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Nob : "J’utilise la pression et l’attente des lecteurs pour travailler à un rythme soutenu"

Par Charles-Louis Detournay le 10 juin 2008                      Lien  
Pour la sortie du quatrième tome de {Mon ami Grompf}, nous avons rencontré Nob qui cumule en plus de ce héros poilu, les aventures de la douce {Mamette} pour le scénario, le dessin, ainsi que les couleurs de Luuna et Titeuf... Un véritable homme-orchestre !

En un peu plus de deux ans, vous avez sorti six albums ! Cette production accrue était due à la réserve accumulée dans Tchô et dans Dlire ?

Nob : "J'utilise la pression et l'attente des lecteurs pour travailler à un rythme soutenu"

Grompf existait déjà depuis deux ans et demi en presse avant de sortir les albums, on avait donc du matériel pour deux tomes complets, mais qui se sont finalement étalés sur les trois premiers. Néanmoins, je voudrais maintenir un rythme rapide pour cette série, comme une sortie tous les 9 mois, car graphiquement, c’est un peu plus simple à réaliser que Mamette.

Comment sont intervenues ces différences entre ces deux séries-phare du moment ?

Lorsque j’ai débuté avec Bogzzz, je travaillais de manière fort traditionnelle, à la plume et à l’encre. Avec Grompf, je me ménageais des récréations pour me changer de l’univers des insectes. Je publiais déjà Bogzzz dans Tchô, mais comme Tebo a arrêté la Bande à Fred dans Dlire, j’ai saisi l’occasion pour sortir deux pages par mois avec Grompf : c’était léger, mais il ne m’en fallait pas plus.

L’idée de Mamette vous était venue bien avant !

C’était le premier projet que j’avais proposé à Tchô : comme il y avait beaucoup de séries mettant en scène des enfants, je voulais prendre le contre-pied avec une personne âgée. J’avais alors réalisé 5 pages, que j’ai présentées au directeur de collection, Jean-Claude Camano. Selon lui, le concept était fort intéressant, mais pas réellement abouti. Sur le coup, je l’avais trouvé un peu dur, mais avec le recul, il avait tout à fait raison. Heureusement qu’il m’a débouté à l’époque, car j’ai pu murir le ton et le graphisme de la série pour en bonifier le potentiel : entre ce premier essai et la série actuelle, j’ai vieilli, j’ai eu des enfants, j’ai connu des deuils, et cela a enrichi la série en profondeur.

Même si c’est moins perceptible au premier degré, Grompf traduit aussi pas mal les appréhensions des enfants et donne des moyens pour les vaincre …

Si on voulait comparer les deux séries, Mamette est plus réfléchie, tandis que Grompf est réalisée de manière plus impulsive. Les histoires de ce dernier sont basées sur mes peurs et mon vécu d’enfant. J’étais dans un collège de la banlieue lyonnaise. Je n’ai pas forcément été confronté au racket car, malin, j’étais toujours copain avec les caïds. Mais comme mon père était souvent muté dans d’autres villes, nous avons régulièrement dû déménager. J’avais toujours une angoisse et une timidité présente, et c’est bien le fond de Grompf. D’ailleurs, le point de départ de la première histoire est l’arrivée dans une nouvelle ville, une nouvelle classe. Mais la réflexion s’arrête là, après je me base sur des souvenirs et des sensations que j’ai eus pour alimenter les récits. Grompf est donc ce moyen pour vaincre la timidité maladive d’Arthur, un peu trop conditionné par les peurs sociales et le paraître, le tout accentué par un père qui impose une certaine manière d’être. Ce gros yéti est à l’inverse de ce monde car il n’existe que par et pour lui-même, ce qui explique sa joie de vivre et ce côté débonnaire. Avec ce héros, je visais essentiellement les enfants, mais beaucoup d’adultes me confient aussi leur plaisir à se plonger dans ces histoires, ce qui me ravit !

Sans doute, parce que les adultes se remémorent certains moments difficiles et solitaires de leur enfance. Dans cette série, vous jouez aussi sur un humour premier degré très bon enfant !

