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Paul Gillon : « C’est un couple qui est programmé pour se rejoindre et s’aimer. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 26 août 2008                      Lien  
Créés avec Jean-Claude Forest pour le mythique quotidien de Pierre Lazareff, pour Chouchou en 1964, puis pour France-Soir en 1974 et Métal Hurlant en 1977, Les Naufragés du Temps est l’une des séries de science-fiction de référence de la bande dessinée française. Elle reparaît chez Glénat début septembre. Rencontre avec son auteur.
Paul Gillon : « C'est un couple qui est programmé pour se rejoindre et s'aimer. »
Les Naufragés du Temps T.1
Ed. Glénat

La série naît comment ?

Je voulais depuis longtemps faire une série de Science-Fiction et Forest le savait. On avait proposé un projet pour France Soir, mais Pierre Lazareff [1] s’y était opposé. Je réalisais depuis des années le feuilleton à succès 13 rue de l’Espoir et il ne voulait pas que je l’arrête. Puis, un jour, mon scénariste Jean-Claude Forest est nommé conjointement à Remo Forlani rédacteur en chef d’un nouveau journal : Chouchou. Il m’envoie un scénario conçu par l’écrivain suisse de science-fiction Pierre Versin, mais il ne me plaît pas. Je demande à Forest de m’écrire lui-même une histoire. Il me demande si j’ai une idée. Je lui propose un couple naufragé dans le temps et dans l’espace mais qui ne peut pas se rejoindre. On conçoit les premières pages du scénario comme cela, au téléphone. Ce sont Les Naufragés du temps.

C’est en soi un concept génial, de la SF à l’état pur.

C’est un couple qui est programmé, si j’ose dire, pour se rejoindre et s’aimer. Mais ils refusent l’un à l’autre, ils refusent d’entrer dans le système. Les idées de Forest étaient formidables et la série a tout de suite eu beaucoup de succès. Comme le journal appartient à Hachette, ils décident de faire les deux premiers albums en bichromie à 35.000 exemplaires chacun. Ils vendent tout leur tirage, mais les deux albums suivant ont été tirés à 20.000 exemplaires. On a ressorti le contrat qui prévoyait un tirage de 35.000 exemplaires minimum. Ils on été obligés de nous payer les droits sur les 15.000 restants, mais cela a arrêté notre collaboration.

Paul Gillon avec Jean-Pierre Dionnet, le directeur de Métal Hurlant
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Arrive à ce moment le phénomène Métal Hurlant.

Oui, cela a été une révolution dans la bande dessinée ! Je voulais absolument être de cette aventure-là. Je connaissais vaguement Moebius, Druillet et Dionnet. Je prends rendez-vous avec Dionnet qui me dit immédiatement : « C’est d’accord ». Depuis, nous sommes des copains intimes. On récupère les droits des quatre premiers albums chez Hachette et avec l’accord de Forest, on les revend à Métal qui devient ma nouvelle famille.

Les Naufragés du Temps T.2
Ed. Glénat

Forest ne collabore plus à la série à partir du tome 5.

Oui, on a là un problème qui nous a fâché pendant des années. Jean-Claude a voulu profiter du changement d’éditeur pour modifier la répartition des droits. Or, nous étions co-auteurs du scénario et j’étais l’auteur des dessins. On avait fait un contrat sur sa demande qui fixait précisément ce mode de collaboration. En temps que co-auteur du scénario et auteur du dessin, j’avais deux parts de revenus. On était à 70% des droits pour moi et 30% pour Jean-Claude. Quand Hachette a abandonné son option pour faire la suite et quand j’ai trouvé la possibilité de la faire publier aux Humanoïdes Associés, il m’a dit qu’il n’était plus d’accord avec cette répartition. Or, le contrat prévoyait que chacun des co-auteurs pouvait continuer seul si l’autre désirait se retirer de l’aventure, avec une période probatoire de trois ans qui lui permettait éventuellement de changer d’avis si nécessaire. Jean-Claude a repris ses billes et j’ai continué seul. J’ai donné à l’histoire un tour plus mélodramatique qu’il me reprochait. Mais lui-même n’était pas toujours très constant et quelques très bonnes idées venaient de moi, comme le Fleuve des morts et la maladie transmise par Mara à Christopher qui les sépare mais les lie encore davantage étaient de moi également.

Paul Gillon chez lui, en juillet 2008
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

La série s’enrichit de six nouveaux albums, soit dix tomes qui sont réédités aujourd’hui chez Glénat.

Oui, elle continue à un rythme soutenu jusqu’à ce que Métal Hurlant soit racheté par les Espagnols, puis par Hachette.

Les Naufragés du Temps T.3
Ed. Glénat

C’est une œuvre qui marque cependant son époque, une légende. Elle ramasse pas mal de prix.

Tous, en fait. J’ai été Grand Prix d’Angoulême et j’ai reçu des prix dans plein de festivals à l’époque.

Mais l’histoire s’arrête néanmoins.

Oui, elle se termine quand Métal Hurlant est racheté par Fabrice Giger avec qui je ne m’entends pas. Je quitte les Humanoïdes Associés à ce moment-là. Wolinski m’appelle presque le jour même et me dit qu’il est devenu rédacteur en chef de l’Écho des Savanes. Il me commande une autre série de science-fiction. Quand je lui apporte le projet, j’apprends que Wolinski, submergé de travail, a jeté l’éponge au profit de Claude Maggiori. Ce dernier lit mon scénario et me le refuse parce qu’ « on dirait du Vadim !  ». Il m’envoie quelques jours plus tard dix lignes dactylographiées : «  L’héroïne se trouve sur terre, seule survivante avec des robots. Elle s’en sert pour se « chatouiller ». Je l’appelle pour lui demander comment on aborde le scénario. Il me répond « Je n’en ai pas, fais ce que tu veux avec ça ! » Ce sera La survivante qui est aussi également publiée chez Glénat aujourd’hui.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

Les Naufragés du Temps par Paul Gillon & Jean-Claude Forest
(c) Editions Glénat

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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En médaillon : Paul Gillon - Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

[1Pierre Lazareff est une légende de la presse française. Il a créé France Soir, Elle, Le Journal du Dimanche et Télé 7 Jours.

✏️ Paul Gillon
 
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1 Message :
  • Les cinq premiers albums sont sublimes ! surtout le 1 et le 2 dans leur première édition en bichromie, que j’ai relus une bonne quinzaine de fois, tant l’histoire est prenante et tant Gillon s’est surpassé.
    Dommage : à partir du sixième album, « Les maîtres rêveurs », donc après la disparition de la fascinante Quinine (disparition qui constitue néanmoins le clou du cinquième album), le scénario devient un peu n’importe quoi, on régresse vers un type de S-F beaucoup moins moderne, avec des rebondissements très répétitifs.

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