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Natacha fête ses 50 ans aujourd’hui

Par Charles-Louis Detournay le 26 février 2020                      Lien  
La célèbre héroïne de François Walthéry avait fait ses premiers pas dans le "Journal de Spirou" le 26 février 1970. Avec elle, une page de la bande dessinée belge se tournait, qui mettait au premier plan une héroïne au caractère affirmé, aussi séduisante qu'indépendante !

Bien que l’on célèbre aujourd’hui le demi-siècle de Natacha, il ne faut pas oublier que son auteur, François Walthéry, dessinait de jolies filles depuis bien plus longtemps que cela ! C’est d’ailleurs en 1965, pendant son service militaire, que la première version de la future Natacha prit forme. Un mix de dessins réalisés sur le vif en représentant ses amies (modèles amateurs) et de quelques starlettes de l’époque.

Quand François Walthéry termine son service militaire et rejoint le Studio Peyo en 1963, cette jeune fille de papier le suit dans ses cartons. De quoi attirer l’œil de la bande d’auteurs qui se réunit souvent à Bruxelles avec Peyo, le créateur des Schtroumpfs : Franquin, Gos, Delporte, Tillieux, Jidéhem, Will, etc. Le jeune François a d’ailleurs certainement profité de l’influence de Will pour conférer charme et grâce à son héroïne. N’a-t-il pas travaillé à ses côtés pendant une année, pour reprendre le dessin de la série de Peyo, Jacky & Célestin, alors que Will carburait sur le retour de Tif et Tondu ?

Natacha fête ses 50 ans aujourd'hui
Un des premiers dessins de l’héroïne, avant qu’elle ne devienne hôtesse de l’air.

La naissance de Natacha

1968, Natacha endosse son uniforme.

Si le studio Peyo était en effervescence lorsque le maître était présent, il tournait subitement à vide au moment où le créateur des Schtroumpfs et sa famille partaient subitement, pour le travail (les premiers dessins animés des Schtroumpfs arrivent très tôt) ou en vacances. Gos, Derib et François Walthéry trompaient alors leur ennui en tentant d’avancer sur des projets personnels.

« Des détectives privés, le Journal Spirou en regorge », leur expliqua son mythique rédacteur en chef Yvan Delporte. « Pourquoi ne pas mettre en vedette une hôtesse de l’air ? », rajoutait-t-il malicieusement, en pensant à la vie trépidante des jeunes femmes qui habitaient à l’étage au-dessus de chez lui, et certainement en se rappelant les croquis du jeune François.

Voici donc Gos, également assistant chez Peyo, scénarisant une première histoire, tandis que Walthéry rajoutait un bibi sur la tête de son héroïne, désormais prénommée Natacha, une trouvaille de l’épouse de Gos. Nous sommes en 1967…

Les premières pages sont envoyées au rédacteur-en-chef du Journal Spirou, mais l’affaire tourne court ! Après bien des démêlés avec ce trublion de Delporte, la famille Dupuis trouve une raison valable pour le renvoyer en 1968, profitant d’une absence de Charles Dupuis qui aurait pu le défendre.

Heureusement, Natacha et ses auteurs ont pu compter sur l’aide providentielle de Thierri Martens [1] : le nouveau rédacteur-en-chef de Spirou (et l’un des futurs scénaristes de Natacha) qui ressortit les planches du fond d’un tiroir l’année suivante, en 1969… et tombant aussitôt amoureux du personnage. Il attrapa son téléphone et demanda la suite de ces aventures à ses auteurs, en expliquant qu’il comptait la programmer dès le début de l’année 1970.

Après plusieurs faux départs, François Walthéry doit subitement mettre les bouchées doubles : turbiner pour livrer la suite de cette première aventure de Natacha, sans laisser de côté son travail pour le Benoît Brisefer de Peyo, l’une des vedettes du journal, dont il assure le dessin des aventures depuis 1966.

L’annonce parue dans le Journal Spirou" du 19 février 1970.

Natacha débute donc ses aventures dans le Journal Spirou le 26 février 1970, s’offrant même le luxe d’occuper la couverture du magazine. Le succès dépasse d’ailleurs vite les espoirs de ses auteurs, car l’hôtesse de l’air est aussitôt plébiscitée par les lecteurs de l’hebdomadaire de la bonne humeur.

Effectivement, si on fait exception des Barbarella, Pravda et autres Epoxy, Natacha est la première héroïne de bande dessinée populaire, publiée dans un magazine tout public de surcroît, qui dépasse largement le statut de faire-valoir dans lequel étaient auparavant cantonnées les Seccotine et autres Castafiore. Sexy, la jeune femme transcende également le statut d’éternelle enfant dans lequel Jidéhem avait dû enfermer sa Sophie, une héroïne parue cinq ans avant l’hôtesse.

