Né à Grivegnée près de Liège, Eddy Paape est issu de l’Institut Saint-Luc où il reçut une solide formation de peintre et d’illustrateur. Il collabore en pleine guerre à un studio de dessins animés, CBA à Bruxelles, où il rencontre Franquin, Morris et Peyo. L’autre grande rencontre qu’il doit à ce lieu pionnier du dessin animé est due à une circonstance tragique : En 1943, les studios brûlent. Paape en réchappe de justesse. Blessé, il est soigné par une infirmière, Laurette Beer, qu’il épouse et qui ne le quitta plus jusqu’à aujourd’hui.
Pilier du Journal de Spirou
Avec Morris et Franquin, bientôt rejoint par Peyo, il constitue le noyau de base du journal de Spirou sous l’aile de Joseph Gillain, alias Jijé. Il réalise force illustrations pour les magazines de Dupuis (Bonnes Soirées, Le Moustique…) et donne un coup de main à Jijé (aux côtés de Franquin et de Will) sur son histoire du Christ, Emmanuel. Quand Jijé part pour le Mexique, il lui refile le dessin de Valhardi, un personnage créé par Jean Doisy. Paape devient non seulement un grand producteur de pages d’aventures mais surtout l’un des piliers de l’animation du journal : « Eddy Paape multiplie ce type de collaborations qui n’inspirent pas les dithyrambes des connaisseurs, mais sans lesquelles un magazine apparaît très impersonnel » écrit Alain De Kuyssche dans la biographie de l’artiste qu’il a publiée aux éditions du Lombard, Eddy Paape : La passion de la page d’après. Le travail est tellement considérable qu’il vient s’installer à Marcinelle où son père a trouvé un poste de responsable du brochage à l’imprimerie… Dupuis ! [1]
Entre-temps, Paape rejoint la World Press, « creuset de la bande dessinée franco-belge » selon De Kuyssche, une agence de bande dessinée à l’américaine créée par Georges Troisfontaines, et dans laquelle on retrouve Charlier, Goscinny, Uderzo, Hubinon, Graton, Liliane & Fred Funcken… rien de moins !
Pour la World, il conçoit en 1951 le personnage de L’Oncle Paul dont les traits seraient inspirés de Paul Dupuis, fils de Jean et frère de Charles. Son personnage sera repris par tous ses successeurs. Le scénario de ce premier épisode est signé Jean-Michel Charlier, employé à la World. Ce dernier réalisera pour lui les quelques Valhardi les plus remarquables, comme Le Château maudit ou Le Rayon super-gamma , mais aussi treize épisodes de Marc Dacier (1955) qui font partie de l’âge d’or de l’hebdomadaire de Marcinelle. On lui doit aussi une biographie de Winston Churchill avec Octave Joly au scénario.
En raison d’une mésentente avec son éditeur, Paape passe chez Tintin pour la deuxième partie de sa carrière. Là, l’ambitieux Greg le prend sous son aile en écrivant pour lui une série de science-fiction remarquée Luc Orient (1967), suivie de Tommy Banco (1970), tandis qu’André-Paul Duchâteau conçoit pour lui Yorik des Tempêtes (1971), puis Udolfo (1978).
Le journal Tintin ayant disparu, il s’associe avec le débutant Jean Dufaux et Sohier pour Les Jardins de la peur (1988) paru chez Dargaud. Viennent ensuite Carol détective (1991) avec Duchateau au Lombard et Johnny Congo aux éditions Lefrancq (1992) avec Greg chez Lefrancq. Enfin mentionnons Les Misérables (1995) scénarisé et édité par Michel Deligne.
Un passeur et un pédagogue
Eddy Paape a un trait réaliste qui se situe à ses débuts à équidistance entre le dessin vif et académique du Jijé de Baden Powell et celui, un peu figé mais diablement efficace, du Victor Hubinon de Buck Danny. L’un et l’autre sont influencés par les dessinateurs américains comme Harold Foster ou Milton Caniff. Ce style s’accorde parfaitement aux scénarios madrés de Charlier ou à la veine historique de Octave Joly, le principal scénariste de L’Oncle Paul.
Mais c’est avec Luc Orient (1967) que Paape marque son époque. Œuvre novatrice (la science-fiction était alors un genre méprisé), Luc Orient introduit dans Tintin un type de SF moderne qui se raccroche aux grands auteurs de l’époque –de Stephan Wul à Philip K. Dick- qui réussissent à lui donner un arrière-fond de réflexion philosophique. Ces aventures de justiciers intergalactiques allait au-delà de la production ordinaire des super-héros américains –encore interdits en Europe, il faut s’en souvenir : l’année de la création de Luc Orient, la censure lâchait ses foudres sur Fantask. Elle renouvelait également la science-fiction d’inspiration orwélienne d’Edgar P. Jacobs devenu, comme Hergé, plutôt rare dans l’hebdomadaire des 7 à 77 ans.
Paape n’arrête pas là son destin de passeur. À partir de 1969, alors qu’il est en train d’assurer de front plusieurs séries, Paape accepte d’ouvrir un atelier à Saint-Luc pour enseigner la bande dessinée à de jeunes dessinateurs. Dans sa classe passeront des signatures aujourd’hui reconnues comme Andréas, Berthet, Cossu, Desorgher, Dugomier, Foerster, Godi, Olivier Grenson, Claude Renard, Bernard Vrancken, Philippe Wurm et même Plantu, l’éditorialiste graphique du Monde.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Illustrations : (c) Paape, Greg, Le Lombard, avec l’aimable autorisation d’André Paape et de la Fondation Paape.
Photo (c) Nicolas Anspach -
[1] Le portrait du père de Paape apparaît d’ailleurs dans une des premières planches de Lucky Luke.
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