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One Piece depuis le Japon : Le flashback d’Oden fini, l’heure du bilan au chapitre 972

Par Aurélien Pigeat le 21 février 2020                      Lien  
La parution sur Mangaplus permet de suivre en simultané avec le Japon, et de manière légale, les différentes séries du Weekly Shonen Jump, dont la première d’entre elles : "One Piece". Et le chapitre 972 vient clôturer une grande séquence dédiée au flashback d’une récente figure du manga : Oden Kozuki, mort au Pays de Wa 20 ans auparavant.

La structure narrative de One Piece alterne, depuis ses débuts, diverses séquences dont on peut dresser une rapide typologie. L’aventure au présent suit les pérégrinations de Luffy et de son équipage. Elle est, entre chaque arc et parfois à l’intérieur d’un arc, entrecoupée de brefs intermèdes qui s’écartent du héros. Enfin, des flashbacks, de plus en plus longs, ponctuent l’action de manière dramatique, y introduisant la possibilité de la mort de héros, refusée dans le présent (sauf pour les cas emblématiques d’Ace et Barbe Blanche à Marineford).

Si ces flashbacks concernent d’abord les membres de l’équipage du Chapeau de Paille, ils peuvent aussi s’intéresser à des figures majeures des contrées explorées. Ce fut le cas avec le flashback de Nordland lors de l’arc Skypiea, et c’est encore aujourd’hui le cas avec le flashback d’Oden Kozuki pour le pays de Wa.

Le flashback débute à la fin du chapitre 959 et se termine avec le chapitre 972, tout juste paru sur Mangaplus avec les autres chapitres du Weekly Shonen Jump #13. Il est possible qu’on en trouve un petit épilogue au prochain chapitre mais le nœud dramatique vient d’être dénoué avec la mort, attendue, d’Oden.

L’événement est d’importance pour ceux qui suivent le manga. Alors que le chapitre était attendu pour vendredi 17h, dès jeudi sur Twitter le chapitre apparaît dans les tendances françaises et américaines (si le scantrad a subi de récentes et importantes offensives, il continue d’exister, notamment pour un titre aussi populaire que One Piece). La sortie prématurée du chapitre sur Mangaplus vendredi confirme cela. En quoi consiste-t-on donc ce phénomène d’Oden Kozuki et de son flashback ? Et le résultat est-il à la hauteur des attentes ?

One Piece depuis le Japon : Le flashback d'Oden fini, l'heure du bilan au chapitre 972
Une histoire de samouraïs, plutôt 9 que 7
© Eiichiro Oda / Shueisha

Oden Kozuki et son flashback

D’Oden Kozuki, avant son flashback, le lecteur connaissait déjà certains éléments de la biographie. On connaissait son fils, Momonosuke, propulsé 20 ans dans le futur au moment de la chute de son père, avec quelques-uns des suivants d’Oden. Sa route avait croisé celle de Luffy dès Punk Hazard il y a maintenant bien longtemps pour le lecteur.

On connaissait aussi son statut, de fils du Shogun légitime de Wa, destitué par deux antagonistes : Orochi le fourbe et Kaido l’Empereur. On connaissait enfin un peu son histoire à l’extérieur de Wa, le fait qu’il avait navigué avec successivement Barbe Blanche et Gol D. Roger. Son flashback, inséré alors que les héros tentent précisément d’accomplir la volonté d’Oden de faire tomber Kaido et d’ouvrir Wa au monde extérieur, devait permettre de préciser tous ces éléments disparates et de mettre un caractère derrière un nom.

Oden, un étonnant héros
écopy Eiichiro Oda / Shueisha

Le flashback débute de manière surprenante en construisant Oden comme un antihéros, sorte d’ado mal dégrossi, aussi égoïste qu’irrespectueux et donc aussi craint que méprisé par le peuple de Wa. Celui-ci ne peut croire que cette terreur est bien l’héritier de son père le Shogun, figure de roi sage et juste. Mais il s’agit au fond de montrer un personnage qui se fiche des convenances, des apparences et qui a surtout un long chemin à parcourir pour gagner respect et légitimité en tant que seigneur et héros.

C’est que le bestiau, dans la tradition des grandes figures de One Piece, se révèle d’emblée un monstre de démesure. Le rappel au chapitre 960 des « faits d’armes » de son enfance est ainsi éloquent : un ours vaincu à 4 ans, exploration du quartier des plaisirs à 6, mise au pas des yakuzas à 10, divers passages par la prison et constitution d’un harem à 15 ans. Le récit le saisit à 18 ans avec donc une solide réputation. On comprend que sa trajectoire croise celle des laissés-pour-compte et qu’il agisse sur eux comme un aimant. Avec en ligne de mire la perspective d’une rédemption pour chacun.

