Les lecteurs de cet album tiré à très petit tirage connaissaient bien le personnage : il était apparu dans Vaillant/Pif en 1965, sorti de la cuisse d’une BD de Jean-Claude Forest, Le Copyright, que Mandryka prolongea quelque temps avant qu’elle ne soit abandonnée par le journal.
On se souvient de Pif grâce aux héros rondouillards et gentillets d’Arnal et Mas, mais il ne faut pas oublier qu’à côté de ces créations d’autres séries humoristiques, et non des moindres, prospéraient à l’ombre des grandes créations réalistes qui avaient fait la réputation du journal,comme Bob Mallard d’André Chéret et Sani, Teddy Ted de Gérald Forton, Yves le loup de Bastard & Ollivier : Nanar, Jujube et Piette de Gotlib, Arthur le fantôme de Cézard, Totoche de Tabary ou encore Quentin Gentil de Greg. On comprend que le Pilote de Goscinny, Charlier et Uderzo sut puiser quelques-uns de ses talents dans ce vivier. Tabary, Gotlib et Mandryka notamment.
Mandryka qui, le 1er avril 1965, soit exactement dix ans avant Fluide Glacial, accompagna une révolution du vénérable journal communiste pour la jeunesse qui, jusque là nommé Vaillant,"Le journal le plus captivant" (Chaland et Cornillon se souviendront de la formule...) devint... "Le Journal de Pif", histoire de rejoindre la formule des autres grands magazines "à personnage" comme Mickey, Spirou et Tintin. Au sommaire de ce numéro, une bande absurde comme Pif en cultiva parfois (on se souvient notamment de Dicentim le Franc de Jacques Kamb) et qui préfigure bien des bandes dessinées modernes à venir : Le Concombre masqué.
Mandryka ne fait pas mystère de ses références : Mad, le Krazy Kat de George Herriman, les cartoons américains en général, Jacovitti... Mais on est aussi dans une tradition littéraire dadaïste et surréaliste : Alfred Jarry, Raymond Queneau, Boris Vian et le collège de Pataphysique ne sont pas loin. D’où cet univers erratique, ces multiples inventions langagières et cette logique propre à l’humour absurde, parfois cynique, de l’époque : souvenons-nous de Pierre Dac ou de Chaval.
Mandryka est donc l’héritier de ces traditions mais il porte là une grande œuvre qui se déploiera tout au long des années 1960 et 1970 notamment dans Pilote jusqu’à cet apothéose nommée L’Écho des Savanes en 1972, où sa jonction avec Gotlib et Bretécher (mais aussi Moebius...) va faire la révolution dans la bande dessinée de son temps. Rappelons-nous que c’est en refusant un gag du Concombre que Goscinny provoqua cet électrochoc.
Le cucurbitacée au loup noir dont on retrouve les premières pages ici, ce héros qui a donc dépassé la cinquantaine cette année, a gardé toute sa verdeur et son irrésistible actualité Merci à Mosquito de l’avoir réédité, d’avoir reproduit aussi la préface de Jean-Pierre Dionnet, éperdu de reconnaissance, d’en faire la préface (le vocable "Métal Hurlant" a quand même été inventé par Mandryka, il faut le savoir) tandis que le créateur du Concombre achève le volume avec quelques souvenirs de sa création. Un must have . « Vas-y Léon ! », comme dirait le légume.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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