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Paul Gravett : “Utilisons le mot de mangaisme“ 2/2

Par Florian Rubis le 30 juin 2018                      Lien  
Le critique et commissaire d’expositions britannique Paul Gravett, dont l’exposition Mangasia ouvre ses portes au Lieu Unique à Nantes, continue à s’exprimer sur son intérêt pour le manga et l’influence qu’il exerce en Asie et en Occident. Il nous explique pourquoi il voudrait voir utiliser le terme de "mangaisme" à l’égard de cette dernière, comme il y eut autrefois un japonisme imprégnant différentes formes d’art…

À propos de manga — le mot lui-même — quelle origine et signification peut-on lui donner ?
Le mot manga a revêtu différentes significations ou acceptions à différents moments, ainsi que pour différentes personnes, même au Japon ! Au Japon, cela veut maintenant dire « bandes dessinées » — comics et cartoon art, y compris les cartoons politiques ou contestataires. Comparé avec la façon dont nous l’entendons en Occident, il a beaucoup changé en signification et au Japon aussi.

Hokusai est généralement considéré comme l’inventeur de sa signification actuelle. Mais il y eut, avant lui, des utilisations préalables du mot qui tendaient plutôt à désigner des croquis, voire des illustrations. D’où une certaine proximité avec le mot cartoon qui, en Grande-Bretagne, à partir des années 1840, recouvrait tout ce qui relevait des histoires humoristiques.

Il y eut aussi, à la fin du XIXe siècle, avec l’arrivée d’Américains, Britanniques et Européens, leur influence qui s’exerça au Japon, dans le domaine de la caricature ou de la satire politiques. Les personnages représentés y étaient dotés d’expressions du visage exagérées. On y critiquait l’autorité. Ce qui était totalement impossible auparavant.

Paul Gravett : “Utilisons le mot de mangaisme“ 2/2
Couverture du livre "Mangasia"
© 2017 Paul Gravett & Hors Collection

S’agissait-il de l’importation de modèles ou de choses que l’on pouvait trouver dans des revues comme Punch ?

Oui. Punch et Puck en Amérique ont eu leurs équivalents japonais. Il y eut une énorme influence de l’Occident, qui modifia les cartoons japonais.

Au départ, le manga tel que nous le connaissons aujourd’hui naît vraiment d’un syncrétisme culturel entre influences occidentales et celles des arts traditionnels nippons comme l’estampe ukiyo-e

En effet, et pour beaucoup ! Les deux se sont mélangées très fortement. De là à ce que le manga ne devienne un mot de la culture globale, il n’y a pas à s’en étonner. Comme c’est aussi le cas pour Graphic Novel, utilisé également en Allemagne ou en Italie. Dans ce dernier pays, il y a d’ailleurs débat, qui vire à la dispute, pour savoir si l’on doit recourir à l’expression au masculin, d’après le mot romanzo, ou au féminin. En France, vous avez connu la même chose avec le manga ou la Nouvelle Manga. C’est intéressant, parce que cela change la perception que vous en avez !

Kitarô le Repoussant
© 1967 Shigeru Mizuki & Kôdansha

Le Britannique Charles Wirgman ou le Français Georges Ferdinand Bigot et leurs élèves japonais, avec lesquels ils ont approfondi leur intérêt commun pour l’estampe ou créé les premiers journaux satiriques au Japon, n’ont-ils pas beaucoup contribué à la création du syncrétisme évoqué plus haut ?

Cela aussi c’est intéressant. Et les premiers mangaka japonais sont souvent aussi partis travailler aux États-Unis, avec les dessinateurs (cartoonists) de grands journaux. Et ne parlons même pas de ce qu’il se passe aujourd’hui, dans un monde globalisé et de l’Internet, avec son énorme masse d’informations et d’échanges connectés à travers le monde.

Grâce à votre livre Mangasia, on peut d’ailleurs mesurer à quel point ce syncrétisme culturel fécond a fait son chemin…

Oui ! L’Est et l’Ouest continuent de s’influencer l’un l’autre. Et cela n’a pas cessé d’advenir. Nous savons que Kazuo Kamimura était influencé par Guido Crepax ou Ryôishi Ikegami par Neal Adams. De tels échanges d’influences ne cessent de jouer entre les pays.

Pelu
© Junko Mizuno

Avec le manga, plutôt qu’en rester à la vision négative d’une « invasion », ne peut-on considérer qu’il s’agit davantage d’un mouvement plus vertueux de retour d’influence ?

Oui ! Utilisons le mot de mangaisme, comme il y eut auparavant un japonisme. Tant de nombreux artistes occidentaux et français en particulier sont influencés par les styles du manga et de l’anime.

Il reste très important de combattre les stéréotypes, qui consisteraient à considérer qu’il n’existe qu’un seul style de manga, avec des personnages aux yeux de biche disneyens. Alors que le Japon, en tant que pays qui compte le plus sur le plan graphique, connaît de nombreux styles différents dans le manga ou l’anime. Même si beaucoup d’autres pays dans le monde se conforment à ses conventions les plus répandues, y compris en animation. Bien que certains parviennent à s’en démarquer et à trouver leur propre ton, comme par exemple Tomm Moore et son studio en Irlande, alors qu’en Amérique notamment d’autres ne parviennent qu’à adopter des formes conventionnelles très similaires.

Tandis que, au Japon même, certains arrivent à s’en démarquer néanmoins. Je pense à des films comme Your Name ou In this Corner of the World. Ce qui réussit à produire quelque chose de beau et DE supérieur aux standards habituels des studios d’animation. Des standards qui ont donné au public une mauvaise idée de ce que le manga et l’anime peuvent être.

Couverture du livre "Comics Art"
© 2013 Paul Gravett & Tate Publishing

Dans la continuité de ce point de vue, Mangasia en France, au Lieu Unique, à Nantes, est-ce important pour vous ?

Très important. Je pense qu’ici plus qu’ailleurs, le public est curieux et respectueux envers la production mondiale. Dans aucun autre pays on ne traduit autant de bandes dessinées. Le marché français est très dynamique dans le domaine asiatique, beaucoup d’œuvres coréennes sont publiées ici, sans parler des éditions Fei qui permettent de découvrir les classiques chinois. Je déplore la timidité des pays anglo-saxons sur ce secteur.

Propos recueillis par Florian Rubis, avec le concours de Laurent Mélikian

(par Florian Rubis)

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Mangasia - Merveilles de la bande dessinée d’Asie
Du vendredi 22 juin 2018 au dimanche 16 septembre 2018
Le Lieu unique
Quai Ferdinand-Favre
44000 Nantes
Tél : 0240121434
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