companion Book » pour Largo Winch
Tout largo est une petite merveille. Bien écrite, généreusement illustrée, cette « encyclopédie » rend justice aux auteurs du « milliardaire en Blue Jeans ». Le play-boy de Jean Van Hamme a été imaginé à la va-vite dans un hôtel à New York City, au détour d’une conversation avec Greg, « Il Padrone » du Journal Tintin. Les deux hommes devaient proposer une série au dessinateur de comic strips John Prentice et cela ne s’était pas fait... On connaît la Success Story de la série et ses qualités reconnues : un suspense qui tourne comme une mécanique fine, une critique du capitalisme « de l’intérieur », avec des personnages parfaitement caractérisés et des dialogues qui claquent.
Dans cet album en forme de bilan au moment où le scénariste d’origine passe la main à un nouvel opérateur : Éric Giacometti, le dessin de Philippe Francq scintille à chaque page : sa précision, sa documentation, marque de fabrique du « style belge », son sens unique du storytelling, et son intelligence dans les gestion des focales que l’on peut rapprocher de celle du grand Albert Uderzo ont imposé Largo Winch comme une des séries majeures de notre époque. Dans ce beau livre d’images, les éditeurs ont pris soin de truffer l’album de dessins rares voire inédits.
Ce qui est particulièrement réussi, en dépit de l’organisation d’un sommaire au classicisme sans éclat, c’est le magnifique travail graphique réalisé par Franck Achard avec sa cinquième couleur argentée, son logo « W » qui ponctue les chapitres, ses pleines pages somptueuses et son abondante iconographie mise en page et légendée avec soin. Le texte reste intéressant sans étouffer les images, lesquelles ne sont jamais écrasées par une inutile logorrhée. Une réussite !
Une histoire de Pif plutôt « gadget »
On ne peut pas dire la même chose de « Pif Gadget – 50 ans d’humour, d’aventures et de BD » par Christophe Quillien (Hors Collection). Le travail de Christophe Quillien n’est pas en cause. Il est bien organisé et passe en revue les séries importantes du populaire hebdomadaire communiste pour la jeunesse. Ce n’est pas un livre pour « spécialistes » comme peuvent l’être les ouvrages de référence de Richard Médioni, l’auteur de « La Véritable Histoire de Pif Gadget » (Vaillant Collector). Ici, cela se veut un livre générationnel qui s’adresse aux grands enfants nostalgiques et, sur ce plan, Quillien respecte son contrat.
Mais pourquoi une telle indigence éditoriale ? Vignettes agrandies sans bon sens, images non légendées sans mention de noms d’auteurs ni référence de date, conception graphique peu inspirée qui n’a même pas l’excuse d’une absence de moyens, tout ceci caractérise ce qui constitue à mon sens le prototype-même d’une production opportuniste et paresseuse qui prospère comme des champignons parasites sur la pop culture de son temps.
On ne sera pas surpris : dans ce face à face éditorial, la classe laborieuse est une fois de plus humiliée par le capitalisme triomphant. Comme d’habitude, l’histoire reste écrite par les vainqueurs.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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