Des ébouriffants solos de scénaristes

À plus d’un titre, la série Natacha se rapproche du genre musical apprécié par Walthéry : le jazz. Car chaque album, au scénario trépidant et syncopé, se démarque des précédents en déployant sa propre partition, aussi intrigante qu’addictive, laissant la place à quelques private jokes bien sentis.

Le premier mouvement, et non des moindres, est la décision de Gos d’arrêter de scénariser la série. Pas de brouille entre les deux amis : Gos, alors jeune père de famille, ne peut plus attendre de longs mois que les planches -payées à la livraison- soient terminées avant de toucher ses droits. Et François qui a justement dû rempiler pour son quatrième Benoît Brisefer, Lady d’Olphine est contraint de reporter d’un an la réalisation du prochain Natacha, un délai inenvisageable pour Gos qui préfère dès lors se consacrer entièrement au Scrameustache.

Pour scénariser le Natacha suivant, le jeune dessinateur pense tout naturellement à un autre ami et collègue du Studio Peyo : Marc Wasterlain. Walthéry s’attèle à ce troisième album mais est vite rattrapé par les tourments de la vie : son père est atteint de la maladie d’Alzheimer, et en dépit des soins prodigués, il décède à la fin de l’année 1972. Un terrible coup pour le jeune auteur…

Incapable de continuer à dessiner l’intrigue primesautière écrite par Wasterlain, Walthéry demande à l’un de ses amis de régiment, l’écrivain Étienne Borgers, d’adapter en bande dessinée un polar très noir qu’il avait écrit. Un récit sombre qui fera date : La Mémoire de métal.

Par la suite, les scénaristes et collaborateurs se suivent, sans se ressembler pour autant. En effet, Walthéry s’est toujours refusé à suivre les modes, trouvant dans la compagnie et la collaboration avec ses amis, le terrain de jeu propice pour partager sa bonne humeur auprès de ses lecteurs. Certes, il reste le dessinateur de la belle, ce qui n’empêche pas ses confrères d’ajouter leur grain de sel dans le registre du polar, de la science-fiction, de l’humour ou de l’exotisme.

Le dépaysement avec Will, et le polar avec Tillieux
Dans les années 1970, Will, Walthéry et Tillieux (de g. à d.)

Voici pourquoi la belle a vécu mille aventures aussi différentes les unes que les autres, souvent gaies mais parfois dures, tantôt urbaines ou plutôt dépaysantes, parfois aventureuses ou teintées de suspense, d’autres fois pleines de surprises et de fantastique. Walthéry n’a rien épargné à son héroïne, parvenant même à lui faire vivre des aventures dans le passé, grâce à cette grand-mère qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau.

Le Walter-ego de Walthéry

« Natacha a peut-être 50 ans, mais elle n’est pas la seule », nous lance l’auteur. « N’oublions pas Walter, qui fête aussi son anniversaire dans le même temps ! » Cette petite remarque, glissée en plaisanterie, révèle sans doute l’un des secrets de la longévité de la série. En effet, non content de changer en permanence de registre pour mieux s’amuser avec ses amis auteurs, François Walthéry s’est lui-même progressivement incarné dans un de ses personnages : Walter, le steward gaffeur et ami de Natacha.

Au fur et à mesure des albums, Walter emprunte de plus en plus à son auteur : fan de Jazz et de bande dessinée, il affronte des péripéties réellement survenues à Walthéry. L’identification de l’auteur se prolonge même dans le cadre des aventures de Natacha. Qu’il s’agisse de la Turquie, de l’Égypte ou de la Californie, le casanier Walthéry en a ramené des centaines de photographies pour donner à ses récits une indéniable couleur locale.

Des albums anniversaires

Pour célébrer ce cinquantenaire, deux parutions intéressantes sont proposées aux aficionados. Tout d’abord, les éditions Khani publient un bel album reprenant 50 ans de dédicaces ou de dessins inédits de Natacha réalisés par Walthéry. Nous vous en reparlerons dans quelques jours.

La seconde parution est un numéro spécial du magazine L’Aventure. Initialement, chaque numéro de ce trimestriel de cent pages propose non seulement un focus sur un auteur en particulier, mais comprend également des histoires à suivre de héros franco-belges. Dont une nouvelle héroïne signée André Taymans et... François Walthéry !

