Cette fin d’année s’annonce exceptionnelle par la qualité des nouveautés qui déferlent en librairie. Nos avons déjà signalé quelques-uns de nos coups de cœur et nous ne pensions pas qu’un album d’Alix puisse figurer parmi les surprises de la Rentrée, en dépit du fait que le 70e anniversaire de ce personnage ait joui d’une belle expo à Angoulême en janvier, et que le Gaulois soit à l’affiche de la Fête de la BD qui s’inaugure cette semaine à Bruxelles.
Nous pensions que le héros de Jacques Martin était, comme tout Gaulois selon un Jupiter moderne, « réfractaire au changement » et que le 37e album de cette série vendue à 12 millions d’exemplaires et traduite en 15 langues, allait benoîtement s’inscrire dans le sillage des précédents.
Eh bien, pas du tout : Benoît Mouchart, le directeur éditorial de Casterman BD nous offre un joli contrepied en nous proposant un duo inédit pour le nouvel album [1].
Et quel duo ! : au scénario David B, la grande figure du roman graphique L’Ascension du Haut-Mal, auteur exemplaire primé à Angoulême et à Blois et membre du comité éditorial de L’Association, le giron de la « Nouvelle Bande Dessinée » française ; et puis au dessin quasiment un inconnu : Giorgio Albertini, dont le métier dans la « vraie vie » consiste, en tant qu’illustrateur historique et scientifique, à restituer les constructions architecturales de certains sites archéologiques, de même que les vêtements que l’on trouve dans les tombes.
Qui plus est, son dessin s’est fixé sur la période « classique » de Jacques Martin, celle qui se situe autour de La Tiare d’Oribal, moment où le dessin de Martin fait une inflexion vers le style d’Edgar P. Jacobs qui venait, avec Le Mystère de la Grande Pyramide, de donner une leçon d’histoire à la bande dessinée toute entière.
Le résultat est époustouflant. D’abord par la qualité des références historiques : Alix arpente le pays des Parthes (l’actuelle Turquie) où il n’était jusqu’ici pas encore allé. Les auteurs multiplient les allusions historiques parfois très pointues, allant jusqu’à corriger les rumeurs répandues par les ennemis de César disant qu’il avait fait assassiner Pompée ou qu’il avait brûlé la Bibliothèque d’Alexandrie, la plus grande du monde antique. Des notations précises sur les pratiques religieuses et sur la géopolitique de l’époque achèvent de convaincre que nous avons là une des histoires d’Alix les mieux soutenues du point de vue historique. Cela se voit notamment dans le détail des costumes et des intérieurs antiques qui ne souffrent d’aucun défaut.
Ajoutons qu’Albertini a réussi à atténuer le côté un peu efféminé de la représentation masculine des personnages de Jacques Martin et que, pour le coup, même quand ils sont aperçus quasiment nus, ils gagnent davantage en crédibilité qu’en ambiguïté. C’est vrai aussi pour le scénario -complètement storyboardé par David B. Nous y trouvons davantage de femmes que chez Martin, ces dames ne jouant pas forcément un rôle soumis comme en témoigne celui de la géante « Personne ».
Nous nous trouvons face à une restitution qui est à la fois parfaitement fidèle à l’esprit du créateur d’Alix mais qui en renouvelle aussi les codes avec une pertinence et une qualité jusqu’ici inédites, d’autant que désormais, une frise chronologique détaillée permet de situer avec précision où se passe l’épisode en cours soit ici en -46 avant notre ère, dans la première année du calendrier « julien » qui, le rappelle l’historien Yann Potin, dura 447 jours.
« Veni, Vidi, Vici ! » peuvent proclamer les auteurs et l’éditeur !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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