Interviews

Nathalie Ferlut : "J’ai été marquée par cette génération qui ne voulait pas lâcher ses 20 ans et ne nous laissait pas les avoir à notre tour."

Par Laurent Boileau le 2 mars 2010                      Lien  
Elisa a l'insouciance de ses 20 ans. Jusqu'au moment où sa meilleure amie disparaît. Un ouragan dévastateur qui appelle à une renaissance pour la jeune femme. Après Lettres d'Agathe, Nathalie Ferlut continue à brosser, de manière touchante, des portraits de femmes à la fois intimes et personnels, mais aussi emblématiques sur le plan générationnel.

Quel est le point de départ de cet album ?

Nathalie Ferlut : C’est 1989. Plus précisément, c’est de m’apercevoir que la chute du mur de Berlin, c’était il y a déjà 20 ans. Je voulais m’intéresser à ce qui avait pu changer depuis 1989, et aussi parler de ma génération, c’est-à-dire les personnes qui avaient approximativement 20 ans en 1989. Je voulais plus parler avec des images qu’avec des mots, pour expliquer ce que l’on ressent et de l’état d’esprit dans lequel on peut être, lorsque l’on a une vingtaine d’années et qu’on ne sait pas très bien ce qu’on va faire après mais qu’on voit approximativement ce qu’on n’a pas envie de faire.

D’où les scènes de discussions sur la politique et la philosophie de la vie ?

N.F. : Elisa est entourée de personnes qui sont beaucoup plus âgées qu’elle et qui aiment parler de politique. Elle fait tout de suite savoir que ça ne l’intéresse absolument pas, la seule chose qui suscite quelque chose chez elle, c’est la chute du mur de Berlin. C’est d’ailleurs à ça que je devais ressembler… J’aimais bien aussi ce décalage entre un chef d’entreprise relativement terre-à-terre, qui n’a pas envie qu’on l’embête avec des choses auxquelles il prétend ne rien comprendre, et une enseignante qui forcément à ses idées sur l’éducation et la politique.

Nathalie Ferlut : "J'ai été marquée par cette génération qui ne voulait pas lâcher ses 20 ans et ne nous laissait pas les avoir à notre tour."
Est-ce qu’il y a aussi une volonté d’évoquer la génération de ceux qui avaient environ 20 en mai 68 ?

N.F. : Oui, je me souviens de mes années aux Beaux-arts où mes profs étaient d’anciens soixante-huitards et ils étaient horriblement pénibles parce qu’à les entendre c’étaient eux qui avaient encore 20 ans. Et c’était eux qui avaient tout fait : ils avaient changé le monde, ils avaient fait la révolution, ils avaient apporté le sexe et la liberté… Et nous, nous étions des petits ingrats qui allions faire n’importe quoi avec le monde qu’ils nous avaient fabriqué. Je me souviens d’avoir eu le sentiment d’être dépossédée parce qu’ils gardaient pour des choses qui appartenaient ou aurait du appartenir à nous, jeunesse. J’ai été marquée par cette génération qui ne voulait pas lâcher ses 20 ans et ne nous laissait pas les avoir à notre tour.

Agathe, le personnage de votre précédent livre refait son apparition…

N.F. : Oui. Elle a une quarantaine d’années. Elle est enseignante, vit dans un milieu très socioculturel et a ses idées sur plein de choses. Agathe a le rôle de la « vieille emmerdeuse » et c’était amusant d’utiliser un personnage que les lecteurs connaissaient. Lorsque qu’elle dit que la place de la femme a évolué, nous savons que, oui, elle a de bonnes raisons de penser ça et qu’elle n’a pas tort. Mais comme elle est vue sous l’angle d’Elisa, elle passe juste pour une raseuse. J’aime ce décalage : la possibilité d’avoir deux points de vue même si on n’est pas forcé de connaitre les deux.


Dans la fragilité d’Elisa, il y a aussi le sentiment amoureux et le rapport à la mort…

N.F. : Mais ça faisait longtemps que j’avais envie de travailler sur une histoire d’amour, sur le langage amoureux. Mais pas que en paroles, mais aussi en gestes. D’autant qu’il y a deux histoires d’amour : la première qui est très démonstrative, mais qui finalement n’existe pas vraiment puisqu’elle est vraiment à sens unique, et la deuxième dont on ne sait jamais rien, juste des petites choses de-ci de-là, mais pourtant elle est absolument évidente. Et dans celle-ci les gestes amoureux sont présents.

Et par rapport à la mort ?

N.F. : Je devais parler parce qu’il y a une part d’autobiographie. Ce sont des très mauvais souvenirs de ma jeunesse : des personnes qui se tuent sur la route en rentrant de boîte de nuit, il me faut largement mes deux mains pour les compter. C’est comme un traumatisme, mais je ne me suis pas rendue compte tout de suite que c’était aussi de ça dont je voulais parler : du fait qu’à 20 ans, on a une vie devant soi, c’est le moment où l’on commence des choses et puis… plus rien.

On a l’impression que c’est la mort de son amie qui permet à Elisa de démarrer véritablement sa vie d’adulte…

N.F. : Oui, c’est un déclencheur. Je voulais vite le mettre au début, car je ne voulais pas travailler sur le drame.


Au niveau de la forme, il y a toujours une densité de texte.

N.F. : Oui, c’est bavard, il faut que j’arrive à alléger. La bande dessinée est vraiment une adéquation texte-image. Ce qui est certain, c’est que c’est vraiment un média où il faut montrer plus que dire. Si la masse de texte dépasse l’intérêt du dessin, il n’y a plus de lecture fluide et ce n’est pas bien. Mon travail c’est de réussir à alléger le texte, qu’il soit pertinent mais plus allégé. Il faut que je montre plus.

Le texte, est-il écrit au préalable ou bien il se crée au fur et à mesure des planches ?

N.F. : Un peu les deux : ici par exemple il y a un découpage même si je l’ai refait plusieurs fois, et qu’à la fin j’ai tout chamboulé ;mais il y a une base et il y a des bouts de dialogues qui sont déjà écrits, c’est dans la dialogue que je ressens les choses. Et à la limite les dialogues qui ont été retravaillées ne sont pas forcément les plus brillants donc il faut que je me méfie.

Quels sont vos prochains projets ?

N.F. : Une fausse suite d’Elisa : ce serait les mêmes personnages, mais cinq ans plus tard. Mon idée, c’est d’avoir un groupe de personnages qu’on pourrait suivre sur vingt ans dans leur vie normale, c’est-à-dire des histoires d’amour, des séparations, des enfants…Et si possible j’aimerais les lier à des événements historiques ou médiatiques qui pourraient éclairer leur propre histoire et qui serviraient de bornes. J’aimerais bien réussir à développer une fresque de personnages qu’on croisent, qu’on retrouve et que l’on connaît bien sous plusieurs angles.

S’ancrer sur le réel, est-ce plus facile ?

N.F. : Je ne pourrais pas faire quelque chose qui ressemble à la vie réelle mais qui n’en soit pas. Ce que j’adore, c’est faire des dialogues comme au théâtre… J’aime avoir un personnage, le comprendre, le faire parler, et l’opposer à d’autres personnages. Qu’il soit différent de moi le plus possible, même si, au final, il finit par me ressembler un peu…

(par Laurent Boileau)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Photo © L. Boileau

Lire une autre interview de Nathalie Ferlut

Commander cet album chez Amazon ou à la FNAC

 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Laurent Boileau  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD