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Olivier Neuray : "C’est au contact de la violence que Lloyd Singer évolue"

Par Nicolas Anspach le 21 février 2011                      Lien  
{Lloyd Singer}, alias Makabi, revient en force aux éditions Bamboo. {{Luc Brunschwig}} (scénario) et {{Olivier Neuray}} (dessin) bouclent le deuxième cycle des enquêtes de l’ex-petit comptable du FBI. Le dessinateur évoque avec nous ce second cycle de la série, mais aussi son transfert de Dupuis à Bamboo avec, au passage, un changement de nom.

Lloyd Singer réalise l’apprentissage difficile du métier d’agent à Quantico, l’académie du FBI, tout en étant plongé au cœur d’une sordide affaire. Ses supérieurs espèrent qu’il réussira à instaurer une relation de confiance avec une femme victime d’atroces sévices commis par un tueur en série dont elle a réchappé de justesse.

Olivier Neuray : "C'est au contact de la violence que Lloyd Singer évolue"
Lloyd Singer, alias Makabi, revient dans les bacs des librairies

Juke-Box, le quatrième album de la série est paru en février 2007 aux éditions Dupuis. Pourquoi une si longue absence ?

Nous étions, Luc Brunschwig et moi-même, parti sur un nouveau cycle de trois albums. Celui-ci commençait par le quatrième tome de la série, Juke-Box [1]. Dupuis, notre éditeur de l’époque, pensait que le cinquième album serait « le ventre mou » du cycle. Ils ne savaient pas comment le positionner commercialement, vu que ce n’était ni le début, ni la fin d’une histoire. Ils ont eu l’idée de publier directement une intégrale, regroupant l’ensemble des albums. Elle aurait contenu le quatrième tome avec de nouvelles couleurs, mais aussi les deux nouveautés inédites. Les mises en place escomptées ont été catastrophiques. La plupart des libraires considéraient cette intégrale comme une compilation de « vieux albums », et non comme le nouveau cycle de notre série. Celle-ci se trouvait condamnée. Avec l’accord de Dupuis qui s’est montré compréhensif,
Luc a décidé de prospecter ailleurs et de voir si un autre éditeur serait intéressé de la publier. Bamboo était partant pour ce défi. Ils ressortent chacun des albums individuellement dans un plus grand format, avec une nouvelle maquette et de nouvelles couleurs pour la moitié des albums. Ils croient à fond en notre série et ils pensent sincèrement qu’elle n’a pas atteint son potentiel.

Comment avez-vous vécu ces incertitudes ?

C’est déprimant à la longue de ne pas avoir de nouveautés dans les bacs des librairies. J’avais l’impression de travailler dans l’ombre, sans espoir de résultat. Chez Dupuis, on nous annonçait un fiasco ! À un moment, j’ai même pensé que ces albums ne sortiraient jamais. C’était terrible !
Et puis, là, c’est une renaissance… Les éditions Bamboo veulent développer le secteur ado-adulte de leur catalogue. Ils vont faire de Lloyd Singer l’un des emblèmes de la collection. Hervé Richez, le responsable éditorial de la collection « Grand Angle », est un grand amateur de notre travail. On a senti une véritable vitalité, une vraie envie de publier ces livres. Ils ont tout fait pour que dans le montage financier, il y ait un budget important pour sa promotion.

La série change de titre, les couvertures repensées.

De nouvelles couleurs, y compris pour les premiers albums ?

Non. Les couleurs du premier cycle sont toujours celles d’Isabelle Cochet. Les rééditions chez Bamboo ont été beaucoup mieux imprimées que les précédents albums. J’ai été assister à l’impression près de Paris. Les machines ont sensiblement évolué et permettent un résultat bien meilleur qu’à l’époque. Isabelle travaillait sur papier, à l’ancienne. Elle désirait poser ses couleurs sur un type de papier aquarelle très grainé. Les éditions Dupuis, l’éditeur originel des premiers albums, n’arrivait pas à reproduire les couleurs sans que la texture du papier n’apparaisse et ne salisse les couleurs. On ne parvenait pas maitriser ce désagrément. Isabelle ne désirait pas passer à l’informatique. Nous étions encore chez Dupuis à l’époque. Bamboo est parvenu à publier convenablement ces couleurs.
Ceci dit, j’aime beaucoup la gamme chromatique de Marie Versaevel qui se charge de la série depuis le cinquième album. Elle a remis en couleur le quatrième.

La série change de nom pour s’appeler Lloyd Singer.

