Moulinsart révèle "Tous les Secrets de la Licorne"

C’est sa politique, Moulinsart est devenu le promoteur quasiment exclusif de l’exégèse de l’œuvre d’Hergé. Publié ces jours-ci, Tous les Secrets de la Licorne retrace l’aventure créative de l’une des plus fabuleuses aventures de Tintin imaginée par Hergé, la onzième histoire de Tintin, entamée en pleine guerre, en 1943.

Déjà auteur de plusieurs livres autour d’Hergé et de son œuvre, Dominique Maricq nous explique comment le projet de cette monographie de près de deux cents pages est né, notamment son association avec deux autres auteurs, Yves Horeau et Jacques Hiron : « Yves Horeau est un grand tintinophile, et spécialiste de la mer. Il avait réalisé il y a quelques années une exposition intitulée "Tintin, Haddock et les bateaux" qui a eu un succès fou, jusqu’à être présentée au Musée de la Marine à Paris. Puis, cette exposition a voyagé jusqu’à d’autres musées de la Marine, à Barcelone, en Angleterre, en Suède, etc. Et comme Hergé s’était inspiré de plusieurs anciens vaisseaux pour sa "Licorne", plusieurs pays pouvaient prétendre à une paternité partielle de son vaisseau. Pour cet ouvrage, nous sommes donc repartis des notes de l’exposition d’Yves Horeau, accompagné par la connaissance de Saint-Nazaire de Jacques Hiron. J’ai rejoint ces deux marins pour apporter la patte du Studio Hergé, entre autres avec le travail des nombreux originaux qui illustrent ce livre. »

De fait, l’ensemble est illustré de strips, de bleus de coloriage, de crayonnés, de plans, de maquettes, d’objets de marine ou de tableaux ayant servi à la confection de l’album.

Les passionnés d’Hergé retrouveront dans cette monographie des extraits des albums de Tintin, mais également des reproductions de qualité des originaux eux-mêmes ou des crayonnés préparatoires d’Hergé, les experts expliquant le détail des éléments marins présents dans l’œuvre du maître.

Une part importante de l’ouvrage est consacrée au vaisseau La Licorne en lui-même. Non seulement, il a évolué au fur-et-à-mesure de la progression du récit, mais il a également bénéficié de plusieurs influences qui ont constitué ce bateau hybride si particulier, comme nous le précise Dominique Maricq :« La construction s’est déroulée en plusieurs étapes, nous explique Dominique Maricq. Hergé part sur base d’un croquis assez poussé de la Licorne. Au fur et à mesure, on ressent par la suite l’importance des relations de travail d’Hergé qui lui permettent de pousser la documentation, dont la fameuse maquette que l’on a réalisée pour lui. Il s’est donc approché progressivement du vaisseau réel, même si les spécialistes du domaine vous expliquent dans cet ouvrage que certains détails (tels que le nombre de canons) démontre que la Licorne était un vaisseau hybride constitué de différents modèles authentiques. »

On retiendra les reproductions de plans et les superbes photographies de la maquette présents dans l’album.

Dominique Maricq

Le diptyque de la maturité

Soumis aux contraintes de la guerre, Hergé prend tout au long de la conception de l’album des directions scénaristiques et graphiques qui vont considérablement faire évoluer sa technique, tout en maintenant une qualité de lisibilité irréprochable, comme nous le détaille Dominique Maricq : « Dans les années 1940, Hergé atteint une maturité graphique, liée à un cahier de charges des plus particuliers, pour tenir la lisibilité de l’impression en bande de petit format dans Le Soir. Et dans cet ouvrage, on se rend compte de la dimension complémentaire qu’il a pu leur donner, au moment du formatage de l’album, notamment en agrandissant certains dessins. C’est une période de sa carrière où le dessin et le scénario trouvent un aboutissement inouï. L’image est précise et à la fois simple à déchiffrer, notamment grâce à une épure du décor. Par la suite, la volonté de donner plus de détails réalistes à tendance à alourdir le dessin et réduire la lisibilité. »

Il ajoute : « C’est un paradoxe assez singulier : les contraintes de l’époque le poussent à se surpasser. Ces albums réalisés pendant et dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale démontrent qu’Hergé a passé un seuil supérieur en clarté, en lisibilité et en efficacité. On explique d’ailleurs dans l’ouvrage pourquoi le scénario du "Secret de la Licorne" est un modèle du genre. Hergé parvient à y mêler intimement trois fils d’intrigue avec un sens aigu du suspense : la banale enquête du vol de portefeuille, la recherche des licornes et de leurs parchemins, alternent avec le récit des origines d’un des personnage fondamentaux de la série, l’histoire personnelle d’Haddock. Tout cela aurait pu être embrouillé, et au contraire, cela apparaît très simple. »

Enfin, parmi bien des illustrations et reproductions issues des collections du Studio Hergé, le livre présente des illustrations de L’Île au Trésor réalisées par Hergé en 1932 pour Le Petit Vingtième. Elles signalent non seulement l’attrait ressenti par Hergé pour ce chef-d’oeuvre de Robert Louis Stevenson, modèle de toutes les chasses au trésor à venir, mais également la richesse et la plénitude de son talent graphique, ici inspirée de la gravure sur bois. Une belle découverte pour ceux qui ne connaissent pas encore cette partie de l’œuvre.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay