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Patrick Weber : "J’aime les récits dans lesquels les méchants ont un passé, des failles…"

Par Nicolas Anspach le 22 octobre 2007                      Lien  
{{Patrick Weber}} est un boulimique ! Un homme-orchestre qui n’a de cesse d’apprivoiser de nouveaux métiers. Cet ancien journaliste et rédacteur en chef, spécialiste des monarchies, a écrit plusieurs romans et bon nombre de scénarios de bande dessinée.

Entre deux chroniques pour les émissions télévisées « 50° Nord » (Arte) et « C’est du Belge » (RTBF), ce scénariste fécond a travaillé sur l’adaptation en BD d’Arthur et les Minimoys, sur les séries Alix et Lefranc, mais également sur des œuvres plus personnelles comme Les Fils de la Louve ou Novikov.

Vous cumulez les métiers de l’écriture. Pourquoi vous consacrer aujourd’hui à la bande dessinée ?

Cela m’a intéressé depuis l’enfance, et depuis que j’ai pris conscience que je voulais raconter des histoires aux autres. J’ai effectué mes premiers pas de journaliste en réalisant un fanzine gratuit, qui parlait notamment de BD. Ce fut une bonne école, qui m’a permis d’apprendre à faire un magazine. Plus tard, j’ai travaillé comme libraire spécialisé en bande dessinée, puis j’ai rejoint l’équipe de Spirou à l’époque de Philippe Vandooren et de Patrick Pinchart. J’ai d’ailleurs commencé à travailler en tant que journaliste pour de « vrais journaux » (comme disaient mes parents) à ce moment-là. J’ai réalisé mes premières histoires pour Spirou, Circus, Vécu. J’ai écrit pour les Cahiers de la BD édités par Jacques Glénat.

Vous avez interrompu cette production cependant...

Mon travail de journaliste a pris de l’importance ! J’ai dû faire des choix. Je pouvais continuer à travailler pour Spirou ou collaborer à Média Marketing, un magazine économique sur le monde des médias. C’était une aventure intéressante, car ce journal était à ses balbutiements.
En fait, je fonctionne par cycle. Entre mes vingt et trente ans, j’ai fait énormément de journalisme. A trente ans, j’ai eu envie de refaire de la bande dessinée, mais je ne connaissais plus personne. J’ai proposé un synopsis à Glénat, mais ils ne l’ont pas accepté. Mon ami François Rivière l’a lu, et m’a dit : « Mais, c’est un roman ! ». Je n’avais jamais pensé à écrire un roman, et je me suis dit : « Pourquoi pas ?  ».
Entretemps, j’ai fait des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’Université Libre de Bruxelles. J’ai eu envie de mettre ces deux mondes en parallèle. Mes scénarios de BD sont devenus des romans. Entre trente et quarante ans, j’ai écris de nombreux romans, de livres historiques, de bouquins consacrés aux familles royales. Puis j’ai été rédacteur en chef des journaux belges Média-Marketing, de Flair et de Télé-Moustique.

Et la BD dans tout cela ?

Je n’avais plus envie de diriger un journal. Je souhaitais plutôt réaliser mes rêves. Le premier d’entre eux, était celui de raconter des histoires. L’âge aidant, j’avais pris un peu de bouteille, de maturité. J’ai continué à écrire des livres, puis des bandes dessinées. Dès que j’ai commencé à présenter mes scénarios, les éditeurs ont été demandeurs. Ces rencontres ont entraîné une boulimie qui me donne envie de continuer.

Patrick Weber : "J'aime les récits dans lesquels les méchants ont un passé, des failles…"Raconte-t-on des récits historiques de la même manière qu’il y a vingt ans dans la collection « Vécu » qui a fait les beaux jours des éditions Glénat ?

Je ne sais pas. Je n’aime pas trop les modes. Pour ma part, j’écris les histoires que j’aurais aimé entendre. Il y a des hommes, des destins, derrière l’Histoire. Ce sont ces destins, ces hommes, qui me font rêver. Bien sûr, à une époque, on percevait l’Histoire comme étant une série de portraits les uns derrières les autres. Puis il y a eu une autre époque où on s’intéressait au déterminisme des personnages qui évoluaient dans un contexte socio-économique. J’aime cette dernière vision. J’essaie aussi de percer la psychologie des personnages historiques, et de faire transparaître leurs caractères dans mes récits.
Quand on parle de Louis XIV ou de Napoléon, il faut que le romancier ou l’auteur de BD ait une vraie réflexion sur les raisons qui les ont poussés à agir de telle ou telle manière.

Est-ce facile de tenir ce raisonnement en quarante-six planches. Dans les Fils de la Louve, vous avez axé chacun des albums sur un personnage historique : César, Néron, etc…

Je n’ai pas du tout l’ambition de raconter l’histoire complète de ces hommes en un album. Ce serait prétentieux, cela aboutirait à un album indécis. J’offre au lecteur une facette de ces personnages, et un point de vue : une certaine réhabilitation de Néron ; le côté solitaire de César alors qu’il était au pouvoir ; la lutte d’influence qui existait autour des papes pendant la Renaissance, etc. Ce dernier domaine était assez passionnant : un vrai polar en soi, et il ne fallait rien inventer.
Jacques Martin, le premier, a apporté une expertise historique en bande dessinée. Avant lui, l’histoire était plutôt un décor.

Vous semblez avoir un profond attachement pour Rome…

Oui. J’y ai vécu quelques temps. Je suis toujours fasciné par la magie que dégage cette capitale. En s’y baladant, on bascule d’une période à l’autre : de l’antiquité à la renaissance, tout en faisant de temps en temps un retour en arrière vers le moyen-âge, et en bondissant vers le baroque ! Tout cela, en croissant des immeubles contemporains. Bizarrement, ce mélange est harmonieux. Au contraire de Bruxelles, qui est un chaos architectural, la ville est uniforme, mis à part les clochers des églises qui dépassent. La couleur de la pierre est généralement la même : brunâtre et ocre. Cette ville a tout subi ; tout le monde voulait la posséder. Elle a connu la république, l’empire, les invasions, les papes, le fascisme, une monarchie, etc. Et malgré tout, son identité est restée.

Lorsque j’ai rencontré Yves Sente pour lui parler de mes projets, nous avons abordé cette ville de manière naturelle. Le seul moyen de montrer cette cité sous différentes époques, c’était de faire voyager le personnage principal dans le temps.

Comment avez-vous rencontré Pasarin, le dessinateur du Fils de la Louve ?

L’éditeur l’a déniché et me l’a présenté. Ce dessinateur évolue au fur et à mesure des albums. Son trait est assez classique, et au départ, assez raide, mais il est sur la bonne voie. Son style devient plus souple. Il dessine merveilleusement les femmes et donne des expressions et des regards intéressants aux personnages.

Le Quatrième « Fils de la Louve » se déroule à quelle époque ?

Il ne se passera pas à Rome, mais à Paris. Je souhaitais mettre en scène Napoléon, et parler de la naissance de son fils, le Roi de Rome. Une délégation romaine est partie de la capitale italienne pour présenter les hommages de la ville à Napoléon. C’est un fait véridique. Lucas, notre héros, va bien entendu participer au voyage.
Je trouvais que le titre « Les Fils de la Louve » sonnait bien. J’en ai parlé à des amis italiens, qui m’ont incité ne pas l’utiliser pour ma série. En effet, un mouvement de jeunesse fasciste a porté ce nom. Je me suis documenté sur le sujet, et j’ai eu envie d’en parler. Pour le cinquième tome, le récit se passera sur deux époques, et ne sera pas construit de la même manière que les précédents albums. Il y aura bien entendu une incursion dans les années ’30 pour parler de ce mouvement.

Vous avez signé deux séries aux Humanoïdes Associés…

Bruno Lecigne [1] avait lu mes romans historiques au Masque. Il m’a proposé de travailler pour eux lorsqu’il a lancé la collection Dédale. Nous avons commencé à travailler sur Novikov avec Brindisi, et puis sur une deuxième série, que j’ai reprise en cours de route, Œil de Jade.
Malheureusement, compte tenu des problèmes que traversent les Humanoïdes Associés, nous sommes contraints de mettre ces séries en veilleuse.

Dans Novikov, vous présentez une version non manichéenne des choses. Tous ne sont pas coupables, mais personne n’est innocent.

Oui. Cela me tient à cœur. Je n’aime pas le manichéisme que reflètent les récits où on a un simple clivage entre les bons et les méchants. Même si certains méchants sont plus intéressants que les héros. C’est le cas par exemple de Borg, dans Lefranc.
Dans Novikov, j’avais envie que le personnage qui tient le mauvais rôle ait un passé, des failles ; et que je puisse développer, en parallèle, son histoire personnelle. J’aime ajouter de l’épaisseur aux personnages.

