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Oui, la bande dessinée peut être éducative !

Par Charles-Louis Detournay le 9 février 2019                      Lien  
La preuve par une initiative bruxelloise : un récit aussi abouti que touchant a été distribué à trois classes de toute une commune de Bruxelles. Quarante-trois planches évoquant la Première Guerre mondiale qui atteint pleinement son objectif. Cette réussite étonne aussi par son mode de financement...

Serait-ce dû au populaire Hergé qui avait su toucher une large part de la population belge dès 1930 avec les premières aventures de Tintin  ? Ou un simple atavisme culturel ? Quoiqu’il en soit, la Belgique semble toujours à la pointe au niveau de l’utilisation sociétale de la bande dessinée.

Dernier exemple en date,une initiative de l’administration de Woluwé-Saint-Lambert, l’une des dix-neuf communes bruxelloises [1] de Bruxelles, qui vient d’éditer un album complet de 43 planches pour expliquer comment sa population avait vécu la Première Guerre mondiale, l’occupation allemande, les privations vécues par les habitants, etc.

Oui, la bande dessinée peut être éducative !

Un récit d’une grande sensibilité

Ce qui pourrait s’apparenter à un travail de commande étonne par sa qualité et l’investissement de ses auteurs ! Le mérite en revient surtout à Stéphane Goblet, qui en signe les textes définitifs et les dessins. Les planches à l’italienne permettent aux lecteurs, et surtout aux plus jeunes d’entre eux, de se plonger dans chaque case, porte ouverte sur l’Histoire. Cette volonté de restituer au plus près le quotidien des habitants de la commune ne prend pourtant jamais le pas sur la lisibilité et l’émotion qui se dégagent du récit.

En effet, plutôt que de prendre un ton professoral et distant, En Attendant papa s’attache aux pas d’un petit garçon de dix ans, Jules, habitant cette commune de Woluwé-Saint-Lambert. Dès la première planche (ci-dessus), on se place dans ses yeux, avec la fierté de voir son père partir à la guerre, avant qu’il ne se rende progressivement compte des horreurs que cette dernière véhicule. Son père porté disparu, sa ville occupée par les Allemands, Jules tente d’aider sa mère pour trouver de quoi se nourrir.

Trois récits s’entremêlent au fil des pages : celui de Jules tout d’abord et l’attente de ce père disparu, ce qui génère une vraie empathie de la part du lecteur ; puis la vie quotidienne sous l’occupation au niveau de la commune : la soupe populaire, le refus de céder la liste des chômeurs aux Allemands, le couvre-feu, les obus qui tombent sur la ville, le marché noir, etc. ; enfin, la grande Histoire, privilégiant l’aspect humain au déroulé des batailles : la première aide humanitaire organisée par les États-Unis, l’Espagne et les Pays-Bas, l’exil du gouvernement belge en Angleterre, les avions qui s’imposent dans les airs, la réquisition des chevaux et des grands chiens pour le transport du matériel sur le champ de bataille,... Le tout toujours raconté à hauteur d’enfant.

La réussite du récit tient également aux couleurs de Dimitri Piot. Alternant les scènes aux teintes évocatrices avec des cases/planches monochromatiques liées à des moments plus tragiques, Dimitri Piot a su se mettre au diapason du récit et de son auteur : un vrai travail d’équipe !

L’émergence d’un nouveau type d’éditeur

Distribué initialement aux écoles de Woluwé-Saint-Lambert, En Attendant Papa accomplit son objectif pédagogique. Certaines planches ont été clairement composées dans ce but, comme ces pleines pages représentant une école puis une classe de l’époque avec cartes géographiques et ses tableaux pédagogiques. On y découvre même la liste du contenu du cartable d’un élève en 1915. Cet aspect pédagogique ne perturbe pourtant pas la lecture de l’histoire, car Stéphane Goblet donne la voix à ses héros enfants, par le biais de phylactères illustrés pour exprimer les sujets plus durs, comme l’exode des populations ou les scènes traumatisantes des champs de batailles.