Je m’inspire de mon quotidien actuel de père de famille. Avec ses enfants, on doit garder l’église au milieu de village, et parfois être un peu désagréable, voire coléreux. Je me moque donc de moi-même en présentant le père de Grompf comme ma caricature négative lorsque je gronde mes gamins. Mais comme je l’ai expliqué, je suis en même temps, le petit Arthur de mon enfance, et j’ai les côtés enfantin, joueur et parfois balourd de Grompf.
D’ailleurs, l’aspect physique du yéti avec sa maladresse reprend une partie de l’adolescence avec le rapport avec son corps qui grandit. Selon moi, Grompf est finalement la projection adolescente d’Arthur. Quand ce petit gars de 8-10 ans grandira, il deviendra dans quelques années un grand gaillard costaud, plein de poils et maladroit, qui aura du mal a apprivoiser sa nouvelle taille et qui risque de s’exprimer que par quelques grognements (rires).

Vous aimez parler de Grompf comme votre série récréative, qu’entendez-vous par là ?

Je suis le premier à m’amuser et à rire avec ce gros yéti. De plus, je me suis permis d’expérimenter pas mal de tests graphiques, n’hésitant à changer de technique entre deux albums. Chronologiquement, mes premières pages étaient à la fois plus maladroites et plus appliquées, car je maîtrisais moins mes personnages et ma technique. Tandis que maintenant, je dessine cette série assez rapidement, dans un style très ‘jeté’. En utilisant le pinceau, je veux me rapprocher de la spontanéité du dessin de presse. On joue alors fort sur le dynamisme et le mouvement. J’essaie aussi d’avoir un rythme soutenu dans le gag, en plaçant une case sur deux des éléments qui font sourire.

En modifiant un genre souvent très codifié, vous placez souvent vos moments forts au milieu de l’histoire, tout en ménageant une chute en lien avec la trame, mais pas forcément drôle !

Je n’aime pas les chutes ! De plus, pour Grompf, comme le nombre de pages de chaque récit est variable, j’ai souvent remarqué que je m’amuse plus dans les longues histoires. Cela me permet de faire varier le récit en montagnes russes, descendant et remontant dans le rire. Je préfère alors terminer plus calmement, comme un manège qui s’immobilise après le grand frisson. Certains auteurs tendent naturellement vers le gag en une seule planche. Je me suis vite rendu compte avec Bogzzz que cela me lassait, car je me sentais emprisonné dans ce carcan. De plus, je m’astreignais dans un style graphique à la plume, qui n’était pas le plus naturel pour moi. Néanmoins, le tome 4 m’a fort amusé, car je parodiais des films et que ce travail de typographie et de maquette me plaisait. Puis le début du potentiel tome 5 a coïncidé avec mon emménagement à Barcelone, et c’est là que j’ai recommencé des croquis de Mamette.

En reprenant ce personnage, une seconde mouture vous est venue plus naturellement.

Je promenais ma fille dans les parcs, et j’en profitais pour observer les petites mémés, leurs rencontres et leurs vies très actives par rapport à d’autres villes plus septentrionales. Comme je ne comprenais pas l’espagnol, j’essayais d’imaginer leur conversation : cela s’est vite révélé une mine de situations cocasses. Le nouveau physique du personnage, ces mises en situation et le nouveau style graphique que j’expérimentais m’ont poussé à re-proposer la série à Jean-Claude Camano, qui l’a donc fait passer dans Tchô.

Tchô dont vous êtiez devenu entre-temps le rédacteur en chef [1] ?

Oui, depuis 2002. Mais c’était plus compliqué d’être juge et partie. Donc, concernant mes propres planches, je me réfèrais à Jean-Claude. Je voulais réaliser ce premier test de 4 planches pour vérifier l’accroche de Mamette, et j’ai donc dessiné l’histoire se déroulant dans le zoo, qui se trouve à la fin du premier tome. Jean-Claude a immédiatement approuvé le projet et le nouveau ton : on était partis.

Et une fois de plus, ce nouveau style graphique, issu partiellement du dernier Bogzzz et des couleurs de Luuna !

