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Où en est la BD érotique ? Enquête 3/3 : du côté des auteurs

Par Céline Bertiaux le 7 août 2018                      Lien  
Notre enquête sur la bande dessinée érotique s'achève aujourd’hui. Un article en trois parties qui nous donne l’occasion de faire le point sur ce genre "sulfureux", entre évolutions et permanences. Ce troisième et dernier volet se penche sur les auteurs, afin de comprendre leur démarche et les contraintes liées à l'érotisme. Quel est leur parcours, leurs lectures ? Pourquoi se sentent-ils investis de parler de ces choses-là ?
Où en est la BD érotique ? Enquête 3/3 : du côté des auteurs
Le tome 2 paraîtra à la rentrée.

Pourquoi un auteur peut-il avoir envie d’écrire des histoires de cul ? Nous allons commencer cette troisième partie de l’enquête dans un registre sérieux. Faire une BD sur le sexe ne se réduit pas forcément à une activité frivole et légère : cela peut avoir une visée éducative. Pensons au Vrai sexe de la vraie vie (Lapin), par Cy. L’auteur explique : « Le but c’est de dédramatiser certains trucs gênants qui peuvent nous arriver pendant le sexe, de dire "c’est pas grave !". Il y a un côté didactique : certaines pages sont entièrement en libre accès et en Creative Commons. Il y a des infirmières qui utilisent mes pages, j’ai même des lectrices qui ont placardé ma BD sur le consentement partout dans leur fac ! ». Cet album cherche à montrer la diversité, et à décomplexer le rapport des gens à leur sexualité. L’érotisme, le désir sont présentés comme normaux ; il ne faut pas en rougir. Petite anecdote : Cy raconte qu’après avoir achevé l’album, elle s’est rendue compte qu’elle avait dessiné toutes les vulves à l’identique, alors même qu’elle prônait une représentation de la diversité. Elle les a donc toutes redessinées.

Cy accompagne son album érotique de planches éducatives, pour mêler l’utile à l’agréable.

Pour Alexandre Varenne, les dessins érotiques cachent une véritable obsession : « Ma démarche vient d’un souci de peindre le vide. Comment peindre le vide ? Ce n’est pas évident ! Je me suis basé sur une phrase du philosophe français Jean Baudrillard qui disait que "la puissance des femmes provient du fait qu’elles détiennent les portes du vide et ne concèdent à l’homme de les ouvrir que selon certaines règles et à leurs risques et périls". Cela m’a fait réfléchir. J’ai compris que dans la femme, il y a un vide qui obsède l’homme... L’image est un peu grossière, mais c’est vrai : la femme est une matrice, une sorte de vide qui attend quelque chose. Et elle fait phosphorer les méninges de tous les hommes. Je suis donc parti de là. ».

Guido Crepax et sa muse.

Pour certains, la réponse est bien plus simple, comme celle de Guido Crepax, qui n’y va pas par quatre chemins : « J’aime dessiner de jolies femmes, de préférence nues, et je ne vois pas pourquoi je me l’interdirais. ». Tout comme pour Manara : s’il fait de l’érotisme, c’est parce que « la quantité que l’érotisme occupe dans l’espace mental des gens est d’au moins 50%. »

C’est aussi un moyen d’extérioriser des fantasmes refoulés, comme c’était sans doute le cas pour Paul Cuvelier, issu de la bourgeoisie catholique. Le Larousse illustré de sa famille était démuni de tous les mots en rapport avec la sexualité, découpés par son père. Écrire sur le sexe est aussi un formidable exutoire pour Bastien Vivès, qui déclare même dans les Cahiers de la BD : « Le cul est tellement exutoire, on a l’impression de faire quelque chose de creux, et en fait on révèle une intimité profonde, sans s’en rendre compte. ».

Après le très beau "Le Chien de la vallée de Chambara", Hugues Micol a vu la collection BD Cul comme l’occasion de changer d’univers.

L’érotisme n’est pas forcément une vocation

Pour Sébastien Lumineau, auteur des Escalopes (BD Cul), « il s’agit avant tout d’une histoire ». L’érotisme n’est pas forcément une vocation et certains auteurs se laissent séduire par un projet. C’est particulièrement le cas pour la collection BD Cul. Sébastien Lumineau explique : « Felder connaissait mon travail, notamment aux Requins Marteaux avec le livre Une Vingtaine, et me poussait à participer à cette collection. J’ai mis quelques années avant de réaliser Les Escalopes, que j’avais déjà en tête au moment du blog, avant la parution du premier livre de la collection. Mon idée était de tout mettre dans les premières pages plutôt que d’aller vers un crescendo ». Hugues Micol évoque les mêmes raisons dans son entretien pour Les Cahiers de la BD : « Dans mes albums, il n’y a jamais de scène de cul. Mais quand Felder m’a proposé de faire partie de la collection alors que le premier numéro de BD Cul n’était pas encore paru, j’ai tout de suite adhéré à l’esprit. ».