On le verra donc rassembler autour de lui toute sa petite troupe des 9 Fourreaux Rouges puis rencontrer Barbe Blanche et Roger et enfin explorer le monde avec eux. Et même en découvrir les secrets avec l’ultime voyage de Roger vers Laugh Tale. On découvrira sa relation avec la mystérieuse Toki, la naissance de ses enfants et son retour au pays, après la mort de son père. La dernière partie du flashback raconte ainsi la manière dont il choisit de s’opposer à Orochi qui avait usurpé le titre de Shogun et à Kaido qui lui avait apporté son soutien militaire. Jusqu’à un dénouement tragique à souhait qui a dû ravir les fans et qui érige le personnage en véritable icône au sein de l’univers de One Piece. Mais le contrat est-il vraiment rempli ?

Le supplice d’Oden ! De quoi justifier la forme de son chapeau, non ?
© Eiichiro Oda / Shueisha

Un grand cru ?

Le supplice d’Ishiwaka Goemon, qui porta son fils pour lui épargner l’huile bouillante

Pour nous, et on risque de se faire quelques ennemis, pas vraiment au final. Certes ce chapitre 972 et son précédent le 971 apparaissent déjà mémorables. Le supplice d’Oden et la manière dont il y répond s’avèrent tout bonnement formidables. Oda frappe là un grand coup et se permet même d’emprunter et transformer de manière assez géniale une référence historique : l’exécution d’Ishikawa Goemon au XVIe siècle. En la revisitant graphiquement de manière astucieuse : une simple case semble donner l’explication de la forme si bizarre du chapeau d’Oden, confirmant encore une fois l’art des trouvailles visuelles d’Oda.

Côté antagonistes Orochi et Kaido confirment ce qu’ils devaient confirmer : qu’Orochi est indigne à tout point de vue et que Kaido mérite d’être un vrai adversaire pour Luffy. Bon. Et l’émotion est au rendez-vous pour ce dénouement : empathie pour le héros, colère contre ceux qui ont façonné sa tragique destinée. Il était temps pourrait-on dire : on a eu le sentiment que cela avait vraiment manqué durant tout le flashback. Car pour le reste, et surtout cette douzaine de chapitres antérieurs à la révolte d’Oden, il y a sans doute à redire.

Il y a d’abord la structure d’ensemble de ce finalement assez long flashback. Le récit se déroule de manière très linéaire, se contentant la plupart du temps de cocher les cases, l’une après l’autre, des éléments annoncés et attendus. Pas de véritable intrigue et une dramatisation globalement en sourdine qui ne se révèle qu’à la toute fin, de manière assez maladroite. Si le comportement final d’Oden – sa soumission pendant 5 ans à Orochi et Kaido avant de se rebeller – trouve une explication, celle-ci n’est pas forcément très satisfaisante. Le personnage d’Orochi, ses manœuvres et son entourage introduisent un peu de vice, mais cela reste très schématique et superficiel.

Le lâche Orochi et la réapparition d’anciens fruits
© Eiichiro Oda / Shueisha

Si l’intrigue n’existe pas vraiment, c’est parce que s’y substituent une suite de clins d’œil et la multiplication d’éléments de fan service. On peut s’en réjouir mais on peut aussi trouver cela facile et paresseux. Le lecteur doit trouver son compte dans l’apparition de Roger et de Barbe Blanche, dans la mention de la confrontation entre Moria et Kaido, dans les échos du Saké de Binks, etc. Prophétie de Shirley, apparition d’anciens porteurs de fruits connus dans le présent, cases dédiées à Neptune ou Tom : on revisite le monde connu de One Piece pour tenter de faire du neuf. Mais quoi de neuf, réellement, dans tout cela ?

Alors oui, ce qui touche à Laugh Tale s’avère essentiel et on est ravi de ces accroches au fil rouge de One Piece. Le chapitre 967 apparaît à ce titre un jalon important du manga. Mais on n’apprend, là encore, rien de fondamental, sinon que Shanks et Baggy n’étaient finalement pas là lors de l’utime étape du voyage. Voir Oden présent lorsque Roger grave la cloche de Skypiea est intéressant mais cela ne construit pas une action. Et Oden apparaît finalement souvent comme un prétexte pour présenter rapidement ce dernier périple de Roger.

