À la lecture de Nemesis le sorcier, on a l’impression de déguster un nectar de tout ce qui fit la grandeur de 2000AD : de la science-fiction à grand spectacle, du mysticisme et de la magie, une critique acide des travers de la société, et un dessin absolument sublime. Tout y est !
On suit les aventure de Nemesis, sorcier-extraterrestre à tête de dragon venu sur Terre pour se confronter au régime totalitaire de Torquemada, sorte de grand dictateur quasi-divin qui mène une croisade sans pitié contre les extraterrestres, annihilant au passage tous les humains qui s’opposent à son règne.
Mais Nemesis n’est absolument pas là pour faire "triompher le Bien" ou la paix : il veut surtout enquiquiner (pour rester poli) Torquemada le plus possible, et laisser libre cours à la toute puissance de sa magie sans se soucier des (nombreux) dommages collatéraux. La série met donc en scène les innombrables affrontements entre ces deux challengers, entre voyages dans le temps, fusillades laser et résurrections intempestives.
Pat Mills à son meilleur
Comme d’habitude avec Pat Mills, on retrouve dans la série toutes les marottes scénaristiques et politiques de l’auteur. Le grand architecte de l’aventure 2000AD s’est toujours attaché à distiller dans ses œuvres une critique sans pitié ni concession des régimes totalitaires, de l’obscurantisme religieux, et de tous les travers d’une société moderne.
On retrouve donc sans surprise tous ces thèmes dans Nemesis le sorcier, avec un focus tout particulier sur le fanatisme religieux et le culte de la personnalité. Torquemada est vénéré comme un dieu par ses ouailles qui se jettent volontiers dans la tombe pour défendre ses idéaux. Et le pouvoir n’est pour lui qu’un prétexte pour assouvir ses fantasmes et désirs les plus abjects. Dans la préface signée par Pat Mills himself, il dit s’étonner lui-même de la cruauté de son personnage.
Pour s’opposer à lui, il faut donc un adversaire tout aussi démesuré : Nemesis. Un corps digne de Superman, des pattes de démon, une tête de dragon, et des parties du corps mécanisées : ce "héros" est tout droit sorti d’un cauchemar ou d’un trip sous psychotropes. Doué d’une morale plus que douteuse et de pouvoirs défiant l’imagination, sa principale priorité est de provoquer Torquemada et ses armées de Terminators pour éprouver sa puissance. Et tant pis si dans l’histoire, des civils meurent dans d’atroces souffrances.
Une partie graphique grandiose
Nemesis le sorcier n’est cependant pas exceptionnel QUE pour son scénario et son univers : la patte graphique de la série est proprement stupéfiante. Les dessins sont essentiellement signés Kevin O’Neill, co-créateur de la série et autre grand manitou de 2000AD, et accessoirement dessinateur de la fameuse Ligue des Gentlemen extraordinaires de l’immense Alan Moore, et il est relayé par d’autres grands noms du journal : Bryan Talbot, John Hicklenton et Jesus Redondo. À travers un dessin en noir et blanc d’une précision chirurgicale, ces dessinateurs rivalisent de talent, disons-le : de génie, pour imaginer un monde à la fois futuriste et fantastique, dans un subtil alliage de science-fiction classique à la Metropolis et de mythologie heroic-fantasy dans la veine d’un Conan le barbare.
Que ce soit à travers les designs des personnages, des environnements, ou la mise en scène des combats, on ressent à chaque planche toute la maîtrise et la passion des artistes. Avec ici et là quelques pages qui tiennent du véritable chef-d’œuvre.
Le style, si caractéristique de 2000AD, a néanmoins vieilli et certains lecteurs n’y seront pas aussi sensibles que d’autres. Mais les fans du genre s’en régaleront.
Des bonus de premiers choix
On a l’habitude avec Delirium : la maison d’édition soigne ses intégrales pour proposer au lecteur non seulement un confort de lecture exceptionnel mais aussi des bonus rares et souvent inédits. Cette réédition ne fait pas exception et on a donc droit dans les deux volumes à des galeries de couvertures et d’illustrations d’époque, et surtout, à la fin du second volume, à une compilation de "BD dont vous êtes le héros" qui vous mettent dans la peau de Nemesis ou de Torquemada.
Delirium confirme là sa maîtrise de l’exercice, et on ne peut que remercier la maison d’édition pour son fantastique travail d’exhumation et de rééditions des titres les plus incontournables de la bande dessinée indépendante.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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