Les lectures érotiques des maîtres de l’érotisme

L’un comme l’autre ne sont pas versés dans cette littérature. À la question de savoir s’il en lisait, Sébastient Lumineau répond : « Pas vraiment. Non, en fait, je ne sais pas : j’ai vu que vous présentiez Vies Parallèles d’Olivier Schrauwen dans le premier volet de votre dossier. Alors peut-être que oui. » La réponse d’Hugues Micol est univoque : « Je ne suis pas très client de la BD érotique. ».

Par contre, Manara se déclarait une véritable passion pour l’érotisme. C’est en lisant Jean-Claude Forest et Guy Peellaert qu’il a eu envie de se mettre, lui aussi, à la BD érotique. Morgan Navarro, publié chez BD Cul, révèle aussi des lectures des classiques du genre : Manara, Serpieri, ou encore Pichard.

Les lectures de Bastien Vivès sont beaucoup plus surprenantes. Il confesse avoir un faible pour les nombreux « albums coquins » de Dany, auteur belge très peu porté, dans cette série du moins, sur la subtilité et le raffinement. « Ses femmes sont toutes complètement écervelées, en mini-jupe, avec des décolletés… Les blagues sont du genre confondre des sucettes avec des sexes masculins : ça ne vole pas très haut, mais j’adore. »

Reproches et controverses

Nous avons vu dans les autres volets de cette enquête que la BD érotique avait été victime de censure avec des regains d’intensité cycliques ; ça n’a jamais été vraiment facile d’en faire. Alexandre Varenne déplore : « c’est un genre qui est ostracisé dans les cercles officiels. Quand on fait de l’érotisme, on fait une croix sur tous les prix. Pourquoi ? Je ne sais pas, mais il serait temps qu’Angoulême organise une exposition consacrée aux dessinateurs érotiques car c’est quand même une partie importante de la bande dessinée. ». Effectivement, le festival avait refusé une affiche de Crumb en 2000, jugée trop sexuelle.

D’aucuns pensent que les paires de fesses ne sont pas en cause dans le refus de l’affiche, mais plutôt une incompatibilité de style.

Des critiques, Bastien Vivès en a reçu bon nombre, notamment pour Les Melons de la colère (BD Cul), dans laquelle s’illustrent viol, inceste et pédophilie. Suite à l’article dans nos colonnes, les réactions dans les commentaires avaient été virulentes, au point qu’une tribune y avait répondu. L’auteur ne voit pas pourquoi il se fixerait des limites : « Vu qu’ils ne s’en fixent pas, je ne vois pas pourquoi je le ferais. Et quand je dis "ils", je parle du monde en général et de ses habitants. »

Jean-Louis Tripp raconte son parcours sexuels des premiers émois à ses relations actuelles, en passant par sa participation à une partie fine.

Du côté de Sébastien Lumineau par contre, aucun problème : « Pas de reproche. Un accueil plutôt enthousiaste, du moins pour celles et ceux qui m’en ont fait part. En même temps (comme dirait l’autre), du cul, de l’humour, un scénario !... Que demander de plus ? ...Ou de moins ? ». Quant à Jean-Louis Tripp, il explique qu’il n’a pas eu de problèmes pour faire éditer son album autobiographique, Extases. « C’est très important de souligner que je n’ai pas la volonté de choquer. Je ne suis pas dans une démarche de provocation. Je veux au contraire apprivoiser et montrer que tout cela est naturel. »

Mais si ce genre est sujet aux reproches, c’est qu’il s’attaque à des tabous. Cette transgression, c’est justement ce que certains auteurs recherchent, comme Jan Bucquoy qui désire bousculer les gens et défendre la liberté d’expression. Ses albums sont volontairement provocateurs, comme La Vie sexuelle de Tintin qui lui a valu une poursuite en justice.

L’humour comme rempart

Bastien Vivès : "celui qui m’emmerde, je l’encule !"
Dans "Les 7 péchés capitaux" (sept. 2011) édité par le festival BD-Fil

Pour dépasser la critique, hormis la publication clandestine, l’humour peut-être un bon recours. Dans l’éditorial des Cahiers de la BD “Peut-on encore parler d’amour”, Vincent Bernière souligne que les auteurs les plus audacieux de la génération de ces dernières années « ont choisi la parodie pour faire du cul avec humour ». Cela apparaît comme une façon de se dédouaner, de masquer ses fantasmes inavouables sous couvert d’humour. Vivès confirme cette intuition : «  Le grand écueil bien sûr, c’est le ridicule. En cela, l’humour peut aider : mieux vaut toujours être drôle que risible.  ». Nous comprenons dès lors mieux le succès de la collection des Requins Marteaux !

(par Céline Bertiaux)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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