Oui. C’était le nom initial de la série. Le maquettiste des éditions Dupuis avait créé un logo pour les couvertures, qui reprenait à peu de chose près la signature de Lloyd. C’était très confus, on ne pouvait pas clairement lire le nom de la série. Bref, cela ne collait pas ! Sébastien Gnaedig, notre éditeur, nous avait proposé d’utiliser le nom du double de Lloyd Singer : Makabi ! Sur le coup, nous avons pensé que c’était une bonne idée. Puis, au fil des mois, nous nous sommes aperçus que les gens pensaient que c’était un nom de série japonaise ou même un club de foot juif (Rires). Nous avons opté pour le changement quand nous sommes passés chez Bamboo. Les lecteurs comprendront mieux que nous racontons l’histoire d’un Américain. Makabi est la seconde personnalité de Lloyd, qui sera de moins en moins en avant-plan.

Dans le second cycle, on comprend que sa seconde personnalité, l’homme masqué qui pratique les art martiaux, le gène de plus en plus. Il souhaite s’en détacher, et cela le perturbe. Même si Lloyd est conscient que Makabi lui permet de se sortir de situations délicates, Lloyd réprouve cependant la violence. Cette seconde personnalité est née suite à une fêlure. Elle lui a permis de s’en sortir lorsqu’il était adolescent, mais à présent elle lui joue des tours.

Extrait de Lloyd Singer T5
(c) Neuray, Brunschwig & Bamboo

Ce cycle est beaucoup plus dur que le précédent…

Effectivement. Au début, j’étais réticent à dessiner cette histoire. Luc m’a convaincu qu’il fallait la faire. C’est au contact de la violence que Lloyd Singer évolue. C’était nécessaire pour développer beaucoup mieux la transformation de sa personnalité. Les événements qu’il vit dans cette histoire l’ébranlent fortement. La suite, qui est dessinée, par Olivier Martin démarre par une thérapie familiale.

La majeure partie du quatrième et du cinquième tome se déroulent dans l’académie du FBI à Quantico. Quelles ont été vos sources documentaires ?

Un film. Le Silence des agneaux, tout simplement. Aucune photographie des lieux ne circulaient à l’époque où j’ai dessiné ces albums. Le FBI a autorisé Jonathan Demme à tourner une partie du film dans les bâtiments du FBI à Quantico. Ils voulaient susciter, à travers ce film, des vocations, notamment auprès des jeunes femmes. J’ai donc regardé le film dans les moindres détails, en réalisant des arrêts sur images. Pour le reste, la plupart des décors proviennent de repérages lors de voyages à Richmond ou à Portland. L’un de mes frères habite dans cette dernière ville. On y retrouve un échantillon des différents styles architecturaux que l’on peut trouver aux USA. J’ai pris des centaines de clichés lors de ces voyages…

Luc Brunschwig est-il descriptif dans la création des personnages ?

Pas tellement ! Il l‘est pour les descriptions des ambiances, des types de lieux, des émotions, etc. Mais il me laisse beaucoup de liberté pour la création des personnages. Dans certains films, les personnages sont caricaturaux. J’aime ça, et donc dans mes recherches, je force parfois le trait. J’invente souvent des physiques. Parfois, je m’inspire très fortement de personnes de mon entourage. Mes amis reconnaîtront mes enfants à certains endroits. La Mexicaine qui s’occupe du frère de Lloyd est par exemple fortement inspirée d’Araceli Cancino, l’épouse de Midam.

Extrait de Lloyd Singer T5
(c) Neuray, Brunschwig & Bamboo

Votre trait a gagné en souplesse dans les deux derniers volumes.

Oui. Mon dessin a évolué. J’ai mis du temps à me sentir bien graphiquement dans les histoires de Luc. Il y a eu vraiment différents paliers, une longue maturation. Nuit Blanche, ma précédente série, était plus esthétique. Le contexte romantique et historique le demandait. C’était beaucoup plus glamour à dessiner. Lloyd Singer est beaucoup plus ancré dans notre époque. Au début de ma collaboration avec Luc, j’ai beaucoup ramé. Je n’arrivais pas à trouver le juste ton pour rendre mon graphisme plus convaincant. Je devais aller vers le réalisme, tout en gardant mon style. Bref, j’ai tâtonné. J’ai trouvé enfin le ton juste en réalisant le second cycle.

La maquette des nouvelles couvertures sont signées par Laurent Hirn, le dessinateur du Pouvoir des Innocents et des Enfants de Jessica.

