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Nicolas Vadot : « Dans "Maudit Mardi !", les lendemains commencent aujourd’hui. »

Par Charles-Louis Detournay le 17 septembre 2012                      Lien  
Expérience graphique, mais surtout scénaristique, ce second tome de {Maudit Mardi !} conclut en beauté cette pépite dénichée par Sandawe. Une œuvre à la fois philosophique et prenante dont on ne sort pas indemne. À noter qu'une partie des originaux sont exposés au Centre Belge de la BD, de quoi prolonger l'immersion dans cet univers étonnant.

Différentes thématiques s’interpénètrent dans votre récit. Mais l’une des principales est l’importance du rêve. Entrevoyez-vous un double sens : le rêve permet-il d’atteindre l’objectif que l’on vise, mais nous avons également besoin du relâchement qu’il propose ?

Est-ce que le rêve conditionne la réalité ou l’inverse ? C’est une question que je continue encore à me poser. Quoiqu’il en soit, une des morales de Maudit Mardi ! est qu’il faut aller chercher son destin. C’est bien le périple de ce personnage, Achille, qui se déracine de son île et se force à aller vivre sa vie. Même si on a des handicaps, des barrières que l’on se met soi-même pour entraver notre progression personnelle, on peut passer outre, pour toucher son désir.

En effet, votre récit commence de manière spectaculaire, alors que cet homme assis sur la plage voit ses pieds s’enraciner dans le sable : il doit lui-même saisir une hache pour échapper à la noyade !

Cet homme qui se déracine, c’est une métaphore au pied de la lettre, même si je joue de ce décalage entre fantaisie et réalité durant toute la suite de l’album. Mais il ne faut pas croire que je veuille mentir au lecteur, c’est plutôt un accord tacite entre nous, de partir de cet axiome un peu fou d’un homme avec des pieds qu’il a fabriqués, et de voir comment il va avancer dans la concrétisation de ses rêves. Quant à savoir comment ses racines le poussent à avancer ? ou à reculer ? C’est au lecteur de comprendre...

Nicolas Vadot : « Dans "Maudit Mardi !", les lendemains commencent aujourd'hui. »

Maudit Mardi ! est un album étonnant, car si on n’en perçoit pas toujours toute la portée lors de la première lecture, des éléments reviennent en tête par la suite, comme un puzzle qu’on ré-assemblerait de manière plus intuitive…

Je suis content d’entendre ce point-de-vue, car c’est exactement ce que je visais. Je n’aime pas ces récits tout construits, où un auteur livre une vérité figée, qui se dessèche presque après avoir été reçue. Pour moi, les récits sont des bombes à fragmentation, qui explosent après la lecture. Une bande dessinée n’est pas un bien périssable, que l’on jette après l’avoir consommée ; on la range plutôt dans sa bibliothèque, en allant la relire plus tard ; on en découvre peut-être davantage lors de ces relectures, des pistes et des éléments complémentaires. Cela ne me dérange donc pas que le lecteur ne comprenne pas tout dès la première fois.

J’apprécie que la réflexion commence quand le livre est refermé, un peu comme le travail d’un dessin de presse, l’autre facette de mon travail. Le dessin de presse est le premier élément que le lecteur du journal va aller regarder en l’ouvrant : ce dessin doit être rapidement compris, mais doit comporter un passé et un possible futur, de façon à ce que le lecteur puisse réfléchir sur le dessin et la situation politique bien après qu’il ait refermé son journal.

Même après plusieurs lectures, il y a encore quelques interprétations différentes qui peuvent coexister dans Maudit Mardi !. Ainsi le personnage du serial killer à la hache peut être perçu comme la face sombre que chacun possède en soi, mais également un personnage réel qui en veut au héros ?

En réalité, je ne veux pas tout expliquer au lecteur, afin de lui laisser une vraie place dans le récit. J’ai toujours su que ce serial killer serait interpellant. Est-ce une projection ou pas ? Ou le monstre qu’on a en soi ? Voire un peu de tout cela ? Je ne veux rien imposer, et laisser le lecteur se donner sa propre réponse qui sera d’ailleurs la bonne. Lorsque je vais voir un film, j’aime à croire que l’histoire a été réalisée rien que pour moi, et que chaque autre spectateur aura une version légèrement différente mais personnalisée grâce à son apport. Ce degré d’interprétation, cette liberté doit rester au lecteur, qui doit se faire sa propre idée du récit que je lui livre.

Dans Neuf mois, il y avait une grande entrée, et une grande sortie onirique. Alors que dans Maudit Mardi, on passe de l’un à l’autre en permanence. Comment ce diptyque se différencie-t-il de vos précédents albums ?

