Belle formule que celle de Pascal Ory pour évoquer le succès de Goscinny. Il parle d’un « plébiscite de tous les jours », d’un « suffrage universel de la culture » dont il aurait bénéficié, dans un triomphe « sans appel ». C’est le premier apport de ce livre qui démontre combien cet enthousiasme du public est légitime et tient avant tout « à de bonnes raisons ». Goscinny est la preuve qu’il est absurde de vouer aux gémonies la réussite commerciale. Le biographe ne cherche pas non plus, comme ces Romains imbéciles, à trouver la formule de la potion magique.
Complexité
Même s’il émaille ses chapitres de locutions latines, « pour le goût », n’espérez pas trouver autre chose dans le livre d’Ory qu’un travail d’historien : les faits et rien qu’eux. Ce qui ne l’empêche pas d’être attentif à leur contexte, à leur sens et à leur portée symbolique. Comme celle de l’itinéraire de cet émigré juif français, né à Paris, ayant vécu en Argentine puis aux Etats-Unis jusqu’à l’âge adulte, trouvant la porte d’entrée dans le monde de la bande dessinée par la Belgique, pour être enfin le scénariste plébiscité que l’on sait en inventant le héros le plus « français » qui soit : Astérix.
Le moindre des mérites de Pascal Ory, dans cette biographie qui se lit comme un roman, est d’avoir rendu à Goscinny toute sa complexité : ses influences argentines (et notamment celle du personnage argentin de Dante Quinterno, « Patoruzu », dont Benoit Mouchart, le directeur artistique du Festival d’Angoulême nous annonce une présence importante dans l’expo sur la bande dessinée argentine que nous prépare José Muňoz pour le prochain festival), américaines (sa proximité, sinon sa complicité, avec les futurs créateurs de Mad Magazine : Kurtzman, Severin..), enfin son intime collaboration avec les dessinateurs qu’il sert, chacun d’une manière très différente : Albert Uderzo, Sempé, Morris, ou Tabary. Sans eux, Goscinny n’existerait pas. Sans Goscinny, il leur aurait peut-être manqué ce petit rien qui rend leur œuvre universelle.
Cosmopolitisme
Cette universalité procède du « cosmopolitisme » (un mot sérieusement connoté depuis la guerre) du scénariste. La judéité de Goscinny était discrète. Ses premiers biographes ne s’en rappelaient que dans le contexte de la « révolte » des auteurs de Mai 68 où, selon le témoignage de Cabu, il aurait dit : « Ils me font tout ça parce que je suis juif ! ». Comme le dit si bien Pascal Ory, « La « question juive » de Goscinny ne s’est pas arrêtée à sa mort ». Il retrace les étonnantes pérégrinations d’une dépouille enterrée trois fois, la dernière avec le rite mosaïque.
En restituant ce contexte familial, en situant les œuvres dans leur époque, en montrant également à quel point le travail de ce scénariste d’exception repose sur de formidables amitiés, Pascal Ory a redonné vie au « Roi René », avec talent et brio, mais d’une façon pince sans rire. Il aurait aimé, qui sait ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Pascal Ory sera présent à la Librairie Goscinny le 5 novembre 2007.
En médaillon : Pascal Ory. Ph : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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