Serait-ce dû au populaire Hergé qui avait su toucher une large part de la population belge dès 1930 avec les premières aventures de Tintin ? Ou un simple atavisme culturel ? Quoiqu’il en soit, la Belgique semble toujours à la pointe au niveau de l’utilisation sociétale de la bande dessinée.
Dernier exemple en date,une initiative de l’administration de Woluwé-Saint-Lambert, l’une des dix-neuf communes bruxelloises [1] de Bruxelles, qui vient d’éditer un album complet de 43 planches pour expliquer comment sa population avait vécu la Première Guerre mondiale, l’occupation allemande, les privations vécues par les habitants, etc.
Un récit d’une grande sensibilité
Ce qui pourrait s’apparenter à un travail de commande étonne par sa qualité et l’investissement de ses auteurs ! Le mérite en revient surtout à Stéphane Goblet, qui en signe les textes définitifs et les dessins. Les planches à l’italienne permettent aux lecteurs, et surtout aux plus jeunes d’entre eux, de se plonger dans chaque case, porte ouverte sur l’Histoire. Cette volonté de restituer au plus près le quotidien des habitants de la commune ne prend pourtant jamais le pas sur la lisibilité et l’émotion qui se dégagent du récit.
En effet, plutôt que de prendre un ton professoral et distant, En Attendant papa s’attache aux pas d’un petit garçon de dix ans, Jules, habitant cette commune de Woluwé-Saint-Lambert. Dès la première planche (ci-dessus), on se place dans ses yeux, avec la fierté de voir son père partir à la guerre, avant qu’il ne se rende progressivement compte des horreurs que cette dernière véhicule. Son père porté disparu, sa ville occupée par les Allemands, Jules tente d’aider sa mère pour trouver de quoi se nourrir.
Trois récits s’entremêlent au fil des pages : celui de Jules tout d’abord et l’attente de ce père disparu, ce qui génère une vraie empathie de la part du lecteur ; puis la vie quotidienne sous l’occupation au niveau de la commune : la soupe populaire, le refus de céder la liste des chômeurs aux Allemands, le couvre-feu, les obus qui tombent sur la ville, le marché noir, etc. ; enfin, la grande Histoire, privilégiant l’aspect humain au déroulé des batailles : la première aide humanitaire organisée par les États-Unis, l’Espagne et les Pays-Bas, l’exil du gouvernement belge en Angleterre, les avions qui s’imposent dans les airs, la réquisition des chevaux et des grands chiens pour le transport du matériel sur le champ de bataille,... Le tout toujours raconté à hauteur d’enfant.
La réussite du récit tient également aux couleurs de Dimitri Piot. Alternant les scènes aux teintes évocatrices avec des cases/planches monochromatiques liées à des moments plus tragiques, Dimitri Piot a su se mettre au diapason du récit et de son auteur : un vrai travail d’équipe !
L’émergence d’un nouveau type d’éditeur
Distribué initialement aux écoles de Woluwé-Saint-Lambert, En Attendant Papa accomplit son objectif pédagogique. Certaines planches ont été clairement composées dans ce but, comme ces pleines pages représentant une école puis une classe de l’époque avec cartes géographiques et ses tableaux pédagogiques. On y découvre même la liste du contenu du cartable d’un élève en 1915. Cet aspect pédagogique ne perturbe pourtant pas la lecture de l’histoire, car Stéphane Goblet donne la voix à ses héros enfants, par le biais de phylactères illustrés pour exprimer les sujets plus durs, comme l’exode des populations ou les scènes traumatisantes des champs de batailles.
En plus des exemplaires distribués au classe de 4, 5 et 6e primaires (l’équivalent des CM1, CM2 et sixième en France), un dossier pédagogique a été adressé à tous les instituteurs de la commune. Composé de fiches thématiques, de rubriques à l’attention des élèves avec leurs corrigés, il permet aux classes d’aborder en profondeur les sujets traités, et même au passage de mieux comprendre comment l’on réalise une bande dessinée.
Que cela soit dans son exécution ou son encadrement, le projet En Attendant Papa nous semble donc aussi pertinent que réussi. Mais ce qui nous a surtout frappé, c’est que la commune de Woluwé-Saint-Lambert a elle-même édité cet album, et s’est fortement impliquée dans la totalité du projet. Elle a réuni des historiens, son équipe du service de la culture et de l’enseignement, ainsi qu’une responsable du service de la protection du patrimoine pour encadrer la conception de l’album, et surtout réaliser le dossier pédagogique attenant.
La volonté d’une commune de miser ainsi sur un album à une fin autant narrative que pédagogique est donc un événement assez notable pour être mentionné. Mais ce qui reste exceptionnel, c’est que l’auteur Stéphane Goblet est un employé de la commune ! Après avoir réalisé différents projets pendant une dizaine d’années, il a ainsi été mandaté par le collège communal pour réaliser cet ouvrage.
Certes, ce n’est pas la première fois qu’une commune/ville s’investit dans l’édition d’un album, mais à une époque où la bande dessinée continue à diversifier son offre tout en rémunérant de plus en plus chichement ses auteurs, en voir un ainsi salarié au même titre que les autres employés communaux, nous semble être une piste pour conforter le statut des auteurs.
D’autant plus que la réussite graphique, narrative et pédagogique est patente et que cet album devrait laisser une impression notable aux jeunes écoliers, souvent plus en contact avec les écrans et les mangas qu’avec les planches de bande dessinée.
Un exemple à suivre dont on espère d’ailleurs un tome 2 très prochainement…
(par Charles-Louis Detournay)
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Le site de la commune concentre les infos points de ventes
Le dossier pédagogique liée aux thématiques de l’album En Attendant Papa
[1] Cette agglomération est composée de dix-neuf entités possédant chacune son propre domaine de compétence, au même titre que la commune de Bruxelles-Ville. En simplifiant, on peut apparenter les communes de Bruxelles aux arrondissements de Paris, chacune administrée par un bourgmestre, l’équivalent d’un maire.
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