Vous avez signé un thriller financier chez Casterman…

Ce n’est pas mon univers, mais l’éditeur m’a demandé de travailler sur ce projet. Michel Fleuriet qui est un spécialiste de la finance, a eu l’idée de cette série. Cet homme a dirigé des banques d’affaire, et donne aujourd’hui des cours d’économie à Philadelphie et Shanghai. Ce n’était pas un raconteur d’histoire. Casterman m’a demandé de le rencontrer pour travailler avec lui. En discutant avec Michel Fleuriet, je me suis retrouvé dans la peau du journaliste que j’ai été pendant longtemps. J’ai eu envie de m’intéresser et d’écrire sur des choses qui ne me convenaient pas jusqu’alors : les OPA hostiles, les fusions, les acquisitions, etc. J’ai dégrossi nos conversations, pour en tirer quelque chose sur quoi je pouvais greffer une histoire. Il ne fallait pas que Trust soit un cours d’économie. C’est un récit inventé, mais la crédibilité est proche d’une bande dessinée de reportage.

Vous assumez également l’adaptation en bande dessinée des livres de Luc Besson consacré à l’univers d’Arthur et les Minimoys…

TF1 a coédité Trust. Ils m’ont demandé de réaliser ce travail d’adaptation. Je ne connaissais pas du tout cet univers-là. Les personnes responsables du magazine m’ont convaincu qu’ils voulaient faire de la qualité. Jean Wacquet, des éditions Soleil, leur a proposé un dessinateur, Marc ‘N Guessan. Je ne vous cacherai pas que c’est un travail de commande. Nous sommes payés au prorata, selon les différents intervenants. Ce qui ne représente finalement pas grand-chose. Mais ce travail m’apporte beaucoup. C’est la première fois que j’écris pour les enfants.
Je crois que notre bande dessinée offre une vision plus européenne de l’univers d’Arthur que le film. Luc Besson a apprécié notre travail, et nous a autorisé à faire des inédits pour le magazine. Ces histoires d’une dizaine de planches ont toutes un message écologique, à l’instar de ceux du créateur de cet univers. Il consiste à dire aux enfants : « Faite gaffe où vous marchez dans le jardin, il y a tout un univers sous vos pieds. Ce monde est le reflet de notre planète ». Je revendique totalement ce travail, et je prends beaucoup de plaisir à le réaliser.

Vous reprenez également trois séries inventées par Jacques Martin, et pas des moindres : Loïs, Lefranc et Alix. On peut presque se demander si vous n’êtes pas son fils spirituel …

J’aimerais bien (Rires). Après avoir lu Les Fils de la Louve, Casterman m’a proposé de reprendre Loïs. C’était un rêve d’enfant qui se réalisait ! Si j’ai étudié l’histoire de l’art et l’archéologie, c’est en grande partie grâce à Alix. Je n’y ai pas cru au début. Heureusement que la collaboration s’est faite de manière progressive.
Jacques Martin avait commencé le Code Noir, le troisième Loïs. Il avait réalisé une partie du découpage. Je suis arrivé à un moment charnière, entre deux scènes où il avait une rupture forte. Martin avait clôt un chapitre, et j’en ai ouvert un autre. Cet album a une thématique passionnante : La perception de l’esclavage par Louis XIV et Colbert. Lois, qui est le plus jeune des personnages de Jacques Martin, commence à avoir de la consistance….

Et pour Lefranc ?

J’ai également repris La Momie Bleue en cours de route. Francis Carin l’avait partiellement dessiné. La collaboration se passe à merveille. Il faut dire que je connais Francis depuis vingt ans ! Il apporte son style au personnage.
Je travaille sur les idées de Jacques Martin, qui a préparé des synopsis, des notes d’intention, mis des idées en forme. C’est agréable de travailler sur la base du travail et les idées du créateur de ces séries.

A quoi ressemble une note d’intention de Martin ?

Un résumé, assez dense, qui peut aller jusqu’à une page et demie. Nous n’avons pas l’obligation de respecter le synopsis à la lettre. Mais il faut discuter de ses intentions. Jusqu’à présent cela s’est bien passé. Je n’ai pas encore publié un album en solo. J’ai repris, à chaque fois les albums d’Alix, de Lois et de Lefranc en court de route. Alors qu’ils étaient partiellement écrits par d’autres.
Je prépare un Alix avec Ferry. On suit une idée de Jacques Martin. Il avait situé l’une des intrigues en Bretagne. Cela tombait plutôt bien car je suis un véritable passionné par le monde celtique. J’ai écrit plusieurs romans sur ce sujet et je suis plutôt bien documenté sur le druidisme.