En plus des exemplaires distribués au classe de 4, 5 et 6e primaires (l’équivalent des CM1, CM2 et sixième en France), un dossier pédagogique a été adressé à tous les instituteurs de la commune. Composé de fiches thématiques, de rubriques à l’attention des élèves avec leurs corrigés, il permet aux classes d’aborder en profondeur les sujets traités, et même au passage de mieux comprendre comment l’on réalise une bande dessinée.

Une des pleines pages, qui contextualise ici l’invasion allemande.

Que cela soit dans son exécution ou son encadrement, le projet En Attendant Papa nous semble donc aussi pertinent que réussi. Mais ce qui nous a surtout frappé, c’est que la commune de Woluwé-Saint-Lambert a elle-même édité cet album, et s’est fortement impliquée dans la totalité du projet. Elle a réuni des historiens, son équipe du service de la culture et de l’enseignement, ainsi qu’une responsable du service de la protection du patrimoine pour encadrer la conception de l’album, et surtout réaliser le dossier pédagogique attenant.

La volonté d’une commune de miser ainsi sur un album à une fin autant narrative que pédagogique est donc un événement assez notable pour être mentionné. Mais ce qui reste exceptionnel, c’est que l’auteur Stéphane Goblet est un employé de la commune ! Après avoir réalisé différents projets pendant une dizaine d’années, il a ainsi été mandaté par le collège communal pour réaliser cet ouvrage.

Certes, ce n’est pas la première fois qu’une commune/ville s’investit dans l’édition d’un album, mais à une époque où la bande dessinée continue à diversifier son offre tout en rémunérant de plus en plus chichement ses auteurs, en voir un ainsi salarié au même titre que les autres employés communaux, nous semble être une piste pour conforter le statut des auteurs.

D’autant plus que la réussite graphique, narrative et pédagogique est patente et que cet album devrait laisser une impression notable aux jeunes écoliers, souvent plus en contact avec les écrans et les mangas qu’avec les planches de bande dessinée.

Un exemple à suivre dont on espère d’ailleurs un tome 2 très prochainement…


(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Le dossier pédagogique liée aux thématiques de l’album En Attendant Papa

[1Cette agglomération est composée de dix-neuf entités possédant chacune son propre domaine de compétence, au même titre que la commune de Bruxelles-Ville. En simplifiant, on peut apparenter les communes de Bruxelles aux arrondissements de Paris, chacune administrée par un bourgmestre, l’équivalent d’un maire.

 
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2 Messages :
  • Oui, la bande dessinée peut être éducative !
    10 février 2019 18:30, par Philippe Wurm

    Cet album est une vraie découverte !
    Un auteur belge reprend le flambeau des "Oncles Paul" pour nous narrer des fait historiques ! Pour les Français les difficultés de la population belge pendant l’occupation allemande en 14-18 est un fait assez ignoré. Or cette occupation fut traumatisante. Le fait qu’une commune bruxelloise finance ce genre de projet est remarquable comme l’indique si bien l’article.
    Il serait nécessaire que d’autres administrations puissent en faire de même pour utiliser la puissance d’évocation de la bande dessinée à des fins pédagogiques et il serait bon que les plus aboutis de ces projets puissent aussi être édités et diffusés dans le réseau des librairies générales pour toucher un très large public.
    Ainsi de l’aide substantielle aux auteurs pour développer des sujets historiques à vocation pédagogique jusqu’à la diffusion de leur ouvrages vers un large lectorat, il y a un cercle vertueux qui permettrait à une bande dessinée de qualité et tout public d’exister et de lutter intelligemment contre la banalité des "fausses nouvelles" qui se répandent trop facilement.

    Répondre à ce message

  • Oui, la bande dessinée peut être éducative !
    11 février 2019 12:47, par Dom

    Dans cet article, il est dit que cette bande dessinée a été distribuée aux élevés de classes de 4ème, 5ème et 6ème primaire. Il serait bon de préciser que c’est aux élèves de l’ensemble de la commune de Woluwe-Saint-Lambert que l’album a été distribué. Selon la communication de l’administration communale, cela représente 3000 albums tout de même (oui… trois milles albums).

    Une version néerlandophone est également disponible.

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