Le Silver Age (l’âge d’argent) est cette période du comic-book qui court du milieu des années cinquante jusqu’à l’aube des années soixante-dix. Les spécialistes en situent le commencement en octobre 1956 lorsque Joe Kubert et Carmine Infantino renouvelèrent complètement The Flash dans le N°4 de Showcase.
Entre 1945 et 1949, les super-héros étaient fatigués. Le retour à partir de 1945 des GI’s, l’une des principales clientèles des comics, la surexposition médiatique des personnages à partir de 1940 (films live ou d’animation pour Superman, Batman, Captain America…) qui en accélérèrent l’usure et la multiplication des autres genres (Western, romance… mais surtout les histoires d’horreur de EC Comics) annonçaient leur déclin [1]. En 1954, après une violente campagne anti-comics, l’industrie s’était dotée d’un organe d’autocensure, le comics-code, qui avait contribué à aseptiser le monde des super-héros.
« Une situation narrative préoccupante »
Superman était le héros par excellence du Golden Age (l’âge d’or) puisque, créé par Siegel et Shuster en 1938, il était le fondateur de la bande dessinée de super-héros. Il se devait d’être plus exemplaire que les autres. Cette position a failli le tuer plus sûrement que la kryptonite, et l’industrie du comic-book avec lui, tant les scénarios avaient perdu la pertinence des origines. Déjà battu en brèche par Batman, un super-héros moins propre sur lui, il allait réellement être menacé au début des années soixante lorsque Stan Lee et Jack Kirby lancèrent sur le marché des personnages d’un genre nouveau : Les X-Men, Spider-Man, Hulk… mieux adaptés aux goûts changeants de la jeunesse américaine.
Dans les années cinquante, le Superman de Siegel et Shuster frappait par sa naïveté. Certes les dessins de Wayne Boring, Kurt Schaffenberger ou Curt Swan lui avaient donné des traits et une prestance plus attirants que les ébauches du Joe Shuster des débuts, mais le scénario tourne en rond. Umberto Eco en a bien décrit la cause dans son célèbre article, Le mythe de Superman : « …Superman, qui est, par définition, le personnage que rien ne peut entraver, se trouve dans la situation narrative préoccupante qui fait de lui un héros sans adversaire et donc sans possibilité de développement d’intrigue » [2]. Eco en démonte les artifices avec une délectation d’autant plus fascinée que c’est précisément cette perfection stérile qui en fait un mythe.
Une impasse créative
Le lecteur en aura de nombreux exemples dans cette collection des « Archives DC » publiées par Panini Comics où l’on retrouve quelques-uns des personnages secondaires pittoresques récurrents qui constituent, selon Eco, d’inévitables « redites » : Superboy (janvier 1945), supergirl (mai 1959), le super-chien Krypto, l’un des quatre super-animaux (décembre 1955), Bizarro et la planète cubique, les doubles imparfaits des héros de la série, la kryptonique rouge qui avait sur Superman les effets les plus inattendus, comme celui de le dédoubler ou de le rendre amnésique et, dans l’imagination de Loïs Lane, les super-bébés jumeaux qu’elle aurait conçus avec l’homme d’acier si…
Mais par ailleurs, cette impasse poussa les scénaristes dans leurs derniers retranchements. Ils s’en sortirent pas trop mal : en inventant une faiblesse à Superman (la kryptonite apparaît en décembre 1949), en jouant du registre de la parodie avec la Kryptonite rouge, dorée ou bleue ou en inventant des personnages burlesques comme le facétieux lutin Mr Mxyzptlk venu de la 5ème dimension pour rendre fou le super-homme et que celui-ci renvoie chez lui en lui faisant prononcer son nom écrit de façon inversée ; mais aussi en mettant en jeu la fameuse double-identité du personnage pour mieux démontrer la dangerosité d’agir au vu et au su de tous. Rien de bien innovant, nous direz-vous. Mais en imaginant les procédés narratifs du voyage dans le temps ou encore celui des aventures fantasmées (comme cette séquence où Loïs Lane s’imagine mariée à Superman, un désastre conjugal), ou encore grâce à l’approfondissement des origines en développant des aventures du super-homme sur la planète Krypton avant sa destruction, ils ouvrirent des voies qui permettront à Superman de renaître sous une forme plus moderne dans les années à venir.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Archives DC : Superman 1958/1959 et 1959 – Par Bil Finger, Otto Binder, Wayne Boring, Jerry Coleman, Al Plastino, Stan Kaye, Kurt Schaffenberger, Dick Sprang & Curt Swan – Panini Comics
[1] cf Jean- Paul Jennequin, Histoire du Comic-Book T1, Vertige Graphic, Paris, 2002.
[2] in Communications N°24, la bande dessinée et son discours, pp.24 à 40, Paris, 1976.
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