Le numéro 5 de L’Aventure est donc spécialement consacré aux cinquante ans de Natacha. Les rédacteurs en chef de ce numéro spécial, Alain de Kyussche et André Taymans, ont contacté des dizaines d’auteurs et de dessinateurs pour leur demander de livrer leur propre vision de l’héroïne, ou leur ressenti sur la façon dont elle a influencé la bande dessinée à leurs yeux.

On retrouve les auteurs qui ont participé aux aventures de l’hôtesse de l’air comme Gos, Marc Wasterlain, Raoul Cauvin et Georges Van Linthout. Ainsi que des collaborateurs du Studio Peyo qui ont vécu les premières heures de l’héroïne, tels Derib et Daniel Desorgher. S’y ajoutent une kyrielle d’auteurs qui ont tenu à manifester leur attachement à Natacha : Warnant, Carpentier, Cossu, Foerster, Marc Hardy, André Taymans, Léturgie et d’autres, dont JF Charles qui nous livre le dessin ci-dessous.. 

L’hommage de JF Charles.

50 ans ! Et après ?

En tout cas, pour Natacha, cet anniversaire n’est pas synonyme de retraite, car Natacha (ou plutôt sa grand-mère) doit terminer les trépidantes aventures scénarisées par Sirius. Et après ?

« J’ai encore plein de scénarios dans mes tiroirs ! », nous explique François Walthéry. « Dont entre autres un second album de Michel Dusart qui avait écrit pour moi l’épisode de "La Veuve noire". J’ai encore un autre récit d’Étienne Borgers bien connu des lecteurs, ainsi qu’une nouvelle adaptation d’aventures écrites par Maurice Tillieux. »

« Aurais-je le temps de tout dessiner ? », se demande l’auteur. « Franchement, je n’en sais rien. Une planche me prend environ quarante heures de travail. Je serais capable d’en réaliser deux par semaine, mais cela ne m’intéresse pas, car je désire que le dessin reste un plaisir. Cela dit, je me réjouis toujours à me remettre au travail. »

« Je ne me suis jamais ennuyé dans la vie, continue-t-il. J’ai besoin de dessiner, même si c’est sans doute de manière moins compulsive que d’autres dessinateurs. Cela reste un véritable plaisir de travailler (pour peu que certains considèrent cela comme un travail), et je souhaite continuer à le partager avec un maximum de lecteurs autant que possible ! »

Personne ne s’en plaindra !

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Pour commander :
- le numéro de la revue L’Aventure, visiter le site du magazine
- les deux versions de 50 ans de Charmes aux éditions Khani->https://www.khanieditions.com/catalogue/fiche/natacha-50-ans-de-charme-s-256]

Tous les visuels sont : © Walthéry, Dupuis.
Pas d’utilisation sans autorisation préalable.

[1"Thierri" est la bonne orthographe, bien que l’usage ait imoosé Thierry dans toutes les notices bio- et bibliographiques.

 
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6 Messages :
  • Natacha fête ses 50 ans aujourd’hui
    26 février 2020 11:42, par Bertrand Pissavy-Yvernault

    Très bel article ! Natacha est définitivement un classique !

    Répondre à ce message

  • Natacha fête ses 50 ans aujourd’hui
    26 février 2020 12:37

    "Un des premiers dessins de l’héroïne, avant qu’elle ne devienne hôtesse de l’air."

    Il est très chouette ce petit dessin. Dommage que par la suite, Walthéry n’est pas gardé ce dynamisme et simplicité.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Magda le 27 mars 2020 à  12:16 :

      Walthéry est toujours un dessinateur hyper dynamique !
      Ses dessins ont une pêche d’enfer, certainement un des meilleurs dans ce domaine.

      Répondre à ce message

  • Natacha fête ses 50 ans aujourd’hui
    28 février 2020 09:48, par Fan de Natacha

    Et rien dans le journal Spirou, où Natacha a pourtant été publiée dès le début ? Et y est revenue récemment, même si Walthéry a quitté Dupuis quelques moments ?
    Qu’est-ce qui se passe ?

    Répondre à ce message

    • Répondu par Vladimir Ilitch Totoche le 28 février 2020 à  12:41 :

      Depuis qu’ils sont devenus communistes, Spirou a fait du passé table rase.

      Répondre à ce message

  • Natacha fête ses 50 ans aujourd’hui
    28 février 2020 19:46, par Jyache

    Notez que les personnages cinquantenaires, la liste est encore longue : Sammy (de Berck et Cauvin) le 4 avril, Yoko Tsuno le 24 septembre, puis ensuite Archie Cash (2021), le Scrameustache (2022), Papyrus (2024) et l’agent 212 (2025) ...

    Répondre à ce message

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