Oui. J’étais à court d’idées. L’élaboration des couvertures pour les éditions Dupuis avait été très difficile. J’avais l’impression de présenter sans cesse de nouveaux projets qui ne convainquirent ni Luc Brunschwig, ni notre éditeur, Daniel Bultreys, ni le graphiste. Ils avaient à chaque fois tous des avis différents. Je louvoyais entre ces idées de concepts, sans jamais être satisfait. Laurent Hirn nous avait déjà dépannés pour la couverture du quatrième tome paru chez Dupuis. Il est très à l’aise dans ce type de travail. On lui a demandé de nous aider pour relancer la série chez Bamboo. Laurent a fait un boulot impeccable et a donné une structure à l’ensemble grâce à un concept : Lloyd Singer en blanc, à l’avant-scène, et derrière un arrêt sur image sur une séquence qui évoque l’album. Il voulait mettre en avant le côté homme banal de Lloyd, confronté à des scènes spectaculaires.

Je suis reconnaissant à Laurent d’avoir donné une nouvelle impulsion à la série avec ces couvertures. Je m’aperçois qu’il est plus facile de trouver une vision d’ensemble et conceptuelle pour une maquette lorsqu’il y a déjà six albums existants.

Vous nous disiez que le graphisme de la série allait être repris par Olivier Martin. Pas de regret ?

Non. Cela faisait quelques temps que je voulais réaliser une série avec ma compagne. Je comptais m’y atteler après avoir terminé le deuxième cycle de Lloyd Singer. Même si je commençais à trouver un rythme de croisière avec Lloyd, j’avais également envie de suivre d’autres voies graphiques.

Intervenez-vous dans la réalisation de ses planches ?

Non, pas du tout. Je lui ai envoyé une grande partie de ma documentation pour l’aider. Olivier Martin m’envoie ses pages régulièrement. J’avais envie de les voir. Mais je n’interviens pas, il est libre de faire ce qu’il souhaite. Il y a une rupture graphique, mais son trait fonctionne et colle à l’univers de la série. Je suis heureux qu’il ait pris le relais. Le septième tome paraîtra en 2012.

Pourriez-vous lever le voile sur votre prochain projet ?

Il s’agira d’une chronique de la vie quotidienne d’une famille recomposée vue sous l’angle de l’humour. Les Quasi est le titre de la série et résume parfaitement sa thématique : c’est un terme qui est utilisé en psychologie pour qualifier les frères et les sœurs d’une famille recomposée, mais issus de parents différents. On les appelle les « quasi-frères » ou les « quasi-sœurs ».

Le couple que nous mettons en scène rencontre beaucoup d’embuches. Ma compagne, VaL, scénarise cette série qui sera publiée par les éditions Glénat. Nous nous inspirons beaucoup de notre vécu. Nous n’avons pas vraiment créé une famille recomposée. Nous habitons chacun séparément, et avons tous les deux nos enfants une semaine sur deux. Une fois tous les quinze jours, nous passons le week-end ensemble, avec nos cinq enfants. On part également en vacances en famille. Ces moments sont sources de tellement d’anecdotes cocasses ou trash que nous les notions. De fil en aiguille, nous avons eu envie d’exploiter ces notes pour une bande dessinée. Depuis peu, des amis divorcés nous envoient leurs propres souvenirs. Ces anecdotes sont passionnantes.

Dans la première histoire, les parents se rencontreront. Ils ne savent pas comment annoncer à leurs enfants qu’ils ont un nouvel amoureux. Mais les enfants ne sont pas si stupides … Les deux filles vont tout essayer pour compromettre cette recomposition…

J’ai changé mon style graphique pour Les Quasi. Mon style est semi-réaliste, et plus pictural. Les couleurs sont faites par Ruby, qui a travaillé avec Dupuy & Berberian et Pedrosa.
Le premier tome paraîtra fin 2011 chez Glénat. Les circonstances ont fait que j’aurai trois nouveautés cette année.

Je retrouve une nouvelle énergie, et un nouveau souffle avec les Quasi. Sur Nuit Blanche, nous nous partagions Yann et moi-même la mise en scène. Pour Lloyd Singer, Luc Brunschwig prenait à sa charge cette partie du travail. Cela me manquait. Avec VaL, sur les Quasi, j’assume entièrement la mise en page et le découpage. C’est le premier livre de VaL et je dois faire quelques réajustements. Cela me permet d’avoir une plus grande part créative, ce qui n’est pas pour me déplaire.

(par Nicolas Anspach)

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Lire d’autres interviews d’Olivier Neuray :
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- « Makabi est devenu le défenseur des femmes opprimées » (Mars 2005)

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Illustrations : © Neuray, Brunschwig & Bamboo.
Photo (c) DR.

[1Le quatrième album de Lloyd Singer porte à présent le titre de Quantico

 
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