Fils d’un greffier, Suat Yalaz était né le 1er janvier 1932 à Çiçekdağı dans la province de Kırşehir au cœur de l’Anatolie centrale. Il passe son enfance dans plusieurs villes au gré des affectations de son père. C’est à l’âge de 16 ans qu’il publie ses premiers dessins tout en entrant à l’Académie des Beaux-Arts d’Istanbul. Sa collaboration à la revue Dolmuş des frères İlhan & Turhan Selçuk, est décisive : il y fait montre de la précocité d’un talent capable de s’exprimer dans le registre réaliste comme humoristique.
C’est le 3 janvier 1962 qu’il publie dans la revue à fort tirage Akşam le personnage qui le rendit célèbre : Karaoğlan. Si l’on se réfère à Erol Bostancı dans son Histoire de la bande dessinée turque [1], son personnage a été inspiré par une collaboration de l’auteur avec Abdullah Ziya Kozanoğlu, « le premier grand scénariste de la BD turque. » La relation entre les deux hommes tourna court et Suat Yalaz continua seul cette série qui se déroule à l’époque des invasions mongoles (XIIIe s.) principalement en Asie centrale durant le règne de Gengis Khan.
Flattant le nationalisme turc, il imagine les aventures d’un héros ouïgour qui parcourt tout l’espace ottoman de la Chine à l’Inde, de la Sibérie au Maghreb dans un style de dessin s’inspirant aussi bien du réalisme historique d’un Harold Foster sur Prince Valiant comme du dessin rapide et précis de la production populaire italienne de Bonelli (Tex, Zagor…). Sa publication dans un quotidien lui permet d’aborder des thèmes plus adultes, historiques, politiques et même érotiques. Quittant ce support, elle fut publiée en fascicules jusqu’en 2002, totalisant 80 aventures.
Du fait de son succès, la série fit l’objet de plusieurs adaptations pour le grand écran dont six réalisées par l’auteur lui-même entre 1965 et 1969. Deux autres films en furent tirés en 1972 et 2013 ainsi qu’une mini-série pour la TV en 2002.
La production de Suat Yalaz ne s’arrête pas à cette série, loin de là. On lui doit d’autres sagas inspirées par l’histoire ottomane. En 1971, l’auteur émigre momentanément en France pour travailler pour l’éditeur de petits formats SFPI (Société Française de Presse Illustrée). Il y dessine les personnages de Ringo, de Sony et y adapte sa série Karaoğlan sous le titre de Kébir. [2] Travaillant près de sept ans en France, on lui doit quelques scénarios pour la revue Zorro et des petits formats érotiques, alors très populaires, notamment sous le pseudonyme de Gi-Toro aux titres évocateurs de Futurella, Lady Sex, Sadissimo ou Satanika… Ses œuvres furent publiées en turc, français, anglais, allemand, arabe et russe.
Il disparaît quasiment au même moment qu’un autre dessinateur, Abdullah Turhan, inconnu chez nous, mais dont le parcours a été comparable. Né à Trabzon en 1933, c’était un auteur de BD productif qui avait, parmi d’autres, créé le personnage de Kara Murat dans le magazine Günaydın en 1971. Là encore, il s’agit d’une série historique qui fit l’objet d’adaptations cinématographiques. Abdullah Turhan disparaît quant à lui à l’âge de 87 ans.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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