Vous publiez ces jours-ci L’Ibère, une aventure d’Alix, dessinée par Chrisophe Simon….

Cette collaboration est née suite à un concours de circonstance. Les éditions Casterman souhaitaient confier le destin d’Alix à deux équipes différentes. J’ai donc commencé à travailler sur celui dessiné par Ferry, puis ils m’ont demandé de reprendre au pied levé L’Ibère. Plusieurs pages avaient été dessinées. Christophe Simon m’épate. Il maîtrise parfaitement le style graphique de Jacques Martin.
Ferry, quant à lui, ne va pas dessiner Alix de cette manière. Il utilisera un style différent, proche du sien. L’ambiance sera celtique, donc. Les éléments auront beaucoup d’importance. Il dessine merveilleusement les arbres, la nature, les forêts, la mer, etc.
Ce sera également un Alix plus dense, avec plus de cases. Alix sera confronté aux druides. Deux peuples aux traditions différentes s’opposeront dans ce récit : d’une part, le peuple tenant d’une tradition écrite, les Romains, et d’autre part ,celui élevé dans la tradition orale, les Celtes. Comment ces deux peuples, aux traditions différentes, peuvent ils coexister ? Ce récit sera tragique…

Vous êtes également romancier.

J’ai signé plusieurs romans au Masque. Puis, j’ai eu envie d’écrire un livre plus ambitieux sur le Tibet. Je suis parti dans ce pays, je me suis documenté et j’ai écritLe Grand Cinquième. Ce livre a été publié chez Lattès. Il a trouvé son public, même s’il s’est gentiment vendu. L’éditeur a eu la mauvaise idée de le sortir en même temps que le Da Vinci Code. J’ai mis beaucoup de moi-même dans ce récit.
L’éditeur des éditions Timée, Denis Lépée, m’a débauché dans un salon du livre. Cet éditeur publie surtout des romans historiques, et on a sympathisé. Il m’a donné carte blanche pour un livre. J’ai eu envie d’écrire un livre sur le monde celte. Je me suis rendu en Bretagne, en Scandinavie, en Irlande. J’ai allié la recherche journalistique au travail de romancier. Viking a été la troisième meilleure vente de cette maison d’édition.
Deux éditeurs m’ont contacté pour l’adapter en bande dessinée. Soleil m’a présenté Thierry Demarez (Le Dernier Troyen). Il a beaucoup de talent et a parfaitement compris que je voulais rester fidèle à l’idée de départ du roman, même si le découpage sera différent… L’adaptation paraîtra donc chez eux.

Quels sont vos autres projets ?

Je vais probablement adapter la tapisserie de Bayeux en bande dessinée. Soleil est partant pour éditer ce projet, et nous recherchons un dessinateur. Cette étoffe, qui a près d’un millénaire, a toujours été religieusement conservé dans la cathédrale de Bayeux. Ses dessins racontent l’histoire de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant. Elle reflète aussi l’invention d’un procédé narratif alliant images et textes. Elle symbolise donc l’invention de la BD, voire du cinéma. Mon adaptation ne sera pas tout à fait une bande dessinée, mais n’en sera pas non plus éloigné. Ce sera un one-shot.

Sinon, je prépare avec David Merveille, un dessinateur pour la jeunesse, une BD témoignage émouvante sur la justice.Ce sera un gros bouquin en noir et blanc, que l’on fait par plaisir. On a signé aux Humanoïdes Associés. Mais le projet est un peu en stand-by pour le moment…

(par Nicolas Anspach)

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Photo en médaillon (c) Nicolas Anspach

[1Directeur littéraire de la maison d’édition

 
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2 Messages :
  • Tiens, vous ne parlez pas de "La dernière Reine".
    Aurait-il arrêté cette série ??

    Répondre à ce message

    • Répondu par Nicolas Anspach le 22 octobre 2007 à  23:00 :

      Non. L’auteur m’en a parlé. Mais malheureusement l’interview était trop longue et trop intéressante, et je débordais déjà. Cette interview fait cinq feuillets, alors que d’une manière générale, elles ne font pas plus de trois pages sur actuabd.com. Il a fallu opérer des choix pour préserver la lisibilité, mais je reviendrai très probablement sur cette série lors d’une prochaine rencontre…
      Bien à vous,

      Nicolas Anspach

      Répondre à ce message

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