La blessure de Kaido, infligée par Oden !
© eiichiro Oda / Shueisha

D’autant que tout cela conduit le héros à se comporter de manière parfois étonnante pour ne pas dire absurde. Comme par exemple lorsqu’Oden repasse par le pays de Wa pour y laisser femme et enfants et repartir, alors même que le pays est déjà sous la coupe d’Orochi. Là encore une explication est fournie mais elle nous semble bien légère pour un héros, même si Oda a toujours soutenu l’importance de l’idée de liberté chez ses protagonistes. Ou comme, donc, lorsqu’il accepte le chantage d’Orochi et Kaido après son retour : une nécessité pour amener la défaite de Oden tout en préservant sa grandeur, au prix d’un peu de cohérence à nos yeux.

Oden et ses compagnons, en prison avant leur exécution, à la fin du chapitre 970
© Eiichiro Oda / Shueisha

Car Oden se révèle, par bien des aspects, une sorte de brouillon de Luffy au destin entravé. On retrouve chez les deux personnages une même force de la nature, une même envie de liberté absolue, un même charisme qui aimante les parias et marginaux, une même inconséquence globale, un même caractère fonceur et surtout une même naïveté confondante. L’histoire d’Oden, c’est un peu celle d’un Luffy qui aurait manqué son moment, plusieurs fois même, se laissant entourlouper sans bénéficier de la chance qui remet habituellement Luffy en selle quand il s’est fait avoir. Si le parallèle est certainement voulu, il offre quelque chose d’un peu insatisfaisant.

L’histoire d’Oden, nouée à celle de Roger, des Ponéglyphes et de Laugh Tale, était par essence inscrite dans la matrice de One Piece. On aurait, dès lors, aimé qu’un souffle plus épique habite ce passage. La longueur est bien là, mais pour l’épaisseur, on est, nous, resté sur notre faim. Il en va de même pour le personnage d’Oden. Il entre dans la légende par son final, montrant qu’Oda maîtrise encore parfaitement les points d’orgue de son récit et les éléments saillants de la caractérisation de ses héros.

La réussite de ce passage tient d’ailleurs sans doute à la surprise qu’il introduit puisque le lecteur avait en tête une autre image de la chute d’Oden. Mais ce personnage aura soufflé le chaud et le froid durant une douzaine de chapitres et c’est dommage. Et la réalisation de passages attendus aura trop de fois été en demi-teinte, comme la blessure infligée à Kaido, lors d’un affrontement pas à la hauteur de l’enjeu à nos yeux.

Survivre à l’impossible supplice : démonstration de la grandeur d’Oden
© Eiichiro Oda / Shueisha

Il faut à présent attendre la suite, la reprise de l’intrigue de Wa, en espérant une intensification du récit. Car malgré ses imperfections, ce flashback a eu néanmoins le mérite de nous réveiller au sein d’un arc narratif lui-même terriblement laborieux. Il est plus que temps que One Piece retrouve une efficacité narrative qui lui fait défaut depuis longtemps. Oda demeure toujours capable de coups de génie qui le situent, encore aujourd’hui, loin au-dessus de la concurrence. Ces trouvailles se situent cependant à présent surtout dans les détails, dans des effets ponctuels de mise en scène. Là, comme au niveau de l’humour et du burlesque, nous n’avons pas grand-chose à redire.

Mais on aimerait retrouver l’intensité dramatique d’Enies Lobby, le souffle épique de Marineford ou le dépaysement d’un Skypiea (ce dernier retrouvé plus récemment sur Zou ou Totland). Ce flashback aurait pu être l’occasion de tout cela mais ce ne fut pas le cas. L’histoire d’Oden ressemble presque à un rendez-vous manqué avec le lecteur, mimétique en quelque sorte de ce rendez-vous manqué avec l’Histoire des personnages eux-mêmes. De ces Oden et Roger arrivés trop tôt pour rencontrer Joyboy et être les véritables héros de la geste onepiecienne, obligés de laisser la vedette à d’autres, à l’équipage du Chapeau de paille. Peut-être, après tout, et à Luffy et ses aventures de se montrer à la hauteur.

Oden, héros nekketsu, bouillonnant au sens propre !
© Eiichiro Oda / Shueisha

Voir en ligne : One Piece sur Mangaplus

(par Aurélien Pigeat)

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L’ensemble des captures d’écran proviennent du site Mangaplus

 
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