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Paolo Cossi : « C’est effarant que le génocide des Arméniens soit encore passé sous silence par certains »

Par Nicolas Anspach le 18 février 2009                      Lien  
Paolo Cossi publie aux éditions Dargaud « {Medz Yeghern : Le grand mal} », un roman graphique sur le génocide des Arméniens. Il aborde la politique d’extermination orchestrée par les autorités turques entre 1915 et 1916 dans un récit poignant, ne cachant en rien l’horreur de ce drame qui coûté la vie à plus d’un million de personnes.

Dans " Medz Yeghern : Le grand mal", Paolo Cossi met en scène plusieurs personnes confrontées à ce drame. Comme par exemple un jeune soldat arménien qui réchappe miraculeusement à la mort dans une tuerie qui a décimé nombre de ses amis. Celui-ci est aidé par un jeune maraîcher turc pour fuir en se cachant sous les caisses de son chariot.
Ou encore une jeune femme, dont la famille a été torturée, qui rejoint une caravane de déportés obligés de s’enfoncer dans le désert. Paolo Cossi nous parle de ce drame humain…

Paolo Cossi : « C'est effarant que le génocide des Arméniens soit encore passé sous silence par certains »

Pourquoi vous êtes-vous intéressé au génocide des Arméniens ? Est-ce parce que de nombreux pays ont toujours une attitude négationniste par rapport à ce drame ?
J’ai entendu parler de ce génocide en 2006 par un ami qui réalisait des recherches archéologiques en Turquie sur ce sujet. Il m’a parlé d’un génocide où près d’un million et demi de personnes avaient été tuées. Cela m’avait interloqué. Les livres d’histoire italiens ne mentionnaient pas –ou presque pas– ce drame humain. Je trouvais effarant qu’une telle tuerie soit passée sous silence et que certains nient la mort de ces personnes.
Il faut replacer le génocide des Arméniens dans le contexte historique de l’époque : en 1915, l’Europe était en guerre et l’Arménie était un pays éloigné. Nous avons oublié ce peuple et pensé à d’autres intérêts. À la différence de celui des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, la Turquie n’a jamais admis ce génocide. L’Allemagne l’a fait et à présenté, me semble-t-il, ses excuses. Le pays qui est le plus incriminé dans les évènements arméniens se tait toujours. Ce manque de clarté et ce mutisme font que l’on ne parle pas facilement de ce génocide...

Quelles ont été vos sources documentaires ?

Dans un premier temps, mon ami archéologue. Puis, j’ai eu la chance de croiser un homme qui m’a mis en contact avec la communauté arménienne d’Italie. Les enfants et petits-enfants des rescapés de ce génocide ont partagé les témoignages oraux qu’ils avaient reçus de leurs ancêtres. Ils m’ont prêté différentes photographies.

Retranscrire les scènes horribles de torture et de tuerie doit être une expérience extrêmement éprouvante, non ?

Effectivement. Cela a été pénible de regarder ces images et de relire les témoignages. Mais il fallait passer par cette étape pour mieux retranscrire l’horreur de ces évènements. Un génocide est un drame humain, pas une histoire que l’on raconte aux enfants méchants. C’est l’horreur même, et il fallait la montrer.

Vous utilisez aussi des images floutées provenant probablement de photographies.

Ce sont des photographies prises par Armin T. Wegner qui ont été publiée dans un livre de l’époque. Cette personne a dévoilé l’histoire au monde grâce à ces clichés. Ne pas les inclure dans mon livre aurait été regrettable. J’ai donc retravaillé ces photos pour leur donner un côté différent…

On vous sent humaniste.

Oui. Mes bandes dessinées sont un moyen de transmettre un message basée sur la non violence et le pacifisme. J’ai besoin de partir de faits réels pour montrer la réalité des choses. Je suis un homme ordinaire, quelqu’un de simple, de proche de la nature. Je vis dans une maison nichée dans la montagne et je cultive mon jardin.
J’essaie de respecter les hommes et la nature. Je ne me sers jamais de ma vie privée pour mes histoires. Ma vie doit être mise de côté pour laisser la place aux faits réels dont je m’inspire.

Illustration pour "Medz Yeghern : Le grand mal"
(c) Paolo Cossi

D’autres auteurs se servent de leur vie pour leurs histoires. Vous n’êtes pas dans cette démarche. Pourquoi ?

Ma vie ne serait pas très intéressante à raconter. Je ne pourrais pas servir d’exemple aux autres. Mon seul fait marquant a été de refuser les armes lors du service militaire. Je préfère utiliser le destin de personnes qui ont eu une vie extraordinaire et qui peuvent servir d’exemple ou susciter la réflexion. La bande dessinée est un moyen de communication, et chaque auteur doit suivre ses envies.

Vos autres œuvres publiées en Italie traitent-ils de sujets aussi poignants ?

Aussi poignant que ce génocide, je ne crois pas ! Mais j’ai publié des livres qui n’en sont pas pour autant moins graves. Comme par exemple : une histoire consacrée à la Première Guerre mondiale qui a eu un impact moindre. Tardi avait déjà admirablement traité le sujet. Sinon, j’ai réalisé des histoires sur le tremblement de terre du Frioul ou encore sur une femme membre des Brigades Rouges.

Peu de bandes dessinées ont été publiée sur les Brigades Rouges en Europe. Vittorio Giardino me disait qu’il ne se sentait pas autorisé à traiter ce sujet car il manquait de recul sur cette histoire, et que les historiens italiens n’ont pas encore fait leur travail sur cette période. Pourquoi avoir traité ce sujet ?

Je n’ai pas connu ces évènements. Je me sentais donc autorisé à en parler, même si cette période est encore une plaie ouverte pour l’Italie. Dans l’histoire de Mara, je raconte le parcours d’une femme militante, de ses premières manifestations sur les places publiques jusqu’à son intégration dans les Brigades Rouges et son arrestation par les autorités.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Illustrations : (c) Paolo Cossi & Dargaud
Photo : (c) Nicolas Anspach

 
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