Naufragé sur une planète inconnue et apparemment déserte, un groupe de voyageurs galactiques lutte pour sa survie. Quel destin leur est réservé ? Parmi eux, seule femme à avoir survécu au crash, Annie Wellington est partagée entre son désir de liberté et le devoir reproducteur... Sera-t-elle la nouvelle Ève de cette humanité déracinée, elle, la dernière femme au milieu de ces trois hommes ? Peut-elle d’ailleurs aimer l’un d’eux ?
Mais les naufragés sont-ils vraiment seuls sur cette étrange planète ? Au travers de la jungle et des diverses explorations et pérégrinations, les naufragés retrouvent deux types de vestiges : de très vieilles ruines métalliques d’une architecture et d’une technologie inconnues, ainsi que d’étranges constructions en pierre d’un style beaucoup plus primitif, mais qui semble plus récent. Les indigènes auraient-ils régressé comme le laissent à penser d’étranges ombres qui tiennent plus de l’animal que de l’homme, et qui commencent à les entourer...
Troisième article consacré à Riverstone en cette fin d’année, et troisième coup de cœur pour [cette intégrale rééditée à plusieurs reprises depuis 2009, et pour laquelle Dynamite publie un nouveau tirage cette année.
Ce récit est paru tout d’abord en épisodes au sein de la revue Bédé Adult’ entre 1985 et 1987, puis en deux albums en 1991 et en 1997. Outre un dossier que nous évoquons en fin d’article, cette intégrale se distingue par l’ajout de planches qui avaient été retirées au milieu des précédentes éditions, ainsi que de cinq pages complémentaires qui assurent la jonction entre les deux tomes. Quoiqu’il en soit, l’intégrale n’apporte pas vraiment de fin au récit, qui reste très ouvert dans ses dernières planches... comme d’habitude avec Riverstone, serait-on tenté d’écrire !
Mais alors pourquoi se passionner pour un récit dont on n’a pas la fin ? Parce que, paradoxalement, l’absence de conclusion donne davantage de force aux personnages et aux questionnements qui les traversent. En effet, s’arrêter à l’aspect érotique du récit serait passer complètement à côté de son sens. Certes, tous les personnages sont nus en permanence et ils font l’amour. Mais cette ode à la simplicité du corps, surtout féminin, se double aussitôt d’une réflexion sur le sort de la femme tiraillée entre ses propres envies et pulsions, pas toujours compatible, avec la nécessité de transmettre la vie.
Cette référence au Paradis perdu dans lequel les quatre personnages évoluent dans premier tome s’impose très vite au lecteur : point n’est besoin d’être théologien pour comprendre l’allégorie de l’Eden lorsque Anny se balade avec une pomme avant d’affronter le serpent. Surtout qu’elle finit par s’appeler et se faire appeler "Eve" par ses condisciples.
Dans l’intéressant dossier concluant le premier tome de Nagarya paru également cette année au sein des Grands Classiques de la bande dessinée érotique publiés par Hachette, Vincent Bernière et ses corédacteurs analysent certains symboles comme une victoire du mal contre le bien, ou encore un retour à l’animalité de l’homme avec comme corolaire l’avenir funeste qui attend la femme qui enfantera.
Le même dossier nous propose aussi de nous intéresser à la première rencontre d’Anny et Jean (l’un des trois hommes qui entourent la nouvelle Eve), allusion à une œuvre célèbre de Raphaël (voir ci-dessous). La question du Paradis, du rapport entre l’homme et la femme, entre le bien et le mal sont donc au cœur du récit imaginé, nous dirions même "ciselé", par Riverstone. Même si nos héros s’apparentent à des anges déchus, coupés de leurs ailes galactiques et ramenés de force sur la Terre, c’est bien la question de l’homme et de la femme qui est l’un des sujets de Nagarya.
Le récit, empreint de théologie, se double d’une intéressante réflexion psychologique. Par leurs paroles (ou babils en ce qui concerne Mongo), nous interprétons que les trois hommes qui entourent Annie-Eve n’en sont en réalité qu’un seul, scindés, suivant la théorie freudiennes en Ça, Moi et Surmoi. Avec cette clé de lecture, tout le premier tome devient alors captivant, car les changements radicaux d’humeur ou d’émotions (voir également Ruines à ce propos) ne sont pas traduits comme des ellipses trop rapides, mais bien comme un discours raisonné des différents principes et valeurs qui animent nos psychologies.
Nagarya se détache une fois de plus par l’impressionnant investissement graphique et narratif de l’auteur. Si quelques rares planches sont une nouvelle fois un peu moins finies que d’autres (mais pas moins belles), l’ensemble atteint le summum du genre !
Mêlant l’huile, l’acrylique, l’aquarelle et parfois des fusains ou des crayons de couleurs, chaque planche est travaillée tel un tableau, avec des références aux grands peintres, dont l’édition en grand format de Dynamite permet d’apprécier le coup de pinceau. C’est juste magnifique !
Le passionnant dossier final vient parachever l’ensemble : par des planches inédites, des études superbement finalisées, on comprend que Riverstone a travaillé son récit pendant sans doute deux décennies, réalisant déjà des planches de ce qu’on pourrait appeler un tome 3 avant de revenir en arrière. La numérotation parfois anachronique des pages livre d’ailleurs des indices à la lecture : Nagarya était en perpétuelle évolution, au gré des réflexions de son auteur. Le dossier dévoile également une partie SF un peu moins présente : on retrouve alors une autre dimension du récit, dont le graphisme est alors fortement influencé par celui de Moebius.
Ajoutons que Dynamite nous annonce une nouvelle (et sans doute dernière) intégrale de l’auteur à paraître en 2021 : elle réunira ses récits bibliques, Thamara & Juda ainsi que Judith & Holopherne.
(par Charles-Louis Detournay)
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Nagarya, l’intégrale - par Riverstone - Dynamite (La Musardine)
Album réservé à un public averti.
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Une précédente chronique de cette intégrale parue en 2016
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