Effectivement, connaissant depuis très longtemps Nicolas Keramidas, j’ai mis en couleur les cinq tomes de Luuna. Je m’étais engagé à finir le cycle, mais pour les deux derniers albums, cela a parfois été compliqué de tout gérer de front : donc, pour l’instant, je me contente de mettre en couleur mes propres séries et sous mon vrai nom, Bruno Chevrier, de celles du tome 11 du Titeuf et du futur tome 12 à venir. [2]. Dans le tome 2 de Luuna, j’avais mélangé les couleurs traditionnelles avec l’informatique. Comme cela s’était révélé concluant, j’avais fait des tests dans Bogzzz pour les affiches de film, car je ne pouvais pas modifier en profondeur les codes de la série. Tout était alors prêt pour être employé dans Mamette ! Toutes les planches sont dessinées au crayon et au lavis pour donner cette impression de volume. Puis je les scanne et j’applique les couleurs informatiques sur les ombrés manuels. Puis une légère évolution s’est installée à mon issu, car dans le MégaTchô où se côtoient des planches des deux tomes, je remarquai que le trait se fait plus léger pour parfois se fondre dans la couleur. Cela donne au récit un caractère doux que je souhaite préserver.

Dans le second tome, les histoires s’enchaînent pour servir une trame plus globale.

Pourtant la construction est identique au premier tome, à savoir 3 ou 4 pages pour le mensuel Tchô. Comment les pages doivent ‘tomber’ pour des échéances précises, il est plus complexe de fixer un plan général, sauf si on travaille vraiment son scénario en amont, mais ce n’est pas mon cas. Je savais bien entendu que l’album se déroulerait pendant un été, où Maxou serait chez Mamette. J’ai donc réalisé la moitié de l’album en roue libre, pour ensuite me re-pencher sur les séquences déjà réalisées afin d’en assurer la continuité, le développement et la conclusion. Pour finir, j’avais d’ailleurs écrit beaucoup plus de situations qui viendront donc plus tard.

Est-ce que Maxou, qui fait une brève apparition dans le premier tome, a été plébiscité par le public ?

En fait, il apparaît dans la première histoire, me servant d’alibi jeunesse pour être publié dans Tchô. Mais in fine, les lecteurs ont autant accroché sur Mamette que sur Maxou, et on touche une plus large gamme de public qu’avec d’autres séries. C’est dû aux différents niveaux de lecture, des situations burlesques, mais aussi profondes, et à la palette des personnages présentés. D’ailleurs, je voulais doter Mamette d’une profondeur afin que son côté lisse de ‘mémé toujours contente’ soit mis en valeur par certains petits moments de déprime. Cela renforce son réalisme, car elle doit rester attachante sans être mièvre, ce qui n’est pas toujours facile à animer. D’un autre côté, certains personnages sont très jouissifs à dessiner, comme Mlle Pinsec qui, en écho au père de Grompf, balance toujours des méchancetés.

Votre expérience de papa vous est utile ?

Même fondamentale, car je n’aurais pas pu raconter Mamette il y a quelques années. En tant que papa (ou maman), vous abordez une ambivalence, en devenant tour à tout parent et enfant. Par les moments où on doit gronder, on devient une personne qu’on n’a pas toujours envie d’être. Et après avoir élevé ses enfants, on a souvent tendance à retomber dans ce caractère désinvolte. Et donc parfois Mamette retrouve ses réflexes de parent, sans vraiment toujours être heureuse de les voir ressortir. Cela donne du cachet au personnage.

Après ce quatrième tome de Grompf, quelle sera votre prochaine album ?

Le troisième tome de Mamette va sortir dans quelques temps : on va découvrir plus de détails concernant sa famille : son fils divorcé et ses petits-enfants. J’aimerais aussi m’étendre sur la relation entre Maxou, et son père en tentative de rédemption. Plus tard, j’explorerai sans doute le passé de Mamette et celui de son mari décédé, qui d’ailleurs ressemble fort à mon grand-père.
Actuellement, je suis heureux d’avoir avec Mamette et Grompf, deux séries avec leur propres caractéristiques, pas nécessairement lues par les mêmes publics, graphiquement différentes, mais qui me permettent de m’exprimer pleinement.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Tchô sur ActuaBD, c’est aussi :
- Tchô ! est devenu grand
- Tchô, le mégazine
- Tchô ! HS 1 : Spécial Biceps
Toutes les illustrations sont © Nob/Glénat.

[1Depuis lors, Nob a passé la main à Sébastien Arnal, un jeune graphiste issu de Choco-Creed. L’auteur de Mamette pourra ainsi se consacrer à ses séries, à l’adaptation animée de Mon ami Grompf, ainsi qu’à denouveaux projets BDS à venir.

[2Nob a également réalisé, sous son pseudo Bruno Garcia, les couleurs de quatre albums de Totale Maîtrise, de Georges Abolin et Olivier Pont, à qui on doit également le remarqué Où le regard ne porte pas.

 
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