Définitivement, les personnages d’Arthur Conan Doyle sont en vogue et intéressent le manga. Il y eut par exemple l’adaptation classique d’Ishinomori ou encore celle moderne dérivée de la série télé Sherlock. Mais c’était le fameux détective qui avait les honneurs de la couverture. Avec Moriarty, changement de perspective ou oublié le pensionnaire de Baker Street : c’est en compagnie du terrible Moriarty, génie du crime de son état, que nous allons voyager, comme le superbe escape game présent sur le stand de Kana lors de la dernière Japan Expo a pu nous y inviter.
Ryosuke Takeuchi (au scénario) et Hikaru Miyoshi (au dessin) creusent le mythe et lui apportent un passé et des proches, à commencer par une famille, et des frères, l’un biologique, l’autre d’adoption, qui forment le noyau premier de sa future bande. Mais surtout des motivations politiques et sociales. Son génie du mal, il le met d’abord au service d’une lutte contre les inégalités et l’injustice qui gangrènent la société anglaise à la fin du XIXe siècle.
C’est tout bonnement le système des classes sociales, sur lequel repose l’aristocratie et ses privilèges, que vise notre (anti-)héros. Animé d’un ressentiment qui ne s’embarrasse pas de la morale et ne répugne pas à la violence, Moriarty entreprend une ascension sociale qui procède de l’élimination des puissants qu’il fréquente et de l’accaparement de leurs richesses.
Un Moriarty qui glisserait du côté d’un Lupin ou d’un Robin des Bois n’étaient un machiavélisme et un cynisme assumés qui le font verser dans des procédés parfois sanglants. Ainsi, pour compenser l’ignominie dont il est aussi capable, le manga cherche à compenser par diverses mièvreries et par un idéalisme un peu forcené.
En outre, pour que les actes de Moriarty demeurent acceptables pour le lecteur il faut des antagonistes, futures victimes du héros, résolument répugnantes. Voilà qui implique des personnages grossiers aux actes aussi bêtes que malveillants. C’est là que le bât blesse pour Moriarty : avec des protagonistes schématiques et des situations convenues, le manga ne parvient pas à rendre justice à la finesse et à l’intelligence du personnage.
Il faudra donc attendre de voir si le manga ose aller du côté d’une opposition plus "noble" et équilibrée - la série s’ouvre sur un dialogue avec celui dont l’ombre plane sur toute l’histoire - ou s’il se contente de faire du "vilain" de Sherlock Holmes un justicier aux méthodes légitimées par la noirceur univoque de ses adversaires.
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(par Aurélien Pigeat)
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