Dans cette époque (apogée du Second Empire) où de profondes mutations, politiques, sociales, urbaines ou industrielles transforment les paysages et perturbent les hommes dans leurs vies et leurs rêves, le journaliste va se retrouver aux frontières du réel. Dépêché sur une mystérieuse affaire de cadavre de pierre retrouvé au cimetière du Père-Lachaise, le jeune chroniqueur va plonger dans une enquête complexe où univers réalistes et fantastiques se télescopent et se pénètrent.
Ainsi, dans ce deuxième épisode, on le retrouve dans une vieille demeure isolée dont il ne semble pas pouvoir s’extirper sans prendre le risque de perdre la mémoire. Réfugié dans cette étrange maison abandonnée au terme d’une fuite au cœur d’une forêt enneigée, il y est confronté à d’étranges zombies dégénérés puis convié à un sombre banquet en compagnie de personnages hybrides, de mystérieux individus plus ou moins monstrueux qui le renvoient à son histoire personnelle.
Qui sont-ils ? Qu’ont-ils à voir avec l’affaire sur laquelle enquête Tristan Sphalt ? Sont-ils le fruit de cauchemars, d’hallucinations ou les manifestations d’un monde parallèle ?
Piskic plonge son lecteur dans un trouble profond, aux accents de folie vaguement imprégnés d’allusions psychologiques ou psychanalytiques (science tout juste apparue à l’époque). De cette magistrale alchimie, le fantastique tire la meilleure place en se reposant sur un récit troublant, pas toujours facile à suivre, mais au graphisme de grande qualité que les audaces de la mise en page servent avec une belle efficacité. Décors, couleurs et atmosphères traités avec talent permettent de passer outre une narration nébuleuse
La frontière entre enquête policière et itinéraire fantastique demeure ici très mince. Fortement inspiré de l’esprit de l’époque : fascination pour les sciences occultes, apparition de la littérature fantastique et du spiritisme…, le récit emprunte aussi bien aux univers de Poe qu’à ceux de Lovecraft, voire d’auteurs plus classiques, tout en obéissant aux règles d’un réalisme historique rigoureux parfaitement maitrisé par Marc Piskic.
Fort du talent de son créateur, Ontophage bénéficie d’un dessin élégant, classique mais plutôt bien adapté à l’ambiance de ce type de récit. L’abondance de cadrages cinématographiques parvient à conduire aisément le lecteur dans un univers particulier, complexe où l’intrigue puise aussi bien dans la littérature fantastique, que dans le rêve, ou les délires hallucinatoires ainsi qu’à celui d’œuvres ayant pour toile de fond l’Angleterre victorienne.
Diplômé de la prestigieuse Joe Kubert Scholl of Cartoon et de l’école Émile Cohl de Lyon, cet artiste polyvalent, musicien et graphiste, réalise ici une œuvre forte et personnelle qui, malgré quelques passages parfois un peu hermétiques (surtout à ce stade du récit), reste particulièrement originale et sensible. Un auteur qui avait fait ses premières armes chez Emmanuel Proust avec deux Agatha Christie remarqués : Le Crime du Golf et Le Train bleu.
(par Patrice Gentilhomme)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.