Si vous ne connaissez pas encore Jean-Patrick Manchette (1942-1995), on vous le recommande. Proche des Situationnistes, marqué à l’extrême-gauche, c’est un des auteurs de romans policiers les plus marquants de sa génération, mais il est aussi un scénariste et un dialoguiste de cinéma (Nada, Le Choc, Trois Hommes à abattre, La Crime…) fauché trop jeune à cause d’un cancer. C’est un compagnon de route de la bande dessinée, chroniquant pour Métal Hurlant, Charlie Hebdo, Charlie Mensuel, BD… On lui doit notamment le scénario de Griffu pour Tardi (Casterman).
Il a fait partie d’un mouvement de renouveau du polar français auquel on a accolé le terme de « néo-polar » qui a fleuri dans les années 1970-1980 où on le met dans le même lot que des auteurs comme A.D.G., ce dernier plutôt marqué à droite, ou encore Didier Daeninckx ou Jean Vautrin. Morgue pleine, dont le beau titre fait évidemment allusion à un poème de Victor Hugo, est un des deux romans où l’on voit apparaître une sorte de Sam Spade franchouillard, le détective Eugène Tarpon, ancien gendarme mis à pied pour avoir tué un manifestant. Son bureau-appart est au 5e étage d’un immeuble du quartier des Halles, alors mal famé.
Ses affaires ne marchent pas trop bien et il s’apprête même à rentrer chez sa mère en province après avoir claqué la porte au nez d’un ancien collègue briseur de grèves, à un jeune musicien qui a ouvert une boîte de jazz aux prises avec des racketteurs et qu’il n’a pas envie de pouponner. Mais il y a cette ravissante jeune femme qui a un meurtre sur les bras et qu’Eugène a envie d’aider juste avant de partir...
L’exercice tient parce que c’est un des meilleurs romans de Manchette, un des mieux écrits, truffé de punchlines bien datées années 1970 avec une galerie de personnages hauts en couleurs enchâssés dans une intrigue dont on ne voit pas arriver la chute. Du grand art.
Ensuite parce qu’il y a le dessin de Max Cabanes, qui ici ne fait pas son esthète, en dépit du fait que l’on se trouve dans la France des DS et des Peugeot 404, avec comme décor une ambiance pop psychédélique, des personnages portant chemises en col pelle à tarte et pantalons pattes d’eph. C’est sobre, efficace, au service du texte, inventif au niveau de la narration. Du meilleur Cabanes à qui l’on devait déjà Fatale en association avec Manchette, un inédit publié lui aussi chez Aire Libre, commencé et jamais achevé par Tardi dans les années 1970.
Cet album a été élaboré avec l’aide de Doug Headline le propre fils de Jean-Patrick Manchette. On peut donc être assuré de la fidélité à l’œuvre originale.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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