Nam-bok est de retour. On le croyait mort, victime de son égarement et de sa maladresse à manier les pagaies sur sa bidarka (canoë indien). Et le récit qu’il déroule face aux villageois médusés intrigue : des bateaux en fer ? Un vaisseau du même métal qui fonce sur d’interminables barres parallèles posées au sol... Dans le Grand Nord, le débat est vif entre ceux qui doutent, ceux qui croient, mais surtout ceux qui craignent pour l’équilibre de la communauté face à de telles révélations.
La nouvelle Nam-bok, du géant de la littérature américaine Jack London, a été publiée à l’origine dans le recueil Les Enfants du froid, paru en 1902. L’auteur y racontait avec une évidence foudroyante le tournant industriel en marche, et même le drame à venir pour les Indiens d’Amérique. L’adaptation de Thierry Martin réussit le pari de rendre palpable un épisode symbolique des Etats-Unis au début du XXème siècle. En limitant ses couleurs, en donnant à ses personnages des traits presque trop marqués, en alternant des scènes de dialogue à gros plans et de larges cases narratives, il enveloppe le récit autant qu’il maintient une distance. On pourrait tout aussi bien se croire au Moyen-Âge ou dans l’Antiquité. Nam-bok incarne un éclaireur (malgré lui) maudit et incompris, condamné au rejet. Et c’est bien son procès qui est instruit par les chefs locaux.
Comme toujours avec les adaptations convaincantes, Nam-bok ne se contente pas de donner envie de lire ou relire London. Il élargit le propos. Dans les allures effrayées des villageois, on perçoit presque le génocide à venir, et la métamorphose définitive de cette Amérique en conquête.
(par David TAUGIS)
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