Maudit Mardi ! se rapproche de 80 jours, dans lequel il y avait un scénario plus charpenté que dans Neuf mois. J’ai effectivement appris qu’il faut captiver le lecteur : dans ce cas-ci, le lecteur est attiré par cet idée de super-héros, et de connaître s’il va ou non mourir un mardi, mais il ne s’agit en réalité que d’un subterfuge scénaristique me permettant d’avancer masqué, pour raconter le vrai thème du livre : le déracinement (physique comme mental). La phobie du mardi aide le lecteur à tourner les pages.

La presque invulnérabilité d’Achille amène le lecteur à tourner les pages de Maudit Mardi !
L’intégrale de Norbert l’Imaginaire sort ce 25 octobre au Lombard, accompagnée d’un album inédit de 55 planches en couleurs directes.

Pour qu’une histoire soit prenante, il faut qu’à un moment donné il y ait une question de vie ou de mort : c’était le cas dans Norbert l’Imaginaire où le personnage principal est en proie à une gigantesque dépression (symbole de l’extrême droite) qui peut le mener au suicide. Dans 80 jours, Edmond rajeunit d’un an chaque jour, mais se demande évidemment ce qu’il adviendra après ces 80 jours.

Dans Maudit Mardi !, Achille sait qu’il va mourir un mardi. Cette question de vie ou de mort était absente dans Neuf Mois, ce qui rendait l’histoire un peu moins accrocheuse. Mais le sens du livre n’était pas là, cependant... Je l’avais conçu comme une bulle de savon, aérienne, une longue rêverie.

Vous écrivez dans ce second volume que les phobies sont un mélange de fantasme et de réalité, il en est beaucoup question tout au long de Maudit Mardi ! : peur de soi-même, de l’autre, de mourir, peur de l’avion, peur même de vivre pleinement !

Le récit traite aussi de la rencontre, et du fait de chercher chez l’autre des failles que l’on n’a pas et peut-être des qualités qu’on ne possède pas non plus. Les deux personnages représentent alors les deux faces d’une pièce : l’audace de Rebecca subjugue Achille, alors que cette dernière lui envie sa force. Il s’agit d’un couple qui s’y ignore.

L’onirisme est au coeur du récit, sans que cela perturbe le lecteur avide de réponses...

Vous avez fortement travaillé le découpage : double et simple page, et jusquà 10 cases par planche. Comment axez-vous vos choix ?

Mon script initial ressemble plus à un dialogue de théâtre, mais cela ne représente que 30% de mon travail final. Le reste viendra de l’inspiration du moment, et de l’avancée de la mise en scène. Je dessine chaque case comme un A3 distinct. Elles sont ensuite scannées, puis recadrées, retouchées, agrandies ou réduites, pour être finalement mises en couleur sur Photoshop. Je peux alors recomposer mes planches comme je le désire, selon les impressions que je veux traduire. Quant aux effets de caméra (plongée, etc.), je ne les utilise que si c’est vraiment nécessaire.

De mon expérience de dessinateur de presse, je pense qu’un dessin doit être simple pour pouvoir parler directement au lecteur, et que trop d’effets non obligatoires vont le distraire du message premier. Le contenu doit donc être élaboré pour donner l’effet désiré. Puis, j’aime à penser qu’il y a une musicalité dans mon travail, des refrains et des couplets dans mon écriture. Et que les dialogues sont présents pour donner les notes du rythme imposé par le découpage. La mise en scène est aussi importante que le scénario, ce qui fait une belle histoire. Même si la bande dessinée a son langage à part, et que ses outils doivent demeurer au service de la communication entre lecteur et auteur.

Achille et Rebecca forment un couple qui s’ignore, mais se (re)trouver ne sera pas aussi aisé

Votre récit Maudit Mardi est donc "à messages" ?

Des messages que les lecteurs trouveront au fond d’eux-mêmes, c’est mon espoir ! Le fait que les lendemains commencent aujourd’hui et qu’il ne faut jamais oublier de vivre l’instant présent. Mais aussi que les rêves nous fabriquent autant que notre passé sans qu’il faille nous y emprisonner. Carpe Diem, comme le dit un moment Achille dans l’album. Puis, que la recherche de l’autre demeure le plus important. C’est pour cela, que j’ai voulu ménager mes effets vers cette scène presque finale, ce paroxysme aussi romanesque qu’échevelé. J’espère que le lecteur ressentira le souffle que j’ai voulu mettre dans Maudit Mardi, et qu’il prendre un peu plus de plaisir à chaque lecture.

Le Centre Belge de la Bande Dessinée accueille les originaux de Maudit Mardi ! jusqu’au 21 octobre.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Les originaux de Maudit Mardi T2 sont exposés au CBBD jusqu’au 21 octobre 2012.

Centre Belge de la Bande Dessinée
Rue des Sables 20 à 1000 Bruxelles
Tél. : + 32 (0)2 219 19 80
Fax : + 32 (0)2 219 23 76
visit@cbbd.be ou sur leur site www.cbbd.be

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Des interviews :
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Lien vers la page de "Maudit Mardi" sur Sandawe.com
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