Le tout signé Enki Bilal qui publie en même temps son nouvel album, La Couleur de l’air (Casterman), où il conclut sa trilogie "Coup de sang" commencée avec "Animal’z" et poursuivie dans "Julia et Roem". L’occasion d’aborder l’artiste dans sa globalité : le narrateur et le dessinateur, le cinéaste et le plasticien.
Enki Bilal, c’est un peu comme Frank Miller. D’aucuns encensent le génie, le côté révolutionnaire de leur travail ; d’autres dénoncent leur vacuité, la fumisterie de leur démarche. Ils ont pourtant l’un et l’autre marqué l’histoire de la bande dessinée et celle du cinéma, réussissant à déployer leurs principes esthétiques dans les deux médias avec une originalité incontestable.
Venu d’un pays qui n’existe plus, la Yougoslavie, et qui préfigure si bien l’éclatement même de nos valeurs et de notre monde devenu comme il le suppose si bien, un "monstre", Bilal dessine depuis l’enfance. Un petit film nous le montre esquissant un cow-boy à la craie sur le sol. Dessin et cinéma, déjà.
Le dessin le mènera en France faire des bandes dessinées dans Pilote, l’un des creusets des révolutions graphiques de l’avant et de l’après-1968 où naît, dans le sillage d’Astérix, une bande dessinée moderne.
Avec Pierre Christin, il accompagne ce mouvement, lui donne un contenu politique qui, au fil du temps est devenu philosophique et qui étonne aujourd’hui encore par son acuité, notamment dans l’évocation des totalitarismes dont l’assise idéologique se délite en même temps que leur puissance, et celle-ci sans doute à cause de celle-là.
Il y a aussi la science qu’il aborde par le biais de la science-fiction qu’il découvre dans ces années-là et qui est aussi, dans sa globalité, de Jules Verne à Bradbury, une réflexion sur la marche du monde.
Il y a enfin le cinéma, ce cinéma d’auteur qui, dans ces années où il arrive en France, repousse ses limites. Un producteur indépendant, Maurice Bernard, l’engage à faire du cinéma. Il veut faire un court, pour essayer. Le producteur lui dit : "autant faire un long". Ce sera Bunker Place Hôtel (1988) auquel Christin collabore au scénario.
Mais bientôt, il saura comment faire ses scénarios lui-même, pour aller vers ce qu’il veut être : un auteur total, créer des œuvres à sa mesure. Ce qui se passe en Yougoslavie le blesse et le désole. C’est son enfance qui se dissipe dans un sentiment brutal de non-retour.
Entre deux films (toujours longs à monter) et ses bandes dessinées (toujours longues à réaliser), il switche vers la peinture, grâce au regretté galeriste Christian Desbois. Ses toiles et ses planches font bientôt des records dans les ventes publiques. Grâce à cette incursion dans la peinture, son style évolue. Le monstre sort de son sommeil. Il revient sur ses fondamentaux : papier (parfois teinté), mine de plomb, rehauts de gouache...
Ce sont ces travaux-là, traces d’une carrière de près de 40 ans, scénarisés par le commissaire d’exposition Pascal Orsini, que l’on retrouvera à Toulon sur près de 400 documents. Incontournable.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Enki Bilal : Oxymore & more
Hôtel des Arts - Centre méditerranéen d’art du Conseil du Var
236 Boulevard Maréchal Leclerc – 83093 Toulon Cedex
Du 18 octobre 2014 au 4 janvier 2015.
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h
Fermeture le lundi, le 25 décembre et le 1er janvier
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